Faire alliance avec le système

Plante éclairée par le soleil dans une forêt sombreDans l’article précédent, j’évoquais la manière dont l’humain cherche à résoudre de nombreux défis par une approche technique ou technologique. Une autre démarche est possible et souvent, salutaire : celle qui consiste à faire alliance avec le système, à s’appuyer sur ses forces et à suivre sa dynamique. Prêts à… ne rien faire ? Ou presque.

Au XVe siècle, Leonard de Vinci observait beaucoup la nature pour imaginer de remarquables inventions et oeuvres d’art (1). Aujourd’hui, on parle notamment de biomimétisme, une démarche qui propose l’alliance avec le vivant, comme dans la permaculture. Cette approche, forme de philosophie, consiste à observer avec une grande attention comment fonctionnent des écosystèmes, et s’en inspirer pour concevoir des écosystèmes vertueux. Comme dans toute approche systémique, il s’agit d’observer avant d’agir !

Voyons un exemple, en reprenant le contexte du feu de forêt évoqué dans l’article précédent. Une fois la forêt brûlée on peut chercher à la reboiser en plantant des arbres. Ou alors… l’ONF propose une autre démarche :

“L’approche des équipes de l’ONF est de faire avec ce que la nature leur donne avant de penser à reboiser par elles-mêmes. Par exemple, elles vont observer les endroits où sont les « semis », c’est-à-dire des arbustes, qui repoussent. Puis les aider en les arrosant pendant plusieurs étés.” Laurence Le-Legard-Moreau, la responsable des services forêts et bois de l’agence ONF des Bouches-du-Rhône (2)

Si simple, quand on y pense… Pourtant nous voilà tentés d’agir, intervenir, planter des arbres pour réparer la forêt comme si elle dépendait de nous (et pourtant des études montrent que les forêts en libre évolution résistent mieux aux incendies que les forêts plantées). Cette propension à intervenir se répète dans une nuée de domaines (cf. dans mon billet sur les technosolutions).

Suivre la dynamique du système vivant

A l’inverse, faire alliance avec le système, c’est suivre sa dynamique : par exemple si vous voulez préparer un sol pour semer vos graines, vous pouvez arroser d’abord la terre nue et regarder sortir les “mauvaises herbes” (celles dont vous ne voulez pas). Une fois ce potentiel exprimé, vous pourrez facilement gratter la terre et l’éliminer pour semer vos graines. Vous pourrez aussi garder les herbes arrachées et en recouvrir votre sol pour qu’elles le nourrissent en se décomposant. Ou bien, vous choisirez de laisser cohabiter vos semis avec d’autres plantes adventices.

Dans tous les cas, partir de la dynamique présente dans l’écosystème reste souvent plus efficace qu’aller contre ou chercher à la supplanter avec nos projets.

Et dans les entreprises ?

Imaginons un responsable qui reprend une équipe restée deux ans sans manager. Il arrive plein de bonnes idées pour cette équipe qu’il connaît, il a hâte de mettre en oeuvre son projet d’animation du collectif. Cependant, il commence prudemment par une phase d’observation et bien lui en prend car elle remet très vite en question son plan. Le voilà surpris et déstabilisé : il envisageait de créer une dynamique forte d’entraide et de collaboration, or il découvre que cette collection d’experts fonctionne très bien avec très peu d’interactions entre eux. Ils sont performants, plutôt motivés, et n’expriment pas de besoin de plus de « vie d’équipe ». Ce manager aborde alors son équipe autrement : il va s’appuyer sur ce qui fonctionne bien, sur leurs motivations, exprimer ses propres attentes en leur laissant de la latitude dans la manière de les satisfaire, et ainsi il rencontre peu de résistance dans la phase où il prend ce rôle de manager, nouveau pour eux.

Après cette première phase où il a suivi la dynamique de son équipe, les nouvelles idées qui lui viennent s’avèrent très différentes de celles avec lesquelles il était arrivé dans l’entreprise. Et pour cause, elles germent de ses échanges avec deux membres de son équipe, ravis de trouver un manager à l’écoute de leurs initiatives. Exactement comme un garde forestier qui partirait de ces jeunes pousses qu’il remarque au sol, dont les tiges dressées percent vaillamment entre les ronces, et qu’il déciderait de conserver bien qu’elles ne soient pas de l’espèce qu’il attendait. Il y a là un potentiel de vitalité qui vaut bien la peine de mettre de côté ses solutions et son envie d’intervenir.

Faire alliance avec le système, c’est donc l’observer d’abord et comprendre sa dynamique. Pour ensuite repérer comment – et quoi – construire en partenariat avec lui.

Voilà un vrai défi pour une entreprise. Et pour cause : selon la définition du Trésor de la langue française, une entreprise représente la “mise en œuvre de capitaux et d’une main-d’œuvre salariée en vue d’une production ou de services déterminés ». Nous voilà du côté de la volonté consciente et de l’action délibérée.

Alors comment allier cette démarche (avoir un plan) avec celle de notre garde forestier de tout à l’heure (faire avec ce qui pousse spontanément) ?

L’art de repérer les opportunités

Peut-être en repérant des opportunités dans ce qui est là (chez les personnes présentes dans l’entreprise et dans leurs interactions) et en les mettant en perspective avec le projet de l’entreprise.

Quelques exemples :

De plus en plus de collaborateurs s’impliquent dans une démarche de transition écologique, et s’opposent à certaines pratiques de l’entreprise. Au sujet des déplacements en avion ou de l’octroi de véhicules de fonction, certaines PME opèrent un virage en suivant le mouvement lancé par une part significative de leurs salariés. Elles s’appuient sur cette dynamique existante pour renforcer leur politique RSE et communiquer sur leurs arbitrages “engagés” auprès de leurs clients ou du grand public : séminaires accessibles en train, utilisation parcimonieuse de l’avion, encouragement du vélo et du train, éco-conception des produits…

Ici l’entreprise évolue à partir d’une impulsion des salariés. Mais elle peut aussi repérer dans les dynamiques collectives, tout ce qui peut servir ses objectifs préalables. Elle fait alors alliance avec son système non plus sur le cap à suivre mais sur les moyens à employer. Par exemple :

Une entreprise de 300 salariés voulait améliorer l’efficacité de ses réunions. Le nouveau directeur général s’étonnait de voir le temps passé (perdu) en meetings, points et autres “calls”. En questionnant quelques managers il s’est rendu compte qu’une majorité des équipes aspirait à optimiser leur temps de réunion, pour pouvoir réaliser leurs tâches plus sereinement. Le potentiel de changement était là et la direction a opté pour la mise en place d’un groupe de travail, laissant les équipes définir par elles-mêmes un rythme et des modalités de réunions plus vertueux. Ici il ne manquait au collectif qu’une autorisation à remettre en question un ancien fonctionnement.

Suivre, c’est aussi renoncer

Comme dans la gestion d’une forêt, faire alliance avec la dynamique vivante dans un collectif implique des renoncements :

  • accepter d’observer et de questionner avant d’agir (alors qu’on aimerait passer à l’action, mettre son empreinte, faire avancer ses plans)
  • s’armer donc de patience (alors qu’on aimerait un résultat rapide)
  • accepter de revoir ses plans voire de les abandonner pour d’autres pistes.

Une attitude qui évoque la permaculture, et nous renvoie aux limites de notre (toute)-puissance personnelle.

Il y a une question que je trouve intéressante à se poser chaque fois que l’on ressent l’envie d’agir pour modifier un système (accompagner une personne, une équipe, faire évoluer une organisation) :

Comment cela évoluerait-il si je n’intervenais pas ? Si je n’étais pas là ?

Bien sûr, ce n’est pas la réponse qui nous intéresse, mais le pas de côté ;)

Vos partages en commentaire sont bienvenus !

Pour prolonger :

(1) https://www.radiofrance.fr/franceculture/leonard-de-vinci-et-l-invention-du-biomimetisme-6738151

(2) https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/le-choix-franceinfo/incendies-que-deviennent-les-forets-apres-le-feu-eteint_5322562.html

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