Un regard systémique sur nos qualités et défauts

Gouttes d'eau sur une vitreC’est une question récurrente dès que l’on parle des qualités d’une personne : sont-elles plutôt innées ou plutôt acquises ? Dans quelle mesure peuvent-elles être développées ou modifiées ? Dans cette vision, les caractéristiques d’une personnalité relèvent d’un état, certes modifiable, mais statique. Et si nous regardions june qualité comme une « qualité émergente », résultat d’une interaction avec notre environnement ? C’est ce que propose l’approche systémique ?

Qualité ou… qualité émergente ?

“Je n’ai jamais eu d’autorité.”
“Avec l’âge, je suis devenu plus patient.”
“J’ai réussi à développer mon sens de l’organisation.”
“Je suis quelqu’un de réservé.”

Dans ces formulations, nous entendons une généralisation, avec l’idée d’une qualité intrinsèque : présente dès la naissance ou acquise plus tard, elle serait relativement acquise et stable.

D’après la systémique, les parties en interaction dans un système présentent des qualités différentes de leurs qualités respectives habituelles, qualités qui ne se manifestent que dans cette interaction.

L’exemple couramment donné est celui des molécules d’eau : H2O présente des qualités (état liquide, qualité de solvant…) que ne présentent pas ses parties l’hydrogène et l’oxygène. Ainsi l’eau a-t-elle des qualités émergentes, dues à l’interaction de ses parties. “Le tout est plus que la somme des parties”, c’est le principe de totalité dans l’approche systémique.

Ce qui change avec un regard systémique

Qu’est-ce qui change, vu sous cet angle ?

Tout d’abord, le comportement ou le trait de caractère peut être dissocié de l’identité : finalement je ne suis pas colérique, j’ai tendance à me mettre en colère dans un certain nombre de situations types. Mes crises de colère sont une qualité émergente de ces interactions. En coaching, on travaillera à définir ces interactions, et à identifier ce qui se passe dans la boucle relationnelle, qui génère cette colère.

« Une relation n’a pas lieu à l’intérieur d’un individu isolé. Il est absurde de parler de ‘dépendance’, d’ ‘agressivité’, de ‘ fierté’, etc., car de tels mots s’enracinent en fait dans ce qui se produit entre des personnes, non dans un ceci ou cela qui se situerait à l’intérieur d’une personne. »
Gregory Bateson, La nature et la pensée, Paris : Seuil, 1984, p. 139.

Un exemple : Sophie manage sans autorité

Sophie demande un coaching pour travailler sa posture de manager et gagner en assertivité. Rapidement, sa demande se précise autour d’une notion d’autorité : elle ne parvient pas à s’imposer auprès de son équipe.  Plus précisément, tout se passe bien tant que chacun fait son travail. Mais dès qu’il est question de demander davantage ou de recadrer, Sophie devient passive, elle fuit le problème. Manquerait-elle d’autorité ? Si l’on regarde ce qui se passe entre Sophie et son équipe, on note qu’elle n’essaye même pas de leur demander un travail ou de leur donner un cadre. En fait, Sophie laisse son équipe entièrement autonome, et se reproche de ne savoir faire autrement. “Je n’ai jamais eu d’autorité” dit-elle avec dépit. Et elle prouve cette croyance par de nombreux exemples : ils ne l’écoutent pas, ils arrivent en retard à la réunion d’équipe, etc. Avec une conviction pareille, pas étonnant que Sophie reste passive dans sa relation avec l’équipe. C’est ce que lui reproche sa hiérarchie. Laquelle contribue à renforcer encore le problème en traitant en direct avec certains membres de son équipe sans passer par Sophie.

Une vision interactionnelle de la situation de Sophie

Si l’on considère que cette passivité vis-à-vis de son équipe est une qualité émergente de la relation  triangulaire Sophie – équipe – hiérarchie, qu’est-ce qui change ?

D’abord le constat :

  • Sophie n’est pas “perdue pour la nation”, elle n’est pas une incurable passive
  • Elle a peut-être (sans doute) des ressources pour agir avec plus d’autorité
  • En revanche elle est coincée dans cette situation, elle ne parvient pas à faire autrement…
  • … car elle est prise dans un cercle vicieux avec sa hiérarchie et son équipe

Ensuite la recherche de solutions :

  • Nul besoin de travailler sur la nature profonde de Sophie
  • Plutôt sur ce qui est à l’oeuvre dans cette boucle : les croyances de Sophie, les comportements redondants qui en découlent, ce qu’elle fait pour s’en sortir
  • On regarde avec Sophie ce qui ne fonctionne pas, et on cherche à stopper ces tentatives contre-productives (tentatives de solutions)
  • Pour ensuite l’accompagner à faire autrement : soit agir à l’opposé de ce qu’elle fait habituellement, soit agir “comme si” elle était actrice de la relation avec son équipe, par exemple

“Au départ, l’individu est équipé génétiquement pour faire face à son milieu, il dispose, potentiellement, d’une énorme diversité de conduites possibles, et ses contacts répétés avec son environnement vont imposer certaines restrictions à cette diversité : certains gestes seront encouragés, d’autres découragés.” Jean-Jacques Wittezaele, l’Homme Relationnel, 2003, p. 59

Nous produisons des comportements redondants comme si nous élaguions des possibilités au fur et à mesure de notre apprentissage, de nos expériences.

Faire autrement, c’est enclencher un processus inverse – retrouver les branches coupées ! Et se donner la possibilité d’exprimer une plus grande diversité de comportements, pour mieux s’adapter aux situations que nous rencontrons.

Que retenir de la vision interactionnelle ?

  1. Rien n’est figé, que nous sommes des êtres en changement constant (la plasticité neuronale le permet notamment)
  2. Changer l’interaction est encore plus rapide que développer une compétence. Les deux approches pouvant se cumuler : j’apprends à être plus autoritaire en agissant dès aujourd’hui avec mon équipe
  3. Il est utile de se poser la question suivante, face à une difficulté : que se passe-t-il ici et maintenant qui fait que je me comporte ainsi ? Que se passe-t-il dans ma relation à l’autre, aux autres, à l’environnement… et à moi-même* ?

*cette boucle peut très bien être de soi à soi, par exemple la relation d’une personne avec elle-même peut générer des émotions, pensées, comportements émergents.

De là, il nous devient possible de changer la qualité émergente, en changeant notre manière d’influencer la relation : en changeant quelque chose dans ce que nous faisons, dans ce que nous mettons dans la relation.

Sophie peut par exemple décider de rester passive pour de bon, dans une attitude résolue et assumée ; comment réagiront son équipe et sa hiérarchie ?

Cela ne fonctionne pas toujours : il est des boucles relationnelles si bien huilées qu’elles résistent aux changements que nous pouvons apporter dans l’interaction.

Parfois le contexte est plus fort, comme dans le cas de Philippe, directeur d’une association.

Philippe ne parvient pas à gérer le conflit

Philippe ne parvenait pas à gérer les conflits dans son équipe. Je l’ai accompagné en coaching sur son positionnement dans la relation. Il a mis en place une nouvelle stratégie, très différente de la précédente. Pourtant, tout s’est passé comme si, quoi qu’il change, son équipe se comportait toujours de la même manière avec lui (elle le dénigrait dans son dos, lui lançait des piques, etc.) Philippe a fini par quitter l’association pour un poste identique dans une structure très similaire, où il a pu s’installer comme directeur et se positionner comme il le souhaitait. Changer de contexte et d’équipe a permis de changer la relation. Il a appris que son successeur, pourtant très différent de lui, rencontrait les mêmes difficultés que lui avec son ancienne équipe…

Ainsi, quand on ne peut changer la relation, il reste à envisager de changer de relation.

Quand on cherche à développer une qualité

Finalement, chaque fois que nous cherchons à exprimer ou développer une qualité, nous pouvons aborder la question par trois angles complémentaires :

  • l’ai-je naturellement ?
  • puis-je (encore davantage) la développer ?
  • comment favoriser l’émergence de cette qualité chez moi en interagissant favorablement avec le système où je me trouve (ou encore en changeant de système ?) Est-ce que le contexte est favorable ?

Au niveau du recrutement, cela donne 3 approches complémentaires :

  • rechercher une personne qui a toujours eu la qualité souhaitée (notion de talent)
  • et/ou bien une personne qui a les moyens de développer cette qualité
  • et/ou favoriser l’émergence de cette qualité en plaçant la personne au bon endroit du système

4 Commentaires

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    • Valérie sur 5 mars 2014 à 11 h 16 min
    • Répondre

    Merci beaucoup Karine. J’avais omis une dimension très importante, à savoir : prendre le temps d’observer le fonctionnement de l’équipe dans le détail, le noter, en déduire les redondances, avant même de chercher les solutions pour atteindre notre objectif final. Et à ce stade là, on peut espérer trouver nos solutions ensemble si nous sommes au clair sur l’objectif final et son écologie.

    • Valérie sur 4 mars 2014 à 18 h 44 min
    • Répondre

    Bonjour Karine,

    j’apprécie votre article et j’aurai une question : comment définir ces boucles relationnelles qui empêchent la situation de se dénouer ?
    Merci pour vos articles qui alimentent mes réflexions pour moi qui suis une « coach fraichement certifiée »

    1. Merci de vos commentaires.
      Pour vous répondre Valérie : pour définir (vous voulez bien dire identifier ?) les boucles relationnelles, la première étape est de ne pas/plus chercher à apporter de changement au fonctionnement actuel. Au lieu de cela, observer ce qui se passe, sans rien changer. C’est plus facile pour un observateur extérieur que pour les personnes prises dans la boucle.
      Observer qui fait quoi et à qui et le noter, puis en déduire des redondances.
      Par exemple noter que Sophie évite systématiquement de se positionner dès qu’il est question de donner une instruction à l’équipe ; elle fuit la posture d’autorité.
      Noter qu’en face, l’équipe contribue à ne pas lui conférer d’autorité (en lui manifestant, par des retards aux réunions, qu’elle n’a pas mis de cadre).
      Au final, la boucle est bien installée car au vu des réactions de l’équipe, Sophie a encore moins confiance dans ses capacités à cadrer le travail collectif.

    • ngakiegni sur 4 mars 2014 à 13 h 08 min
    • Répondre

    D’après moi ; je remonte en disant:

    Comme disent les psychologues l’homme nait avec rien dans la tête donc à la naissance c’est un table rase.de ce fait je dis que la qualité n’est pas innée; dire acquises cela dépend du milieu de l’école et de ta vision car Anatole France disait rien ne vos la rue pour nous montrer la machine sociale.
    je confirme qu’on peut développer la qualité comme améliorer et non modifier.
    Prenons un exemple sur l’eau la qualité de l’eau dépend d’un certain nombre de paramètre qu’on cherche si ces paramètres sont hors spécifications ou hors norme nous allons plus parler de la qualité car les normes ne sont plus respectées et s’il faut produire un produit avec cette eau, au finish nous n’aurons plus les produits de bonne qualité. Je parle d’améliorer la qualité du fait que le tout n’est pas toujours faut mais il y’ a un certain nombre de critère qui fait que nous ayant des point faible et des opportunités d’améliorations dans le cas contraire on peut arriver à des non conformités majeur ce qui n’est pas bon dans la qualité surtout des produits alimentaires.
    Exemple de Sophie . c’est pas une crise d’autorité mais plutôt un maque de savoir car elle doit subir une formation sur le travaille on équipe et elle doit connaitre son rôle.la bible dit un père qui aime son enfant doit corriger ce dernier si l’enfant fait des erreurs.
    Qui aime bien chatie bien.

    j’apprend mais mon Coach KOLIBRI peut dire quelque chose.

    • L’inné, l’acquis et l’... sur 10 mars 2014 à 17 h 05 min

    […] C’est une question récurrente dès que l’on parle des qualités d’une personne : sont-elles plutôt innées ou plutôt acquises ? Dans quelle mesure peuvent-elles être développées ou modifiées ?  […]

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