Espoir et adaptation 1 – Spero et Godot

Mirage chaud sur le Grand Lac Salé, Utah, États-Unis - WikipediaTant qu’il y a de la vie, y’a de l’espoir, dit le dicton. Mais tant qu’il y a de l’espoir, il y a parfois insistance à avancer dans une impasse. Et à s’accrocher à des solutions qui – certes “jusqu’ici” – ne fonctionnent pas. Ce sont ces moments où l’on se dit “il va bien finir par comprendre, par changer…”. Ou “l’entreprise va bien finir par sortir de cette crise et me redonner une mission intéressante…”. Ou encore “je vais bien finir par me décider, ce n’est juste pas encore le bon choix”. Pour le meilleur… ou pour longtemps.

Avec un peu de chance, ça va marcher

Parfois, cela finit bien… par arriver en effet. La situation se dénoue, notre patience ou notre insistance a payé. Tant mieux ! Mais quand ce n’est pas le cas, il se peut que nous laissions du temps, de l’énergie, voire quelques plumes à persévérer encore et encore dans ce qui semble… “mal parti” / ne pas vouloir se faire / des efforts peu payants (rayer les mentions inutiles). Il y a ce moment, vous savez, où l’on se rend compte que ce que l’on attend n’arrive pas. Mais comme nous n’avons pas prévu d’autres options, nous résistons à nous dire qu’il va falloir changer de direction.

Spero, d'après By Will Eisner (pencils) and Lou Fine (inks), uploaded by Roygbiv666 - Public Domain Super Heroes, Public Domain, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=10405477Et c’est justement là que l’espoir intervient. Etymologiquement, espoir vient de spero, “attendre, s’attendre à (quelque chose de positif).”

Avec sa jolie cape qui flotte au vent, Spero l’espoir vient nous dire “Mais non t’inquiète, c’est pas perdu, attends de voir…” Spero veut nous protéger de désagréments, de faire face à des émotions coûteuses.

Et qui n’a pas observé en lui-même ou chez l’autre ce mouvement bien humain : cette insistance dans une voie qui montre tous les signes de l’impasse ? Avec la lueur d’espoir de découvrir l’ouverture espérée, le passage salvateur : celui qui épargne le demi-tour, le “tout ça pour ça”, et le changement radical que constitue, dans la vie, un virage à 180°.

Le poste de Virginie doit évoluer bientôt

Virginie veut encore y croire. Manager d’une petite équipe dans une entreprise de telecom, elle voit depuis 18 mois son environnement changer. A la suite d’un rachat par un groupe plus grand, son poste fait doublon avec le poste d’une homologue dans l’entreprise-mère. Son équipe a moins de projets à gérer. Et elle-même constate qu’elle n’est plus conviée à toutes les réunions sur son coeur de métier.

Le problème pour Virginie, c’est la frustration de ne pas avoir de projets à mener, de perspectives d’avenir. Et surtout, de voir que son homologue est, elle, au coeur des décisions stratégiques.

Aller-retour entre doute et espoir

Elle a tenté d’en parler avec sa hiérarchie. Qui lui répond “tout va bien, c’est la période de calage”. Elle a aussi pris la température via son réseau. Mais ses interlocuteurs sont souvent eux aussi dans l’expectative. Un collègue plus ancien et qui a été sollicité pour organiser le rachat, lui donne un autre son de cloche. Il lui dit “Pense à toi, commence à regarder ailleurs, ça risque d’être long et ils ont prévu de positionner les managers de la maison-mère sur tous les postes intéressants.”

Le soir même, déterminée à faire ses choix avant qu’on choisisse pour elle, Virginie a refait son CV et commencé à regarder les postes dans son domaine. Mais cet élan est retombé : de retour au travail, elle se dit qu’elle a “encore des choses à faire ici” et que “tout n’est pas perdu”.

Chaque fois que Virginie imagine prendre son destin en main sans attendre, et organiser sa sortie de l’entreprise, elle se dit “ce serait dommage, ça va peut-être bientôt se débloquer.

Quand elle a des doutes, elle se dit qu’on ne fuit pas une maison simplement parce que l’alarme incendie s’est déclenchée. Elle se rassure en se disant qu’ils ont forcément pensé à elle et à son équipe. Qu’ils ont prévu de leur donner une mission intéressante, qu’on va les informer bientôt.

Abandonner si vite ? Jamais

Un matin Virginie apprend que son homologue est envoyée à San Francisco sur un salon des innovations télécoms (où Virginie était envoyée les années précédentes.) Elle se renseigne auprès de son N+1 qui lui dit “elle te débriefera au retour, elle a un bon réseau et sera efficace sur place, et puis de toute façon, c’est dans sa feuille de route. Patiente, ton poste va évoluer bientôt, on en reparle quand ce sera le moment.”

D’abord surprise puis fâchée, Virginie se raisonne “ça va bientôt être mon tour, une fois qu’ils auront finalisé la réorganisation.” C’est ce que Spero lui dit. Mais en vrai, rien ne vient.

Chaque fois que Virginie se dit “il faut que je parte”, une voix intérieure lui répond “abandonner si vite ? Quel dommage après tant d’années dans cette entreprise. Tout ce que tu as créé avec l’équipe ne doit pas être perdu, si tu pars, qui en seras le gardien ?”

Voulez-vous mettre à jour votre Vision du monde ?

L’espoir de Virginie, c’est qu’il y ait une chance que son placard n’en soit pas un. Qu’il ait un double-fond, une porte, une ouverture magique qui soudain renverse la situation de manière favorable pour elle et son équipe.

ill_maj_VDMC’est aussi l’espoir de ne pas avoir à payer un prix, celui de télécharger une mise à jour de sa vision du monde, qui lui est proposée avec insistance par son environnement, comme sur nos ordinateurs quand une fenêtre revient, disant  “Téléchargement de la mise à jour de W… “ avec 3 choix “me le rappeler” “pendant la nuit” “télécharger”.

C’est comme si Virginie cliquait sur “Me le rappeler plus tard”.

Et comme je la comprends… Qui a envie de modifier sa vision du monde, la manière dont il voit l’existence et son environnement ? Nous n’avons pas prévu de modifier notre carte du monde, la plupart du temps. En effet, elle nous maintient en équilibre et fait du Monde un tout cohérent à nos yeux.

Et rien n’est plus comme avant

Imaginons que Virginie intégre la synthèse des réponses qu’elle obtient de son environnement depuis des mois. Voici ce que pourrait contenir la fameuse mise à jour de sa vision du monde :

  • cette entreprise n’est pas aussi bienveillante / juste que je le croyais
  • tout le travail réalisé avec mon équipe pendant ces années n’a pas la valeur que j’espérais, en tout cas pas pour les décisionnaires
  • je ne suis pas indispensable
  • je ne suis pas protégée par ma hiérarchie, je dois me rendre à l’évidence, chacun pense à lui uniquement…
  • et donc, il va falloir que je compte sur moi-même et que je me mobilise pour changer de poste
  • etc.

Sacrés changements de perspective !

D’un autre côté, intégrer ces nouveau éléments permettrait à Virginie de reprendre en main sa carrière. Et ce, grâce à une perception plus réaliste de son environnement.

Elle aurait alors acquis la certitude que le changement ne viendra pas de l’entreprise. Et elle pourrait choisir de le mener elle-même et trouver des solutions.

En renonçant au pernicieux espoir d’un changement providentiel, elle trouve un autre espoir, en elle-même, mais il a un prix.

La courbe du deuil ou du changement

courbe du deuil - courbe du changementMise au point par la psychiatre et psychologue suisse Elisabeth Kübler-Ross, la courbe du deuil ou courbe du changement montre différentes étapes par lesquelles nous passons quand il est question d’un changement qui nous affecte.
L’espoir nous maintient dans une étape de déni ou de négation, nous évitant de traverser la colère et la peur liée au changement.

Spero ou Godot ?

Pour finir, je vous propose une image poétique, celle des deux personnages de la pièce En attendant Godot (1953) de Samuel Beckett. L’auteur y met en scène deux vagabonds, Estragon et Vladimir, qui attendent un certain Godot, assis au bord d’une route de campagne. Godot n’arrivera jamais et la pièce semble pouvoir durer encore et encore. A la fin de chacun des deux actes, les deux personnages semblent se décider à y aller (“Alors on y va ? – Allons-y”) mais ne bougent pas.

godot

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Questions pour vous

  • Attendez-vous depuis un moment que quelque chose change ? Si oui, sur quel espoir fondez-vous cette attente d’un changement ?
  • Et sur quoi cet espoir est-il fondé ?
  • Imaginons que cet espoir ne se réalise pas, que feriez-vous ? Avez-vous un plan B ? Que ferez-vous ?

Dans le prochain article, nous verrons comment l’espoir peut également nous amener, non plus à patienter, mais à agir davantage dans une voie, déployant des trésors d’énergie, dans une escalade d’engagement.

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