Un mélange entre Socrate et Sherlock Holmes : c’est ainsi que j’aime décrire l’art de coacher. Sherlock, pour la quête d’indices qui permettent de guider au mieux le coaché vers son objectif. Socrate, c’est pour la maïeutique, l’art d’accoucher l’esprit de l’autre par le questionnement, et c’est aussi l’ironie à laquelle cet article sera consacré. Outil affûté du coach, l’ironie est une feinte ignorance qui amène le coaché à prendre conscience de ses erreurs et contradictions. Utilisée avec bienveillance elle favorise le mouvement et le changement.
Le mot grec eirôneia signifie « questionnement en feignant l’ignorance». C’est donc une attitude de naïveté associée à des questions.
La naïveté du coach
« Client : – ça va être très compliqué pour moi d’obtenir une promotion interne.
Coach : – ah bon ? En quoi est-ce compliqué ?
Client : – je ne suis pas ingénieur ! Ici tout le monde sort d’une école d’ingénieur.
Coach : – ah, tout le monde ?
Client : – presque. Disons, sauf le département des achats. Et évidemment l’équipe de direction.
Coach : – ah oui, l’équipe de direction… mais eux ne sont pas importants dans la structure, n’est-ce pas ?
Client : – oui c’est sûr… Ils dirigent sans être ingénieur, puisqu’ils viennent tous d’écoles de commerce. C’est vrai, au fond, je ne suis pas le seul à avoir une formation commerciale. »
Ce type d’échange, nous l’avons tous fréquemment avec nos collègues, nos amis, notre entourage. Et que faisons-nous la plupart du temps ? Nous acquiescons : « ça va être compliqué de… » (hochement de tête de notre part) « ici tout le monde sort… » (écoute sans commentaire) etc, c’est-à-dire que nous prenons pour argent comptant ce qui est dit. Et validons alors, sans le vouloir, des présupposés ou croyances chez notre interlocuteur. Le coach fait exactement l’inverse : il ne croit rien et questionne tout. Il amène ainsi le coaché à remettre en question ce qu’il croit vrai.
Une posture d’ignorance… feinte ?
L’ironie, c’est une posture d’ignorance, souvent feinte, et de recherche de savoir. Elle amène l’interlocuteur à parler pour développer sa pensée.
L’ironie de Socrate consistait à remettre en cause les évidences en procédant par interrogations, sans apporter de réponses. De cette manière Socrate permettrait à l’autre de découvrir de lui-même ses erreurs ou contradictions comme résultat de sa propre réflexion.
Un passage du Théétète de Platon met en scène cette ironie socratique. Socrate y interroge un mathématicien, Théétète, sur le thème de la science. Par ses questions, il creuse les fondations des affirmations de Théétète, qui ne résistent pas à l’examen.
Une ignorance feinte
Une différence ici avec le coaching, c’est que Socrate feint l’ignorance, il l’utilise comme posture alors qu’il possède souvent les bonnes réponses. Un coach n’a, par principe, pas les réponses pour son client : il est donc en théorie, non sachant. Il peut avoir des opinions (sur l’importance d’être ingénieur ou non pour être promu, par exemple) mais se garde de les partager et même de les utiliser pour orienter la progression de son client – contrairement à Socrate. Il est souvent sincèrement ignorant de la réponse quand il pose une question à son client.
Le grand point commun entre Socrate et les coachs, c’est de chercher à combattre l’erreur et les opinions fausses, comme les croyances. Socrate comme les coachs questionnent donc les affirmations de leur interlocuteur, en utilisant l’étonnement.
Ironie et croyances
L’ironie peut être teintée ou non d’un ton moqueur, selon le degré de confrontation que l’on souhaite mettre dans l’échange. Il m’arrive en coaching d’utiliser l’humour pour favoriser la prise de conscience et dédramatiser le sujet.
Exemple :
Avec un client très modeste dans tout ce qu’il fait, j’apporte des touches d’ironie pour taquiner sa vision de lui-même. Dans le même entretien où il a exprimé l’idée que son entreprise tourne très bien sans lui, il me raconte comment il a réorganisé les pôles d’activité, donné le cap d’un nouveau développement commercial, défini la stratégie de marque et autres petits détails. Je commente « C’est vrai que vous ne vous occupez que de détails non stratégiques François, on voit bien que votre présence est facultative, d’ailleurs pourquoi assistez-vous encore aux comités de direction ? » Il rit, et reconnaît qu’il joue encore un rôle clé dans l’entreprise.
Dans l’exemple qui précède, il y avait déjà connivence entre coach et client sur l’objet de l’ironie : grosso modo, ce client avait conscience de sa modestie excessive et travaillait à la tempérer par une juste évaluation de ses qualités. L’ironie servait alors simplement de piqûre de rappel régulière.
Challenger le raisonnement
En revanche le coach a parfois affaire à des croyances très tenaces qu’il faut démonter pièce par pièce par la posture d’ironie socratique. Il s’agit d’amener le client à développer sa pensée jusqu’au bout, jusqu’à ce qu’il tombe sur le pilier défaillant de son raisonnement, ou bien aboutisse au vrai sujet que les idées précédentes masquaient.
Exemple :
» Client : – Je voudrais bien m’associer pour être moins seul, mais je ne m’entends avec personne.
Coach : – Vous n’avez jamais réussi à travailler avec d’autres personnes ?
Client : – Si, avec une équipe ça va, c’est plutôt en tandem que ça ne fonctionne pas, il faut un arbitre.
Coach : – Et s’associer c’est forcément être un tandem ?
Client : – Oui, moi et un associé ça fait deux.
Coach : – « un » associé ?
Client : – Oui, encore qu’on puisse être plusieurs mais il faut les trouver, je n’en ai pas en vue. Et puis plus on est nombreux, plus ça complique.
Coach : – Vous me dites que c’est en tandem que ça ne fonctionne pas, et à plus de deux c’est compliqué. Vous souhaitez donc rester seul ? [Note : le coach a bien entendu précédemment le souhait du client de sortir de la solitude, il joue ici les naïfs]
Client : – Ah non non, seul ça ne me convient plus du tout ! Je veux m’associer.
Coach : – Bien, dans ce cas quelle forme d’association vous conviendrait ?
Client : – J’aimerais bien m’associer à deux avec Henri, mon principal partenaire, mais il me faut quelqu’un qui tempère.
Coach : – Qui tempère quoi ?
Client : – Eh bien, avec Henri c’est un peu rock’n’roll, nous ne sommes pas toujours d’accord et quand il n’y a pas de terrain d’entente ça peut vite chauffer.
Coach : – Lui ou vous ?
Client : – Surtout moi, en fait. Je perds patience et Henri n’a pas l’art de me faire redescendre – c’est un euphémisme.
Coach : – Ok, Henri vous fait parfois perdre patience et n’aide pas à vous calmer, c’est ça ?
Client : – Oui, ça serait bien que j’apprenne à faire autrement, à moins m’énerver pour des broutilles. A moins focaliser sur les défauts des autres aussi, ça me changerait la vie.
etc. «
Dans cet exemple, on voit l’importance de la reformulation, reformulation miroir ou élucidation.
>> Lire : Les techniques de reformulation : tout un art
Le coach fait écho, il peut aussi décrire ce qui n’a pas été formulé mais qui lui apparaît, pour en souligner la contradiction : « finalement vous ne souhaitez pas être seul, ni à deux, ni à plus de deux ? ». Cette méthode est notamment utilisée par l’approche systémique qui traite la problématique de manière large (holistique).
Au final, cette attitude face aux vérités de surface devient un art de vivre, une attitude en toutes circonstances. Etre coach c’est un peu renoncer à la paresse intellectuelle, questionner en soi et hors soi les croyances qui sautent au visage, se reposer parfois tout de même en laissant couler les fleuves Erreur et Ignorance, qui doivent bien servir à quelque chose s’ils ont été créés.
Aller plus loin : Sören Kierkegaard, Du concept d’ironie constamment rapporté à Socrate (1841) – que je n’ai pas lu.
2 Commentaires
Que du bon Karine!!
J’ai aimé cet article qui montre très simplement l’essence de ce qui se passe dans nos séances.
Le langage du client est un code secret dans lequel se cache la solution à ses énigmes.
Merci de ton enthousiasme Christophe !
Comme tu dis, c’est là l’essence de notre métier.
Tu parles d’énigme et de code secret, j’ai parfois l’impression d’être face à de magnifiques équations vivantes… Dont ces belles équivalences complexes, « si ceci…, alors c’est que cela ». Ah bon ? C’est sûr, ça ?
De la curiosité, toujours de la curiosité, et le goût de l’énigme.