Les 10 plaies de la légitimité managériale [2/3]

tableau de John Martin, The Seventh PlagueAvec cette série sur la légitimité managériale, nous visitons des situations dans lesquelles des facteurs extérieurs donnent du fil à retordre à nos managers. Dans le premier article, il s’agissait d’actions venant de la hiérarchie du manager. Voyons à présent ce qui touche au contexte, à l’environnement d’exercice du manager.

Quelques plaies de plus sur le chemin de la légitimité : le sous-effectif, le fantôme adulé, le doublon.

4 – Le sous-effectif ou la suractivité

Le problème :

l’entreprise enregistre un fort surcroît d’activité (ou une phase de sous-effectif, au choix) et n’a pas le temps de se structurer pour y répondre. Les managers absorbent une partie de la charge pour soutenir l’effort de leurs équipes. Problème : ils n’ont plus le temps de manager !

Exemple : un manager commercial emporté par une avalanche de réponses à appels d’offres, auxquelles il participe au même titre que son équipe.

Conséquences pour le manager :

non seulement il n’a plus le temps de manager son équipe, mais en plus il fait exactement la même chose qu’elle ce qui le ramène à une position d’égal à égal. Un coup de main temporaire, les managers au leadership du genre « Chef de file » ou Collaboratif savent en jouer sans perdre leur statut managérial aux yeux de l’équipe. Mais si la situation se prolonge, le manager devient collègue et n’a pas l’occasion d’exercer son management ; il peut alors perdre de sa légitimité à être un manager.

Comment réagir ?

Identifier ce qui vous pose problème en tant que manager :

  • Est-ce de faire le même travail que votre équipe ?
  • Est-ce de ne pas avoir le temps de jouer votre rôle de manager ?
  • Qu’est-ce qui, dans cette situation, nuit à votre légitimité en tant que manager ?

Il est vrai que cela compte pour la légitimité du manager, d’avoir une relation de type managériale. Les questions du manager débordé  : « quelle est ma réelle capacité à établir des relais, écouter, questionner, reformuler et communiquer ? Combien de temps est-ce que je passe avec chacun de mes collaborateurs ? Qu’attendent-ils de moi ? »

Peut-on être manager… sans manager ?

Aviez-vous vu cette enquête relayée par Syntec conseil en management l’an dernier, qui révélait que les managers consacraient en moyenne à leur équipe 20 minutes de leur temps hebdomadaire seulement ? Et que 10 % de leur temps de travail était dédié à l’accompagnement de leur équipe (étude réalisée par le cabinet de conseil Hommes & performance, 2011). D’après cette étude, la situation qui précède serait la norme plutôt qu’une plaie tombée sur la légitimité du manager ? Le débat est ouvert…

Quelques pistes de réflexion :

  • S’imposer de déléguer : un manager peut avoir la tentation de prendre à sa charge une partie du travail, parce qu’il se sent productif et efficace, et/ou veut alléger le travail de son équipe. L’excès commence quand il se charge trop, et n’a plus le temps de manager.
  • Poser ses limites à soi-même (voir ci-dessus) et aux autres : le manager est là pour organiser le travail d’une équipe, assurer ses moyens de travailler, etc. S’il contribue au même titre que son équipe à traiter une partie du travail à faire, on peut considérer qu’il apporte une solution à court terme mais ne fait pas avancer l’organisation de son pôle. En période de forte activité il est encore plus important qu’il ait ce rôle d’organisation du travail de l’équipe.

5 – Le fantôme adulé

Le problème :

un manager prend son poste et découvre rapidement que son prédécesseur était très apprécié… non, adulé… enfin non, finalement : inoubliable et irremplaçable. Même avec les meilleurs arguments du monde, il ne peut pas lutter contre un fantôme superstar.

Voilà potentiellement un cauchemar pour un manager ! Lisez plutôt cette histoire vécue :

Rénald prend son poste à la tête d’une équipe de 20 personnes. Il remplace François, qu’il n’a pas connu car il est parti quelques semaines plus tôt.  Pourtant il fait très vite sa connaissance : dans l’entreprise son nom revient très souvent et l’équipe de Rénald est l’épicentre du phénomène, elle ne parle que de lui ! Les deux hommes ont des profils opposés : François est aussi sérieux et organisé que Rénald était blagueur et roi de l’improvisation. Dès les premiers jours, Rénald subit la François-mania :

« Avec François, on faisait pas comme ça ».
« François préférait faire la réunion d’équipe le vendredi. »
« Ah oui mais François avait décidé que le travail serait réparti plutôt ainsi… »
« François il était tellement compréhensif »
« Hé venez voir j’ai reçu un email de François, il demande de nos nouvelles! » (ruée vers l’écran)

Et au-delà de son équipe, les clients et collègues manifestent la même nostalgie (« Ah ce n’est plus Rénald qui est en charge de notre compte ? Dommage. »)
Rénald a un mal fou à exister en tant que manager. La lutte est inégale  !
Au bout de 3 mois il démissionne, n’ayant pu faire sa place.

Conséquences pour le manager :

Dans les cas comme celui de Rénald où le prédécesseur adulé a quitté l’entreprise au faîte de sa popularité, gagner sa légitimité peut être une mission impossible. Il ne s’agit pas de compétences mais d’une affaire de deuil et de nostalgie :  le deuil n’est pas fait dans l’équipe et le nouveau manager ne sera jamais « aussi bien ». Il est par essence illégitime.

Jacques-Antoine Malarewicz parle très bien de ces irremplaçables dans son livre Petits deuils en entreprise – Editions Pearson, 2011. Le pire, explique-t-il, c’est quand votre prédécesseur continue à entretenir un lien avec votre équipe, en envoyant des messages, en prenant des nouvelles. Il hante littéralement votre territoire managérial !
NB :  les dirigeants peuvent également être confrontés à ce problème.

Comment réagir ?

Marquer le changement, le matérialiser ! Un processus de deuil commence par le dépassement du premier stade, celui du déni. Les conditions du départ de votre prédécesseur et le lien qu’il entretient avec votre équipe peuvent maintenir l’équipe dans ce déni. C’est comme si l’ancien manager n’était pas vraiment parti. On continue à le faire vivre à travers le respect de ses décisions, de sa manière de voir les choses etc.

Quelques pistes de réflexion :

Pour dépasser le déni, vous pouvez tenter de concrétiser le départ, symboliquement. Certains tenteront la force (« à présent JE suis votre seul manager etc. »). D’autres préfèreront imposer leur style au fil du temps, patiemment. Dans certains cas, le fantôme l’emporte, comme pour Rénald qui a démissionné.

6 – Le doublon ou concurrent

Le problème :

un autre manager dans la structure a une mission qui se recoupe avec la vôtre. Vous êtes en concurrence sur un périmètre commun.

Exemple

Joanna a pris la direction de l’avant-vente, et Luc conserve la direction commerciale. Tous les deux font appel à l’équipe de commerciaux pour préparer les réponses aux appels d’offres et aller chercher de nouveaux marchés. Les commerciaux ont l’habitude de travailler avec Luc, de reporter à Luc, etc. Joanna ? Ils ne la connaissent pas…

Conséquences pour le manager

Pour Joanna, Luc et l’équipe de commerciaux, des questions de légitimité se posent :
– Joanna ne sait clairement de quel temps elle peut disposer dans l’équipe de Luc pour mener sa propre activité d’avant-vente.
– Luc s’interroge sur le fait que Joanna ait été nommée à un poste qui encadre le sien, alors qu’il s’occupait lui-même auparavant de l’avant-vente en plus du commercial.
– Les commerciaux ne savent pas comment réagir quand Joanna les sollicite : doivent-ils lui répondre de leur propre chef, quel temps peuvent-ils consacrer à ce travail avec elle ? Joanna a-t-elle vocation à évaluer leur travail ?
La transaction managériale habituelle entre les commerciaux et Luc – le flux de demandes et de réponses – est perturbé par cette seconde position managériale qu’occupe Joanna.

Pistes de réflexion

Il est important de clarifier les rôles et les périmètres pour que chacun gagne ou conserve sa légitimité. Si la hiérarchie ne le fait pas, les deux managers Luc et Joanna peuvent s’accorder ensemble et se répartir le territoire fonctionnel et managérial… en adultes !

Ex : Luc déclare qu’il reste globalement le seul manager de son équipe, et qu’il accorde à Joanna du temps de travail de cette équipe chaque semaine. Lors de ce temps, l’équipe (ou une partie de l’équipe) consacre son expertise commerciale à la mission de Joanna, c’est-à-dire l’avant-vente. Luc explique ce fonctionnement aux commerciaux pour que Joanna soit légitime quand elle a besoin d’eux, et que lui-même garde sa légitimité le reste du temps.

NB : nous sommes là dans un mélange d’organisation hiérarchique et d’organisation matricielle.
Comment sait-on que ça fonctionne  ? Le jour où Luc demande un travail à un commercial et que celui-ci lui répond qu’il ne peut s’y consacrer avant le lendemain car il est actuellement « sur un dossier pour Joanna ».

Conclusion

Pour asseoir sa légitimité, le manager a besoin de plusieurs compétences dont la compréhension de son environnement, du contexte et de ses relations avec l’ensemble des parties prenantes de l’entreprise. C’est ce dernier point que nous verrons plus en détail dans le 3ème article de cette série.

Lire la suite : Les 10 plaies de la légitimité managériale [3/3]

 

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  1. […] La légitimité du manager est parfois mise au défi par son contexte de travail (sous-effectif, concurrent…) Quelques pistes de réflexion.  […]

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