Cet article inaugure la série « (Im)postures de coach » qui traitera de la quête de vérité que constitue un coaching. Aujourd’hui, Sherlock Coach entre en scène et nous montre comment mener l’enquête en suivant les indices et en se méfiant des apparences. Une démarche essentielle pour accompagner son coaché vers son objectif : car pour bien accompagner ce dernier, il est essentiel de cerner la problématique et de l’aider à lever certains freins
Le coach adopte une position basse
Certains coachs, dont je fais partie, voient le coaching comme un métier de doute. Contrairement au médecin, le coach adopte une position basse : il ne sait pas, et si son coaché non plus, c’est du dialogue entre les deux que surgira le savoir.
ex : le coaché ne parvient pas à décider de son avenir professionnel, le coach se garde bien d’avoir mille bonnes idées à ce sujet, car le client pourrait les rejeter (« oui, mais… », « j’ai déjà essayé », « ça ne marchera pas… » etc.)
Il se contente de poser les questions adéquates pour amener son coaché à faire émerger ce qu’il veut vraiment pour la suite de sa vie professionnelle.
Posture basse, posture de doute, mais aussi patience et recul : car parfois la première vérité qui jaillit n’est pas le coeur du problème. Douter donc, toujours, et vérifier ses intuitions, votre coach vous le doit.
Un frein peut en cacher un autre
Un exemple parlera mieux qu’une longue théorie. C’est l’histoire d’un frein qui en cachait un autre.
Marc a créé sa société il y a 3 ans, mais son affaire ne décolle pas. Il a pris conscience qu’il était en partie responsable de ce résultat : il sabote ses propres effort.
« Je m’interdis de réussir », avoue-t-il à son coach lors du premier entretien.
Marc vient peut-être chercher auprès de son coach une permission de réussir, ou alors, de l’aide pour dépasser certains obstacles – nous n’en savons rien.
Toujours est-il qu’à ce stade de l’entretien, Marc a raconté son parcours et ses origines (un père homme d’affaires, des études plutôt réussies), et pour son coach la tentation est grande d’entrevoir déjà une piste de travail.
Erreurs de coach et fausses pistes
Pourquoi Marc s’interdit-il de réussir ? Où est la clé, quelle croyance limitante une fois débusquée et désactivée mènera au succès ?
Voici quelques erreurs dans lesquels tomberont les coachs qui ne doutent de rien !
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1. la projection : projeter sa propre vision des choses
Principe : projeter son propre vécu ou sa vision du monde, et interpréter
La conclusion du coach : Marc s’interdit de réussir parce que… on lui a toujours dit qu’il ne réussirait jamais alors il croit qu’il ne pourra jamais réussir.
L’erreur : le coach lui-même n’a pas été encouragé dans sa jeunesse, et il a dû combattre cette croyance qu’il n’arriverait jamais à rien. Alors comme il le comprend bien, ce coaché ! ça doit être un vrai combat pour lui d’y arriver. Peut-être… Sauf qu’il s’agit là d’une interprétation : Marc n’a rien dit qui permette de penser qu’il a cette croyance. Et après vérification, c’est chou blanc, il croit dur dans ses capacités ! Next…
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2. l’interprétation
Principe : déformer ce qui a été dit, interpréter à la lumière de sa propre carte du monde
La conclusion du coach : Marc s’interdit de réussir parce que… il culpabilise de devenir riche.
L’erreur : le coach fait preuve d’imagination et va pêcher derrière « je m’interdis », un péché capital(iste) pour cet entrepreneur.
Peut-être a-t-il déjà connu un coaché qui culpabilisait de devenir riche,
ou alors c’est le problème du héros de sa série américaine préférée.
Ou encore il a appris que toutes les personnes nées après 19xx sont la génération Alpha, et que la génération Alpha trouve qu’être riche c’est has been.
Pourquoi pas ? Sauf que rien dans ce qu’a dit son coaché Marc ne va dans ce sens : le coach a donc plongé tête la première dans son interprétation. Faute !
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3. la précipitation
Principe : aller trop vite en besogne, acheter sans discernement ce que dit le coaché
La conclusion du coach : Marc s’interdit de réussir parce que… son père a très bien réussi et il a peur de ne jamais être à la hauteur.
L’erreur : c’est effectivement une première vérité à laquelle arrive Marc le coaché dans l’entretien. Le coach a utilisé ses oreilles, il marque 10 points. En revanche, nous lui en retranchons 20 pour sa précipitation à prendre pour argent comptant ce que lui dit Marc le coaché, sans creuser davantage. Et encore -10 points pour avoir érigé cette prise de conscience en conclusion (« chouette chouette une piste évidente, prenons-la »). C’est une conclusion qui orientera la suite du travail, autant prendre le temps de la vérifier.
Pourquoi est-ce une erreur ?
Parce que la véritable raison qui fait que Marc s’interdit de réussir, ce n’est pas qu’il craint d’aller moins haut que son père, non : c’est au contraire qu’il craint de le surpasser!
Le voilà le noeud, le verrou qui bloque la progression de Marc l’entrepreneur.
Voilà ce qu’aurait révélé un coach plus patient, plus prudent, un Sherlock Coach qui doute et vérifie pour éviter les fausses pistes qui risque d’écarter le coaching de son objectif.
Trouver LE frein, ne pas s’arrêter au premier qui vient.
Quelles conséquences a cette erreur ?
Un coach qui suit sa propre idée va lire la suite des propos du coaché à la lumière de cette idée. Il va filtrer ce qu’il entend, et toujours sélectionner ce qui va dans le sens de son idée à lui. Vous savez, c’est comme quand on démarre à traduire un texte en faisant un contresens qui donne une mauvaise direction. Et qu’au fur et à mesure que l’on traduit la suite, on sent bien qu’on tire le texte à soi pour rapprocher deux bouts qui ne collent pas vraiment.
Le problème, c’est que s’il bénéficie d’une influence sur son coaché, le coach peut l’emmener ainsi sur une fausse piste, et mal l’accompagner.
Alors si vous voyez votre coach conclure trop vite et que vous ne vous sentez pas écouté, gare !
Son rôle est de vous é-cou-ter avant tout, sans interpréter ni projeter quoi que ce soit.
A ce sujet, lire l’article de Chris Peiffer « Ecoute-toi quand je me parle« .
Pour vous convaincre que la prudence est de mise en coaching, voici quelques autres réponses possibles qui auraient pu être celles de Marc :
– il craint d’être exposé, pour vivre heureux vivons caché
– s’il réussit, il sera encore plus occupé et ne verra pas ses enfants grandir
– toutes les fois où il a réussi quelque chose dans sa vie, ça s’est mal terminé
– son grand-père a échoué, or il se sentait très proche de lui, c’est son modèle
– il craint de ne pouvoir tenir un haut niveau de performance
– il pense ne pas mériter de réussir : il ne s’est pas pardonné une erreur passée
– la réussite c’est le début des ennuis
– je suis sûre que vous aurez d’autres idées à ajouter à cette liste !
Voyez le vaste monde des motivations personnelles et toutes les possibilités de s’y perdre.
Conclusion :
Gare à ne pas s’égarer sur les fausses pistes !
Les 3 meilleures armes de votre Sherlock Coach :
humilité, écoute, vigilance
Sherlock Coach questionne, le coach a l’art de trouver les questions qui aident le plus son client.
Il reformule, vérifie, confronte, veille, éveille, patiente, laisse venir.
Il n’interprète pas, ne suggère pas, il ne sait pas, n’a pas d’a priori, se méfie des évidences.
Le coaching ça s’apprend, ça s’entretient, ça se travaille, ça demande de la vigilance.
Vraiment, c’est un métier passionnant !
#2 – coach sans formation
#3 – le bavard
Photo : Scott Monty
5 Commentaires
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Bonjour,
félicitation pour cet excellent article. En effet la posture basse est une base de la posture de coach, la personne la mieux placée pour savoir ce qui est bon pour elle est notre client.
@bientôt
Didier
Bonjour Karine,
Je découvre votre travail par l’intermédiaire d’une amie (Marie-Pierre G.) et je viens de parcourir quelques uns de vos articles avec grand plaisir.
Bravo et merci à vous !
Par quelque côté qu’on aborde l’être humain (pour ce qui me concerne je suis plus axé vers le management et la formation même si j’ai une forte sensibilité personnelle par ailleurs à aider mon prochain), il faut beaucoup d’humilité en effet. Y compris dans nos prétendues capacités à comprendre et cerner nos motivations, freins, et bien d’autres choses.
Bien à vous,
Marc
Bonjour Marc
Merci de ce retour bien agréable, et source de réflexion. Effectivement le coach n’est pas seul à trouver dans l’humilité une porte vers la compréhension des êtres.
Je suis ravie de savoir que des formateurs et des spécialistes du management, partagent cette sensibilité-là… que votre dernier billet traduit bien, d’ailleurs.
Merci à Marie-Pierre pour ses partages qui aident à faire connaître mon travail !
Bien à vous,
Karine
Merci de ton commentaire Christophe :)
C'est vrai qu'il s'agit de la cultiver cette posture.
Certaines formations au métier de coach en font la pierre angulaire de leur programme.
Ce qui me semble un challenge, c'est que justement l'expérience nous donne de nouvelles clés de lecture, donc des risques de passer en posture haute (ex : « bon, ce coaché crée sa boîte, il est en phase 1 du modèle d'Hudson et donc normal qu'il s'éparpille et dépense une énergie folle sans jamais se ressourcer. Je sais ce qu'il lui faut » etc.).
De l'art de poser nos intuitions en hypothèses et de les vérifier !
Et de laisser le coacher avoir ses prises de conscience pour avancer.
Je me dis aussi que supervision et formation continue nous empêchent un peu de tomber dans l' « inconsciemment compétent » où l'on pratique sans doute ni recul.
Et puis oui, pratiquer la posture basse tous les jours en coaching et dans sa vie sociale ;)
Bravo pour ce billet rafraichissant!!
Et merci de m'avoir cité dans le texte ;-)
J'avoue que cultiver cette posture basse est un de mes leitmotiv quand je suis en séance et les tentations sont fortes de croire que l'on a tout compris.
Je constate aussi qu'à partir du moment où l'on a conscience de ce travail en posture basse, elle devient plus aisée à prendre et à conserver au fur et à mesure que l'expérience grandit.
A bientôt
Christophe