L’époque actuelle nous invite à une démarche inédite, en tous domaines. “Bilan carbone”, “empreinte écologique”, “responsabilité sociétale” : nous sommes appelés à questionner et mesurer les conséquences de nos actions quotidiennes. Et ce, d’autant plus que ces effets sont devenus systémiques avec la mondialisation des échanges. Effets domino ou papillon, nous prenons conscience de notre influence sur les équilibres du monde. Nous voilà face à notre responsabilité personnelle. Comment cette question se pose-t-elle dans notre quotidien au travail ? Et avec quelles conséquences ?
La question du sens au travail a pris une large place dans les articles sur la motivation et le bien-être au travail. Mais on peut la prolonger, de nos jours, par une autre interrogation : quel est l’impact de ce que je fais dans mon métier, sur la société et sur le monde ?
Nous passons ainsi du domaine des intentions ou de la “mission” à celui des effets concrets de notre travail et de la manière dont nous l’accomplissons. Des idées sur le papier, aux impacts réels.
Quoi… encore !? Nous sommes déjà fortement interpelés, en tant qu’individus, sur notre responsabilité sociétale et environnementale. Justement, puisque nous ne pouvons y échapper, je vous propose de nous pencher ensemble sur ce sujet. L’idée : passer d’un sentiment parfois diffus à une idée plus nette de notre responsabilité.
Agir localement, penser globalement
“Ne rien jeter, ne rien vider, la mer commence ICI” indiquent les grilles d’évacuation d’eau de pluie dans la ville de Collioure, dans les Pyrénées orientales (1). Une métaphore des effets systémiques de nos actions les plus banales : nous sommes connectés à un Tout.
Et jusqu’au fin fond des océans, l’empreinte humaine est désormais visible. “Du plastique jusqu’au fond de la fosse des Mariannes” titraient les journaux récemment. Le submersible de Victor Vescovo, descendu à 11 000 mètres de profondeur au milieu du Pacifique, a découvert des déchets plastiques. Les sommets enneigés ne sont pas jaloux : dans leur pluie et leur neige on a retrouvé récemment des micro-particules synthétiques.
Mais regardons aussi du côté de la forêt qui pousse, moins sonore que l’arbre qui tombe. L’indien Javad Payeng, “Forest Man”, a planté un arbre par jour pendant 40 ans, jusqu’à avoir reconstitué une vraie forêt de 500 ha à Jorhat, en Inde. (2)
Aujourd’hui, c’est sur tous les fronts, de l’écologie au social, que nous sommes invités à mettre en perspective nos gestes les plus simples et les resituer à une échelle plus large.
Et ce n’est pas toujours confortable.
Se voir co-responsable : pas toujours confortable
D’une part ces questions ouvrent une boîte de Pandore : une information appelle une question, nous naviguons en pleine complexité. Appréhender l’ensemble demande du temps et de l’effort.
Exemple : si je travaille pour développer des applications mobiles, d’un côté j’ai le sentiment d’aider des personnes à se simplifier la vie, à s’informer ou se détendre. De l’autre, je contribue à augmenter la place du numérique dans un quotidien déjà hyper-connecté, où l’on parle même d’addiction aux smartphons. Et je contribue aussi à accroître le volume de données échangées sur le réseau, ce qui donne du travail aux employés des télécoms mais encourage le déploiement de la 5G qui fait débat etc.
Complexe, cette démarche peut aussi déboucher sur une remise en cause personnelle plus ou moins profonde.
Exemple : dans les années 50 aux Etats-Unis, un débat a animé les ingénieurs à qui l’on demandait de programmer une durée de vie limitée pour les produits, au détriment de l’utilisateur. La logique naissante d’obsolescence programmée les a questionnés dans leur éthique. (3)
Inconfortable voire risqué, ce débat devient pourtant incontournable. Est-il encore possible aujourd’hui de travailler tranquille sans se poser ces questions ?
Comme tout cela est bien complexe, je vous invite à poser ces questions en jouant avec deux métaphores : le rouage et le sillage.
De quoi suis-je le rouage ?
Salarié ou entrepreneur, nous nous insérons dans une chaîne faite de clients, fournisseurs, collègues, équipes etc.
Rouage individuel, nous sommes entraînés à tourner par d’autres rouages : ceux qui nous passent commande ou nous fixent des objectifs par exemple. Et en tournant, c’est-à-dire en dépensant de l’énergie à travailler, chacun contribue à entraîner d’autres rouages.
C’est là qu’une question se pose :
Qu’est-ce que l’énergie que je dépense au travail, contribue à faire tourner ?
Qu’est-ce que cela génère à petite et grande échelle ?
Qu’est-ce que mon petit rouage, même minuscule, entraîne avec lui ?
Quelques illustrations :
Entreprendre pour une mode responsable ?
“Notre modèle économique est basé sur une contradiction : un énorme volume de vente, alors que nous prônons plutôt une consommation raisonnée.”
Ainsi les deux entrepreneuses ont-elles choisi de ne pas être ce rouage d’un accroissement de la consommation textile. (4)
Le coach en entreprise : rouage de quoi ?
Alors la coach que je suis s’interroge. En accédant à sa demande, et à celle de l’organisation qui est d’aider ce manager à en faire encore plus à équipe constante, que contribuons-nous à faire tourner, lui le manager coaché et moi la coach ?
Et avec quelles conséquences pour ce manager, pour son équipe, pour l’organisation ?
Peut-être alimentons-nous une fuite en avant, un “toujours plus de la même chose” qui produit plus d’usure chez le manager, voire un burn-out. Avec le risque d’autres départs dans une équipe où l’on s’épuise. Et l’on peut encore élargir le champ de vision pour observer les effets à plus grande échelle…
Salarié, heureux rouage ?
Suis-je malgré moi l’un des rouages du mal-être dans mon équipe en répercutant stress et pression avec des objectifs élevés ? Ou bien est-ce que je contribue à donner du travail à des équipes, à des fournisseurs, et à développer un secteur d’activité qui me semble bénéfique pour la société de mon pays ?
Dans tous les cas s’interroger sur ce que l’on contribue à faire tourner, au-delà de soi, peut aider à mettre des mots sur un sentiment diffus de malaise, de décalage avec ses propres valeurs ou de perte de sens.
Quel est mon sillage ?
Une autre image pour questionner notre impact, c’est celle du sillage dans l’eau.
Comme ce bateau de pêche qui rejette une partie de sa prise, et attire une nuée de mouettes qui le suivent pour profiter du festin. On parle alors d’externalité “positive” – en tout cas pour les mouettes.
Plus haut dans le ciel, nous voyons tous les jours les traînées blanches laissées par les réacteurs des avions. Les effets de ces traînées de condensation sont étudiés et entrent dans les externalités négatives (une affaire de « forçage radiatif », je laisse cela aux spécialistes ;)
Et moi, dans mon travail, quel est mon sillage ?
Mon effet sur l’équipe, sur mes interlocuteurs, sur mes clients ?
Qu’est-ce que je laisse derrière moi en partant le soir, ou en confiant mon poste à un remplaçant ?
Quelle trace laisserai-je dans cette entreprise ?
Peut-être avez-vous connu un manager plein d’entrain dont la seule présence anime tout le plateau. Le genre de chef d’équipe qui remonte le moral le plus abattu avec une simple discussion à la machine à café.
Et sans doute connaissez-vous un manager qui verse dans le pessimisme, “on ne va pas y arriver”, “on n’est pas au point”, “c’est mort pour les objectifs”. Quel est son impact sur ses collaborateurs et ses pairs quand il a cette attitude ?
Vérifier son sillage
Contrairement à celui du bateau qui fend une mer homogène, notre sillage n’est pas évident à mesurer.
Est-ce le mode de management du responsable, ou les multiples changements dans l’organisation ou encore l’attractivité de la concurrence, qui a généré ces départs en nombre l’été dernier dans la filiale ?
Terminons sur l’image de Maya Bay, la plage thaïlandaise rendue célèbre par le film La Plage. Au plus fort de l’activité touristique, des centaines de bateaux à moteur s’y rendaient chaque jour. Jusqu’au jour où les responsables des parcs nationaux ont constaté la destruction des fonds marins, avec la mort des récifs coraliens.
Est-ce le réchauffement des océans, ou les effets du tourisme (crème solaire, ancres des bateaux, bruit / vibration des moteurs, déchets, etc.), qui a le plus contribué à dégrader l’écosystème ? Les scientifiques peuvent l’étudier.
Mais une chose est sûre : fermée depuis 2018, la plage reprend vie, des requins à pointe noire y ont notamment été observés.
Conclusion
Alors comment vérifier son propre sillage au travail ?
En allant chercher du feedback pour réguler son action,
et en changeant parfois quelque chose pour constater la différence, dans uen recherche d’ajustement.
Par exemple, sur le plan des relations humaines :
Que disent de vous vos collègues, votre équipe ?
Qu’est-ce que ça change pour eux depuis que vous travaillez avec eux ?
Et quand vous n’êtes pas là ?
Ou sur le plan du développement durable :
Quelles pratiques évoluent sous votre influence ?
Ex : vous avez adopté une démarche zéro déchet, sous le regard amusé ou curieux de vos collègues. Combien vous ont emboîté le pas depuis, même sur des petites choses ?
Un premier pas pour chacun d’entre nous, c’est sans doute la conscience que notre travail et la manière dont nous le faisons a un impact, une influence sur le monde. Et de là, chercher à mesurer objectivement ces effets, pour s’assurer qu’ils sont en cohérence avec ce que nous souhaitons.
D’ailleurs… quel impact avez-vous vraiment envie d’avoir ?
Prolonger :
Repenser son travail en tenant compte de la complexité et des multiples facteurs
Sources de cet article :
(1) Des messages sur les plaques d’égout pour lutter contre la pollution
(2) source : vidéo National Geographic
(3) source : Prêt à jeter – l’obsolescence programmée, documentaire de Cosima Dannoritze, Production ARTICLE Z, MEDIA 3.14, ARTE France
(4) source : Grande nouvelle on ferme, article sur Linkedin