De la cour d’école à l’entreprise en passant par le terrain de sport, l’excuse au singulier joue sa petite musique : « ce n’est pas moi, c’est lui ! », « je n’y peux rien si », « ce n’est pas ma faute ».
Cette redondance m’interpelle : l’excuse semble un outil privilégié dans notre communication. A quoi nous sert donc l’excuse ? Quel sont ses bénéfices ? Et a-t-elle un coût ? Voyons comment l’excuse, en nous privant de responsabilité, nous ôte du même coup notre pouvoir.
« Si donc je m’ennuie aujourd’hui d’une aventure qui m’a occupé entièrement depuis quatre mortels mois, ce n’est pas ma faute.
Si, par exemple, j’ai eu juste autant d’amour que toi de vertu, et c’est sûrement beaucoup dire, il n’est pas étonnant que l’un ait fini en même temps que l’autre. Ce n’est pas ma faute.
Il suit de là, que depuis quelque temps je t’ai trompée : mais aussi, ton impitoyable tendresse m’y forçait en quelque sorte ! Ce n’est pas ma faute.
Aujourd’hui, une femme que j’aime éperdument exige que je te sacrifie. Ce n’est pas ma faute.
Je sens bien que te voilà une belle occasion de crier au parjure : mais si la nature n’a accordé aux hommes que la constance, tandis qu’elle donnait aux femmes l’obstination, ce n’est pas ma faute.
Crois-moi, choisis un autre amant, comme j’ai fait une autre maîtresse. Ce conseil est bon, très bon ; si tu le trouves mauvais, ce n’est pas ma faute.
Adieu, mon ange, je t’ai prise avec plaisir, je te quitte sans regret : je te reviendrai peut-être. Ainsi va le monde. Ce n’est pas ma faute. »
Lettre de rupture suggérée par la Marquise de Merteuil au Vicomte de Valmont, in lettre CXLI des Les Liaisons dangereuses (Choderlos de Laclos)
Il m’a plu de vous proposer en préambule cet extrait littéraire illustrant parfaitement la notion d’excuse et son étymologie.
Excuse vient du latin ex causa, « hors de cause » : les causes sont prétendues extérieures à celui qui est excusé. Dans la lettre de rupture rédigée par Mme de Merteuil, ces causes (« la nature », « le monde », les femmes, etc.) sont toutes bien extérieures et l’excusé n’a pas de pouvoir sur elles. Ce n’est donc pas « sa faute ».
A quoi nous sert l’excuse et quel est son prix ?
L’excuse, ex causa : des bénéfices
Premier constat, si les causes sont extérieures, l’excusé est blanc comme neige, innocent et… impuissant (j’y reviendrai).
Cette innocence aux mains impuissantes a un bénéfice : elle lève toute culpabilité.
Ex :
– Je suis partie à l’heure mais il y a eu un problème dans les transports.
– J’aurais dû évoluer dans mon entreprise, mais c’est mon N+1 qui me met des bâtons dans les roues.
– Mon entreprise n’a pas atteint ses objectifs mais c’est la crise
Vous connaissez la mécanique en deux temps :
1. « moi j’ai fait ce qu’il fallait »
2. « MAIS des facteurs extérieurs ont ruiné mes efforts »
Naturellement, c’est parfois vrai (loin de moi l’idée de disculper entièrement les transports en communs et logiciels de messagerie). Ce qui nous intéresse c’est que, vrai ou non, ce principe de cause extérieure a des bénéfices importants.
Les bénéfices de l’excuse :
- Elle nous libère de la culpabilité – quand l’on croit soi-même à son excuse.
L’idée : « Je ne suis pour rien », « Ce n’est pas ma faute », je n’ai rien à me reprocher
ex : ce n’est pas moi qui suis en retard, c’est le train. - Elle nous rend irréprochable (donc parfait ?) aux yeux des autres
L’idée : « J’ai fait mon possible, j’ai fait ce que j’avais à faire »
ex : j’ai toutes les qualités pour passer chef d’équipe, c’est mon N+1 qui ne m’apprécie pas - Elle nous permet de reporter ou ne pas faire un travail, ce qui peut soulager notre agenda
L’idée : « Je n’y peux rien »
ex : je ne peux pas finir ce dossier, il me manque la partie rédigée par Antoine
Quels types de collaborateurs recherchent ces bénéfices ?
Tout le monde un jour ou l’autre ! En particulier ceux qui sont mal à l’aise avec l’idée de faire des erreurs (perfectionnistes), ceux qui manquent de confiance en eux, ceux qui sont débordés et sous pression (comme les managers et dirigeants). Cela fait du monde !
Dans une culture d’entreprise (française ?) qui aime l’excellence et considère les erreurs comme de vrais échecs, l’excuse nous permet d’alléger le poids sur nos épaules. L’excuse-échappatoire nous libère d’une culpabilité trop pesante. On le voit par exemple chez certains dirigeants lors d’affaires rendues publiques.
Dans certains cas, pourquoi pas ? Cependant quand elle devient systématique, elle révèle d’autres aspects de la personnalité qu’il est intéressant de creuser ; je reviendrai sur ces spécialistes de l’excuse, les « excusomanes », dans un article « Manager … un roi de l’excuse ».
Et surtout l’excuse présente des inconvénients qu’il vaut mieux connaître pour faire le bon choix.
Le revers de la médaille : démission, freins & perte d’énergie
L’excuse présente surtout des bénéfices à ceux qui l’utilisent avec parcimonie. Les rois de l’excuse, eux, basculent rapidement du côté des inconvénients.
Pourquoi ? Parce que responsabilité rime avec pouvoir.
Si je « n’y peux rien », je ne suis pas coupable – avantage – mais le corollaire est que je n’ai pas de pouvoir pour changer la situation -inconvénient ! Je suis impuissant(e).
Ainsi, l’excuse est une forme de démission.
Exemple
Certes le chef de projet n’a pas de pouvoir sur la validation du client, si ce n’est par des relances. En revanche – et c’est là que l’excuse est démission – n’a-t-il vraiment aucun pouvoir sur la situation ?
S’il reste dans cet état d’esprit « à qui la faute », rien ne va se passer de plus. Le projet attendra la réponse du client.
Pourtant à la question « Il n’y a rien que tu puisses faire pour faire malgré tout avancer ton projet », la réponse honnête a toutes les chances d’être oui…
Si ce chef de projet fait souvent appel à des excuses de ce type, il s’enferme dans un fonctionnement sans pouvoir. Voilà qui limite beaucoup son potentiel professionnel ! Sans s’en rendre compte, il se prive peu à peu de liberté d’agir.
Est-ce vraiment ce qu’il veut pour lui-même ?
2 exemples :
L’excuse répétée nous prive de responsabilité, de pouvoir, de liberté. Elle nous empêche aussi d’apprendre par l’erreur, puisque nous ne faisons pas d’erreur.
Elle est un frein à notre évolution. Une bonne de raison de négocier avec son perfectionnisme…
Et du côté du management, travailler avec des rois de l’excuse n’est pas de tout repos, nous le verrons dans « Manager… un roi de l’excuse ». C’est d’ailleurs une partie émergée de l’iceberg : derrière l’excuse répétée on trouve des difficultés comme le manque de confiance ou d’estime de soi, des peurs, la procrastination, le perfectionnisme, et autres. Ces difficultés elles-mêmes donnent du fil à retordre à la personne elle-même, et à son manager ; l’un et l’autre n’ont d’ailleurs pas souvent conscience de la nature de ces difficultés.
Ce qu’il y a de fatigant avec l’excuse c’est qu’elle demande de l’énergie :
– à celui qui l’emploie pour la trouver, la formuler, l’argumenter
– à celui qui l’entend pour la comprendre, la questionner, creuser… (d’autant que l’excuse systématique devient suspecte)
Avez-vous déjà essayé de confronter quelqu’un qui invoque un alibi, une excuse ? S’il se défend comme un diable, bonne chance. C’est un peu comme donner des conseils à quelqu’un qui n’a rien demandé – c’est notamment pour cela qu’un coach ne donne pas de conseils !
Votre responsabilité, votre pouvoir
Si vous avez souvent tendance à invoquer des causes extérieures, que pensez-vous de ce qui précède ?
Quand l’excuse vous aide-t-elle, et quand vous limite-t-elle ?
Quelles sont ses bénéfices pour vous, et son coût ?
Quand le coût écrase les bénéfices, vous pouvez avoir l’envie de changer ce fonctionnement.
Voici quelques pistes de travail :
- Dégonfler son Sois Parfait : voir notre dossier sur le perfectionnisme
- Renforcer son Estime de soi et sa Confiance en soi (une bonne estime de soi n’a pas besoin d’alibis en cas d’erreur ou de peur d’agir)
- Apprendre par l’erreur [lire l’article : Vive l’erreur ! Feedback & amélioration continue ] : avoir le plaisir de dire « je me suis trompé(e) » et ce n’est pas un problème car j’assume cette erreur et j’en apprends quelque chose
- Travailler son assertivité [article Assertivité, communiquer sans bémol ]
- Explorer les mécanismes de la procrastination [article La procrastination en équation ]
- Trouver quels drivers vous pilotent [article Vos drivers ]
- Agrandir sa zone de confort [article sur la zone de confort ]
Conclusion
Une blague me revient, celle d’un petit qui sursaute à l’arrivée de la maîtresse et s’empresse de lui dire « C’est pas moi, M’dame, j’ai rien fait ! » La maîtresse amusée répond : « Mais fait QUOI, Antoine ? Quelqu’un a fait une bêtise ? » Il y a dans l’excuse une part héritée de notre enfance, le c’est-pas-moi-c’est-l’autre. Une bonne raison de ne pas prendre position sur le terrain de l’erreur, du risque, de l’action.
Des causes externes, on en trouve à chaque instant, tout est interdépendant et systémique – je le crois. Mais la promptitude à s’y référer pour suspendre l’action et attendre, est une faiblesse qui peut miner votre existence et votre entreprise.
Que puis-je pour vous ?
Le coaching permet de tester des stratégies différentes de celles que vous utilisez habituellement, et ce de manière cadrée et sécurisante.
Si vous êtes devenu(e) expert en excuse et voulez recouvrer toute votre faculté d’agir, pensez au coaching !
3 Commentaires
je suis reconnaissant a votre sujet et je vous remercié infiniment au temps que mes enfants se disputent constamment et je n ai pas agit convenablement faute de savoir agir mais en cela je voudrais vous dire quand j ai lis votre de votre effort je me suis consolide et je pourrais maintenant commencer a faire rapprocher les enfants merci
Bonjour Miklos,
merci de ton commentaire !
Au plaisir,
Karine
Chère Karine, je suis frappé quel est bon & complèt, cet article. Je l’aime vraiment bien.
@preisocrates