Vous arrive-t-il de vous mettre dans tous vos états parce que vous ne trouvez plus vos clés ? Que votre ordinateur tourne au ralenti ? Ou que vous venez d’apprendre que vos amis vous lâchent pour les vacances alors que vous aviez réservé une immense maison ensemble ? Ou encore, votre boss vous annonce que votre synthèse, fruit de 3 jours de travail, n’est plus utile? Peut-être vous arrive-t-il d’avoir alors des réactions internes et externes qui vous dépassent. Et de perdre votre self-control, de vous sentir embarqué(e) sur le moment et un peu honteux(se) après. Bienvenue dans le détournement du cerveau par l’amygdale !
Self-control et amygdale
L’amygdale est une partie du système limbique de notre cerveau (en charge des émotions), qui traite les stimuli en lien avec un danger, une menace. Lorsque l’amygdale détecte une menace, elle agit très vite, c’est son rôle et son talent. Elle enclenche alors une réaction émotionnelle associée à un déluge d’hormones. Dans le même temps, elle prend le pas sur le cortex préfrontal – la partie de notre cerveau qui gère la complexité et la créativité, entre autres. Ce qui nous fait passer du fonctionnement à gauche du tableau, au fonctionnement à droite :
Fonctionnement avec le cortex préfrontal | Fonctionnement quand l’amygdale prend les commandes |
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Tiens, quelque chose se passe… Je vois bien ce que je vois ? Comment réagir ? Qu’est-ce que cela signifie ? Est-ce bien cela, ou je me trompe ? (Hypothèses) (Questions) (Doutes sur les questions) etc. | Soit je le mange soit il me mange… fuyons !
(fin du self-control) |
L’amygdale est comme un centre d’alerte, elle gère l’urgence, prenant le pas sur le centre de décision de notre cerveau. Evidemment ce système nous est bien utile quand il s’agit de fuir sa maison en feu ou d’éviter un sanglier sur la route. Seulement voilà, il s’active dans des situations où ni lion ni brasier ne menacent notre vie. Un travail devenu inutile, des clés potentiellement perdues : question de survie, vraiment ? Notre réaction immédiate et vive est-elle la plus adaptée à la situation ?
Quand l’adaptation est… inadaptée au contexte
Le principe de la prise de commandes par l’amygdale est le suivant : une situation donnée déclenche de notre part une réponse rapide, intense voire excessive, qui nous échappe. Après coup nous nous disons “j’ai sur-réagi”. Nous nous trouvons “irrationnel.le” (et/ou c’est souvent ce que pensent ceux qui nous regardent !) EN un instant, nous avons perdu notre self-control.
Les 3 signes de détournement de tête par l’amygdale définis par Horowitz* sont :
- une forte réaction émotionnelle, qui nous dépasse
- une apparition soudaine
- le fait de réaliser, après coup, que la réaction était inappropriée ou excessive par rapport au déclencheur
(Horowitz, Shell. « Emotional Intelligence – Stop Amygdala Hijackings »)
Loïck part en vrille
Quand le cortex n’a plus les commandes
Face à un déclencheur stressant ou difficile, l’amygdale prend les commandes. Et elle “enferme dehors” notre cortex, en charge de la réflexion, du traitement des situations des complexes etc. Comme si, face au danger, il n’était pas l’heure de faire dans la nuance et de tergiverser : l’amygdale en charge de notre vigilance, décide unilatéralement d’envisager le pire. C’est-à-dire qu’elle déclenche l’alerte émotionnelle la plus élevée. Voilà qui ouvre la porte à toutes sortes de raccourcis, parfois malheureux. D’où cette impression d’être “dépassé(e)” avec des réactions physiologiques hors de notre contrôle. L’adrénaline, puis d’autres hormones, dont les effets persistent dans notre organisme plusieurs heures après l’épisode. A la forte réaction émotionnelle succède alors une phase où l’on se sent “pas très bien”.
Fabrice voit rouge
Interprétation, état pré-existant de tension ou stress, colère accumulée ou exaspération : voilà les types de bois dont se chauffe l’amygdale qui n’attend plus alors qu’un bouton rouge pour prendre les commandes de notre cerveau.
Partir au quart de tour : l’effet “bouton rouge”
Les études récentes* sur l’amygdale montrent qu’elle n’est pas le “centre de la peur” comme on l’a cru pendant un temps, mais plus exactement, le centre de la vigilance, de la détection de la nouveauté ou de ce qui est saillant, et de l’excitation. Sa stimulation peut entraîner un mécanisme d’attention qui stoppe l’action en cours, à l’image de l’animal qui s’arrête de manger parce qu’il a entendu un bruit, et tend l’oreille.
Très réactive, elle est là pour nous protéger. Elle traite les signaux extérieurs en faisant le lien avec des expériences émotionnelles antérieures. Mordu par serpent, on sursaute à la vue d’une corde, dit un proverbe arabe : c’est exactement ainsi que fonctionne l’amygdale. Dans le doute, cours. Le danger perçu peut être une menace physique, émotionnelle, menace pour son intégrité, ou quelque chose est “trop” pour soi.
C’est ce qui nous amène à nous fâcher avant de comprendre, à fuir avant d’avoir identifié le danger, à frapper de peur d’être attaqué, etc.
Anne et l’effet « bouton rouge »
Pour faire autrement : éteindre le feu de l’action
Puisque cette réaction est forte et rapide, il est essentiel de la couper dès les premiers instants. Un “arrêt d’urgence” permet alors d’enrayer la réaction, et de tenter de se reconnecter au cortex, en réfléchissant, en se questionnant sur ce qui se passe… pour retrouver un sang-froid bien utile pour répondre au mieux à la menace.
Attention : il ne s’agit pas de mettre de côté les émotions en jeu, mais de les écouter pour comprendre ce qu’elles veulent. Car les émotions sont au coeur de notre prise de décision. Alors, quand une partie de vous est aussi déterminée à prendre les commandes et vous transformer en taureau ou en bulldozer, mieux vaut la prendre au sérieux !
Ecouter l’émotion pour choisir sa réaction
Loïck aurait pu ressortir de la salle, prendre une grande inspiration et se demander : “Qu’est-ce qui se passe ?” L’opportuniste assis “à la droite du père”. Il était dans la liste ? Non. Pourquoi il est là ? il essaye encore de se placer. A tous les coups ! Ou alors y a une info que je n’ai pas. Et alors ? ça m’exaspère qu’il soit là. Qu’est-ce que je peux faire maintenant ? Pas grand chose. Le mieux est d’écouter ce qui va se dire, d’observer comment il se comporte, et d’essayer d’avoir des infos sur sa présence.
Prendre le temps de choisir sa stratégie
Fabrice aurait pu sortir de la salle quelques instants pour se demander “qu’est-ce qui m’arrive?” Réponse : “Elle est plus forte que moi, elle est en train de gagner la partie.” “Comment sortir de cet échange qui me mène sur une mauvaise pente ?” Cela l’aurait peut-être amené à interrompre l’entretien avec Laurie, invoquant que manifestement elle n’est pas préparée à cet entretien et qu’il lui recommande de venir dans de meilleures dispositions ; ou bien qu’il renonce à essayer de lui faire entendre raison et passe le dossier à la RH. Il aurait ainsi évité de faire à Laurie ce cadeau : lui montrer qu’il perd son sang-froid et qu’elle a trouvé le bon levier pour le rendre fou.
Identifier le déclencheur
Anne aurait pu prendre 1 minute pour se demander “Qu’est-ce que je ressens maintenant ?” Je suis furieuse, je fais le dîner pour rien. “Qu’est-ce qui m’insupporte autant, dans le fait qu’il ait déjà préparé le dîner ?” Et trouver quel besoin lui révèle son émotion (colère), par exemple d’être prévenue quand quelque chose n’est plus à faire. Car c’est ce qui se passe dans son travail, elle a une chef très active qui lui fait des demandes mais finit souvent par les traiter elle-même ou demander à quelqu’un d’autre, ce qui fait qu’Anne travaille régulièrement pour rien. Bien sûr, stopper cette réaction en chaîne est difficile !
Quelques pistes ludiques pour vous y aider, sans garantie de réussite – heureusement, il est souvent possible de réparer ce qu’on n’a pu empêcher…
NB : ces pistes demandent un peu d’entraînement, savoir mieux détecter quand l’amygdale est en train de prendre les commandes, et apprendre à redonner les commandes au cortex sur des petites situations, à faible enjeu.
6 secondes pour mieux répondre :
L’idée est d’activer son cortex – la partie de notre cerveau qui traite le complexe et construit des solutions créatives, pour le faire revenir dans le cockpit.
Pour cela, se donner une tâche comme “trouver 4 noms d’oiseaux”, “compter dans ma seconde langue jusqu’à 10”, etc. oblige notre attention à se centrer sur ce travail pas si évident, et nous redonne un peu de capacité d’analyse. Source : Joshua Freedman
Respirer en conscience pendant 20 secondes :
Un exercice familier pour ceux qui pratiquent la méditation pleine conscience, être pleinement attentif à son souffle pendant 15 ou 20 secondes, observer son passage quand il entre, plus frais, quand il sort, plus chaud, et ne pas le quitter d’une semelle.
C’est où dans mon corps ?
Un autre piste consiste à porter son attention dans son corps, et à observer les ressentis dans la situation présente. Où sont les sensations les plus fortes ? Comment sont-elles ? Et rester avec elles quelques instants.
Changer d’angle
Puisque l’amygdale nous emmène sur une autoroute parfois simpliste, faisons l’exercice d’ouvrir le champ de vision et de chercher à imaginer 2 ou 3 autres explications possibles que celle qui nous vient en premier.
Exemple :
Version Tête détournée : “ça fait 3 fois qu’il est en retard donc il se fiche de moi GRRRRRRRR »
Version cortex rallumé : « Plusieurs possibilités :
a. il n’a pas pu faire autrement
b. il n’a pas conscience que ça m’embête autant
c. il a du mal à s’organiser, il ne sait pas dire non
d. il se fiche de moi
Peut-être est-ce plus facile à faire après un temps de recul, à distance de l’événement ?
Voici une autre manière de changer d’angle rapidement en se posant une question. Imaginée pour des enfants elle s’avère bien utile pour les grands enfants en cas de contrariété massive :
“C’est un petit, un moyen, ou un grand problème ?”
Annoncer la couleur
Comme nos détournements de tête arrivent souvent dans des interactions, et que nos congénères peuvent contribuer à les déclencher, il peut être utile d’apprendre à sentir quand le trop-plein n’est pas loin, pour le gérer en-dehors de ses interactions avec les autres. Et d’ailleurs, n’est-ce pas ce que nous faisons quand nous disons « Ce n’est pas le moment..” ? Ou quand nous le manifestons par non verbal dissuasif, comme une manière de prévenir du possible détournement émotionnel ? Pour cela, nous pouvons méta-communiquer sur notre état émotionnel.
*Parmi les études sur l’amygdale et son rôle multiple : Whalen and Phelps 2009; Aggleton 1992, 2000; for recent reviews, see also Morrison and Salzman 2010; Salzman and Fuzi 2010.
Pour prolonger :
L’histoire d’une nageuse qui appelait à l’aide et d’un équipage de voilier qui cherchait comment intervenir…