Nous nous définissons parfois par un aspect de notre identité : je suis commercial dans le logiciel / je suis mère de 2 enfants / je suis créatif. Mais nous sommes bien plus que cela ! Nous cumulons plusieurs identités de rôle, qui correspondent à des facettes de notre personne. Notre réponse à la question « présentez-vous » en dit beaucoup sur nos priorités et notre manière d’entrer en relation.
Qu’est-ce qu’une identité de rôle ? Le week-end dernier à l’occasion d’une soirée bon enfant dans la cour d’une maison aux rosiers odorants, ce thème a rebondi curieusement d’une conversation à l’autre. Ce qui m’inspire cet article.
Une éditrice me contait son parcours éclectique et comment certains chasseurs de tête voulaient réduire la sienne à une seule facette,
Un groupe de musiciens jazz invitait la compagnie à un boeuf où chacun son tour portait la casquette de conducteur de train,
Une chercheuse en biologie évoquait avec simplicité un parcours brillant,
Et les convives se présentaient les uns aux autres sous le seul jour d’un prénom souriant.
On parla ce soir-là de la faculté qu’a chacun d’être, dans le temps ou simultanément, plusieurs personnes… au-delà de la carte de visite professionnelle.
Comment vous présentez-vous ?
Par ce que vous valez ou ce que vous voulez ?
Que mettons-nous en avant dans nos contacts sociaux?
Avons-nous toujours envie de décliner nos différentes identités de rôle lors des présentations ? Non : nous avons souvent un choix à faire selon le contexte, pour simplifier, par paresse, ou par stratégie.
Pour nous fondre ou nous démarquer, nos identités de rôles parfois riches nous entraînent ainsi dans des jeux, dont voici quelques-uns.
Jeu n°1 : Elu produit de l’année ou Simply the best
Protagoniste : le Parfait
Principe : ne montrer que la crème de l’iceberg, cette pointe d’excellence dans votre personne. Le reste n’est pas intéressant, cachons-le.
Voilà un jeu d’enfants, peut-être hérité de la cour d’école. A l’époque, c’était la voiture de Papa ou la taille de sa télé. Désormais, c’est montrer sa plus belle étiquette : un haut poste en entreprise, un CV impressionnant…
Quitte à ressortir une vieille étiquette en environnement hostile : dans une soirée Sciences Po, exhumer son passage en classes prépas pour se sentir à la hauteur.
Croyance : la valeur personnelle vient de la réussite scolaire puis professionnelle, elle-même à l’aune du poste (France) ou du salaire (Amérique du Nord)
Stratégie : défensive, protectrice (protéger son estime de soi)
Bénéfices : protection, assimilation au reste du groupe ou position de supériorité
Inconvénients : laisse peu de place à la surprise car chacun campera sous son étiquette sans rien montrer du reste de sa personnalité. On passe à côté des connexions potentielles, celles qui se créent sur des détails de vie et sont sources de belles affaires et de grandes amitiés.
Jeu n°2 : Le contrepied de nez
Protagoniste : le Trublion
Principe : jouer le trublion, faire valser les étiquettes
« Je ne suis pas là où vous m’attendez. »
ex :
« – Après l’ESSEC j’ai créé une holding (…) et vous ?
– Moi ? je suis kayakiste, en eau douce, et je cuisine. »
Traduction : non seulement je n’entre pas dans votre jeu d’étiquettes, mais en plus, j’y sème une légère zizanie de l’extérieur.
Stratégie : perturbatrice
Bénéfices : s’amuser, échapper à toute évaluation personne, mode canard (ou kayak justement) sur lequel glisse l’eau. Peut amener, par l’effet de surprise, une ouverture inattendue de l’interlocuteur
Inconvénients : marginalisation, difficulté à créer des liens si l’auditoire n’est pas réceptif. Nécessite une estime de soi stable ! Les estimes fragiles usent plutôt du premier jeu.
Jeu n°3 : Le kaléidoscope
Protagoniste : le Touche-à-tout
Principe : s’annoncer sous plusieurs étiquettes, revendiquer que je « fais beaucoup de choses », je suis donc une personne infiniment riche et qu’on ne peut résumer à un titre.
ex : citer son métier + son engagement associatif + ses passions + ses réalisations personnelles
Traduction : Je suis inclassable, irréductible, sans tag, les étiquettes ne prennent pas sur ma peau hétérogène.
C’est un mix des deux premiers jeux : on refuse d’ entrer dans le jeu du Parfait et en même temps on en suit le paradigme (la réussite, c’est être plus que les autres). Ce que ne ferait pas le Trublion.
Là où le Parfait « Simply the Best » se dira expert, la Touche-à-tout se dira dilettante, mais tous deux partagent la même croyance sur la valeur personnelle.
Et en transition professionnelle ?
Il est un cas particulier dans lequel l’exercice de la présentation se corse, c’est en période de transition professionnelle. On partage alors son temps entre une identité révolue et une identité d’avenir. Délicat positionnement de soi-même quand l’on traîne sa mue comme une peau parfois encombrante. Surtout quand on lui préfère de beaucoup la nouvelle !
Au final, nos identités de rôle sont souvent multiples et les replier comme un jeu de cartes pour n’en montrer qu’une seule peut être enfermant.
C’est d’ailleurs la thèse d’Amin Maalouf dans les Identités meurtrières : réduire l’éventail d’une personnalité à une seule des identités qui la composent tient parfois du casus belli… quand l’ego ou les valeurs sont touchées.
C’est surtout le choix que je veux souligner ici, le choix d’être une personnalité complète avec sa cohérence propre. Et la richesse, aussi, richesse de soi et des identités qui se nourrissent les unes les autres.
ex : vous êtes manager d’une équipe commerciale. Mais vous êtes aussi cavalier d’obstacle, tromboniste dans une fanfare, aîné d’une fratrie de 4 enfants. Ces identités de rôle enrichissent votre savoir-être de manager.
Vos rôles et violons d’Ingres font votre richesse.
Dans une époque où l’on parle beaucoup de marque personnelle ou « personal branding », il est important de réfléchir aux identités de rôle qui composent la sienne.
2 Commentaires
Bonjour Karine
Je suis au plan professionnel «psychothérapeute» – je correspond à peu de choses près au «plus que parfait»! J’ai offert mes services à titre de directeur clinique dans un Centre où la coordonnatrice un victime née -selon le triangle dramatique de Karpman- et le propriétaire du Centre – lui-même narcissique jusqu’à la perversion- prenaient plaisir à mépriser pour l’une et brutaliser pour l’autre les résidents. L’un a même fait une tentative de suicide qui l’a conduit à l’hôpital…Dans ce contexte, j’ai dénoncé et mon congédiement n’a pas tardé. Au plan professionnel, un questionnement m’a conduit à identifier mon identité professionnelle: «quels sont les recours à l’encontre d’une direction qui ne possède pas les qualifications humaines et professionnelles pour effectuer un travail qui respecte l’intégrité des personnes accueillies ?» J’ai pris conscience de mon esprit «Sauveur» et je me défie de ta réponse. J’ai quitté le Centre et assume la direction d’une Ressource d’hébergement coopératif pour personnes défavorisées en milieu urbain. Toujours le «Sauveur», c’est un plan de vie professionnel…Toutefois, je suis vigilent quant aux stratégies que je mets en oeuvre et qui me sont données d’observer dans mon milieu. La coopérative est un milieu qui favorise les échanges et les partages horizontaux. C’est déjà ça de pris !
Merci de tes chroniques Karine
Bravo pour cet excellent blog que je lis très régulièrement.