Comme un seul Homme

Je suis Charlie - logo de Joachim RoncinEn quatre jours, du 7 au 11 janvier 2015, la France a été le théâtre du pire et du meilleur : la barbarie du terrorisme, et en réponse, un élan inédit de solidarité qui a rassemblé hommes et femmes de France et d’ailleurs. Nous sommes très nombreux à avoir ressenti la puissance de cet élan qui change tout dans notre manière de vivre ensemble. Comment prolonger cela dans un quotidien plus apaisé mais toujours conscient ? Cet article est ma modeste contribution à une question qui anime de très nombreux esprits.

 

Dans les heures qui ont suivi l’attentat contre Charlie Hebdo et les attentats de Montrouge et de Vincennes, le message « Je Suis Charlie » (avec le logo créé par Joachim Roncin) a été relayé à grande échelle sur les réseaux sociaux et dans les medias. Le dimanche 11 janvier, près de 4 millions de Français descendaient dans les rues pour exprimer dans une marche républicaine, leur solidarité et leurs valeurs. Partout dans le monde, des messages, des pétitions, des marches ont répondu en écho.

Ce qui a vibré si fort pendant ces derniers jours entre nous tous, c’est l’unité englobant les différences.

Pour une fois, ces différences (culturelles, sociales, politiques, religieuses etc.) n’avaient plus matière à diviser : quelque chose de plus grand que nous tous avait émergé pour nous rassembler comme un seul homme. Quelque chose qui touchait à nos valeurs, à notre identité, à notre raison d’être au monde.

Ce « plus grand » universel porte plusieurs noms, chacun choisira le sien : humanité, solidarité, diversité et bien sûr les valeurs républicaines « liberté – égalité – fraternité » qui ont surgi des frontons de pierre pour venir résonner dans nos coeurs. Chacun de nous a été touché pour des raisons qui lui sont personnelles.

Ainsi, au matin de ce dimanche 11 janvier 2015, un miracle avait lieu. Dans les transports qui menaient à la marche, les citoyens serrés comme des sardines parlaient au premier inconnu, prenaient soin du voisin compressé, se souriaient avec les yeux. Dans les avenues la foule immense marchait comme un seul corps, souple, calme et concentré ; les regards étaient graves mais pleins d’espoir, les applaudissements solennels se répandaient comme le vent sur les blés ; quelques Marseillaises venaient réchauffer les coeurs, tous profondément reliés.

Derrière ce slogan « Je Suis Charlie » devenu symbole d’un mouvement spontané, des milliers de façon de penser la même chose : nous voulons un monde sans barbarie, un monde où clamer sa différence est une chance et un droit, tant que c’est sans violence. Cette vision du monde devenait presque notre identité (« je suis »), car nous devions la défendre.

Par leurs actes ignobles ces terroristes ont mis tout le monde d’accord… contre leurs idées. Comment garder cette flamme au jour le jour, et ne pas laisser nos valeurs se rendormir en bonnes statues de pierre ?

Peut-être en commençant par prendre conscience de notre fragilité d’humains.

Point de Vérité

De loin, ce terrorisme nous paraît une maladie grave et rare, un mouton noir. A y regarder de près, il devient plus difficile de se draper dans sa belle image de républicain(e) incorruptible. Car en fait, la première étincelle de terrorisme s’allume potentiellement en chacun de nous chaque fois que nous voulons imposer notre volonté au nom de ce que nous croyons vrai. Et cela peut nous arriver à tous, un beau matin.

N’avez-vous jamais eu de certitudes telles que rien ne pouvait les ébranler ?

N’avez-vous jamais cherché à imposer à l’autre votre point de vue, presque de force ?

N’avez-vous jamais ressenti une violence intérieure quand vos opinions étaient rejetées ?

Le fascisme, l’extrémisme et le terrorisme sont des pensées rigidifiées qui rejettent violemment tout ce qui les contredit. Celui qui « pense » ainsi, quand il ne réussit pas à imposer son idée, procède par la violence physique.

Le remède à cette disposition qui peut mener aux pires dérives, c’est une manière de regarder le monde avec ouverture et curiosité. Depuis le 1er siècle avec Epictète jusqu’au siècle dernier avec les constructivistes, des penseurs ont toujours mis en évidence le rôle de nos représentations mentales dans ce que nous percevons de la réalité. Paul Watzlawick par exemple, quand il a écrit La réalité de la réalité :

« De toutes les illusions, la plus périlleuse consiste à penser qu’il n’existe qu’une seule réalité. En fait, ce qui existe, ce sont différentes versions de la réalité, dont certaines peuvent être contradictoires, et qui sont toutes l’effet de la communication et non le reflet de vérités objectives et éternelles. » Paul Watzlawick, La réalité de la réalité

Le même Watzlawick a dit aussi :

« Une idée, pour peu qu’on s’y accroche avec une conviction suffisante, qu’on la caresse et la berce avec soin, finira par produire sa propre réalité » Paul Watzlawick, Faites vous-mêmes votre malheur, Seuil (2009), p.54

Si je me dis que ma vérité n’est pas plus vraie qu’une autre, alors je commence à écouter et regarder les autres avec une plus grande ouverture.

Pluralité

La barbarie rassemble contre elle tout ceux qui se sentent appartenir à l’humanité.

Pouvons-nous ressentir autrement notre humanité, sans le catalyseur de la barbarie ?

Je crois que oui.

Chaque fois que nous nous sentons vulnérables, mortels, sensibles, pensants, émotionnels, imparfaits, complexes, et surtout uniques, nous touchons du doigt notre humanité.

Et aussi chaque fois que nous regardons l’autre en le ressentant comme tout cela, nous sommes vraiment humains.

Unique et complexe est chaque frère humain, sauf quand nous cédons aux étiquettes et aux amalgames.

Amin Maalouf en parle très bien dans les Identités meurtrières :

« C’est notre regard qui enferme souvent les autres dans leurs plus étroites appartenances, et c’est notre regard aussi qui peut les libérer. »

 

« Il faudrait faire en sorte que personne ne se sente exclu de la civilisation commune qui est en train de naître, que chacun puisse y retrouver sa langue identitaire, et certains symboles de sa culture propre, que chacun, là encore, puisse s’identifier, ne serait-ce qu’un peu, à ce qu’il voit émerger dans le monde qui l’entoure, au lieu de chercher refuge dans un passé idéalisé. Parallèlement, chacun devrait pouvoir inclure dans ce qu’il estime être son identité, une composante nouvelle, appelée à prendre de plus en plus d’importance au cours du nouveau siècle, du nouveau millénaire : le sentiment d’appartenir aussi à l’aventure humaine. »
Amin Maalouf, Les Identités meurtrières, Grasset, Paris, 1998, p. 187-188

Quand je regarde l’autre dans sa pluralité, j’ai plus de chances de trouver ce qui me rapproche de lui, et d’accepter ce qui m’en éloigne.

Alors pour continuer à « être Charlie », pourquoi ne pas choisir de regarder l’autre comme pluriel :

Tu es bordelais, ingénieur, père de famille, un peu poète, joueur d’échecs, amateur de chocolat, catholique, marathonien… et d’autres choses encore.

Tu es parisienne, étudiante, geek, scientifique, fine cuisinière, arachnophobe, non-fumeuse, et bien d’autres choses.

Tu es humain(e) et pluriel(le), essentiellement.

5 Commentaires

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    • Alex sur 25 janvier 2017 à 13 h 38 min
    • Répondre

    Pour ne pas être manipulé, je fuis Charlie !

    • Jeanne Rochon sur 9 avril 2016 à 16 h 04 min
    • Répondre

    Bonjour, merci pour votre article très plaisant! Je suis de paris et je suis passioné par ce sujet. Grâce à votre blog que je viens découvrir au hasard d’un surf, je vais en découvrir davantage. Amicalement.

    • Karine sur 17 janvier 2015 à 15 h 24 min
    • Répondre

    Bonjour Thierry et Serge,
    Merci de vos messages en réponse, merci d’avoir partagé vos visions et ressentis sur les événements.
    Oui il y a débatS et il me semble essentiel de rester dans ce mouvement de confrontations d’idées.
    Et Oui, quelque chose est né, à nous de le faire grandir.
    Très bon week-end à vous,
    Karine

    • Serge Meunier sur 16 janvier 2015 à 7 h 50 min
    • Répondre

    Bonjour Karine
    Ce texte fait suite à la sensibilité éclairée des parutions habituelles. Ici il y a la ré-immersion dans ce qu’ont effectivement été ces jours de folie, de sagesse, et l’intuition de faire qu’un écho plein de fraîcheur mais aussi de force puisse exister. C’est énoncé avec finesse. C’est ainsi un plaisir pour moi ce matin de m’y joindre, par la communion de pensée, par quelques mots venant avec fluidité, confiance. Soyons en accord profond avec cela. Il y a là, qui naît, « quelque chose »…
    Serge

    • Thierry sur 15 janvier 2015 à 9 h 25 min
    • Répondre

    Merci Karine de cette jolie contribution au débat national !
    J’étais dimanche au milieu de ces 4 millions de citoyens choqués et galvanisés par ce sentiment plein d’humanité « spontanée » et il est vrai que cela était réconfortant de nous voir tous unis.
    A la réflexion, mon opinion est que ce dimanche nous nous sommes (sagement) abstenu d’échanger sur ce que nous mettions derriere le slogan « je suis Charlie ». Pour ma part, je pensais Liberté et liberté d’expression car pour moi c’est la contradiction et le débat qui fait grandir l’homme et la civilisation.
    Que devons nous penser de cette très grande minorité qui à ce jour fait entendre sa voix en affirmant « je ne suis pas Charlie » ? Cela fait il référence à ton article et les différentes formes de réalités ?… J’ai l’age d’avoir connu d’autres formes de terrorisme (bande à Baader, brigade rouge, Carlos…) et si aujourd’hui elle est plutot musulmane intégriste, comment peut on débattre sur les réalités qui semblent très différentes entre un laïc et un musulman, un juif, un bouddhiste, etc…
    ce débat je le mene actuellement avec des amis musulmans et j’encourage tout le monde à participer comme dimanche à la défense de la liberté républicaine, ce qui n’est pas la réalité de chacun alors il faut expliquer chacun à son niveau.

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