Résister à la dispersion

homme jonglant avec de multiples tâchesAvez-vous constaté combien de fois cette semaine vous êtes laissé dévier d’une tâche ou d’un projet voire d’une priorité sans même vous en rendre compte ? Au bureau, cela peut venir d’interruptions par des collègues, un appel téléphonique, mais honnêtement, combien sommes-nous à nous interrompre de nous-même pour regarder notre téléphone, qu’il ait vibré ou non d’ailleurs, pour savoir où en est le dernier feuilleton d’actualité familiale, nationale ou internationale ? Si ce n’est pas votre cas, tant mieux et bravo pour votre capacité à rester concentré(e). Mais quand cela nous arrive, comment faire pour réguler ce phénomène ?

Depuis deux décennies, le volume de stimulations que nous recevons par les flux numériques ne fait que croître. Sons et images omniprésents, habitude d’être connecté en permanence, engendrent une sur-stimulation et une attention malmenée car de plus en plus fragmentée.

Les conséquences sur nos organismes et notre fonctionnement sont multiples :

  • Stress, fatigue, surcharge mentale
  • Perte d’efficacité, temps perdu à se reconcentrer ; retards dans les tâches
  • Dispersion, et procrastination accrue
  • Sentiment de culpabilité…

Tout cela nous le savons, mais comment faire autrement ? Comment rester centré sur soi, sur son rythme et ses priorités ?

La question n’est pas nouvelle, des ouvrages des années 80 ou 90 vantaient déjà les habitudes de ceux qui réussissent, et sur les réseaux sociaux on ne compte plus les conseils pour une vie « gagnante ». Mais les recettes toutes faites ne fonctionnent pas pour tous.

Le sujet peut être abordé sous l’angle du rapport au numérique, qui est finalement le point commun à beaucoup de nos dispersions et notre attention fragmentée – à la fois parce qu’il est un canal privilégié de communication « réactive » et aussi parce qu’il ne cesse de nous proposer des contenus alléchants sur de multiples plateformes. Des programmes en ligne peuvent aider sur ce point, comme Optimiser son rapport au numérique.

Une approche systémique de la dispersion

Si on regarde la problématique avec un prisme systémique, sous forme de boucles interactionnelles, voyons quelles pistes se dégagent.

Décrivons le problème tel qu’il est vécu par certains d’entre nous :

« Régulièrement à la fin de la journée, je me rends compte que je n’ai pas fait tout (voire, pas du tout fait !) ce que j’avais prévu, parce que je me suis dispersé(e) en interrompant des tâches à peine commencées, en répondant à des notifications sur mon téléphone ou mon ordinateur, etc. Au final j’ai réagi à plein de petits messages ou notifications, mais je n’ai rien produit de solide. Le pire c’est que je n’ai pas pu m’empêcher d’aller voir plusieurs fois sur Bluesky les dernières infos sur la nomination du gouvernement / les élections législatives / le procès X / autre actualité brûlante. En gros, j’ai papillonné. J’aimerais bien me recentrer, me discipliner, mais je n’y arrive pas. »

Le problème peut se résumer ainsi :
« Je papillonne, je fais plein de petites choses, et à la fin de la journée je n’ai rien fait de mes gros dossiers, chaque jour c’est pareil, je n’arrive pas à rester centré(e).»

Avec l’approche de Palo Alto, comment réussir à échouer

Si nous regardons cette problématique avec l’approche stratégique de Palo Alto, nous questionnerons la personne sur ce qu’elle a mis en place jusqu’à présent et qui, faute de l’aider à se recentrer (son objectif), l’a laissée papillonner toujours plus.
Comment s’y prend-elle ? Que fait-elle, que ne fait-elle pas, qui l’amène à se disperser ainsi ?
Et si elle voulait faire demain sa journée la plus papillonnante de l’année, comment faudrait-il qu’elle s’y prenne ? [une question paradoxale qui donne souvent des pistes intéressantes].

Quelques exemples parmi bien des réponses possibles, elle pourrait :

  • laisser son téléphone en sonore et toutes les notifications actives ;
  • répondre immédiatement à toutes les sollicitations de collègues, clients… ;
  • dire oui à toute nouvelle demande ;
  • traiter toujours la tâche qui se présente, quitte à laisser en plan la précédente ;
  • passer à l’action dès qu’une idée lui passe par la tête (« au fait quels sont les jours fériés l’année prochaine ? Tiens, regardons ! » ; « Seb n’a pas dit où il partait quand il a démissionné, cachotier, il a forcément mis son profil Linkedin à jour, vérifions… » ; etc.)
  • suivre de près plusieurs sujets d’actualité si bien qu’elle ressent le besoin de regarder chaque jour leur évolution

On le voit, deux co-facteurs agissent dans cette liste : la personne est déconcentrée ou dispersée par des interruptions extérieures, mais elle contribue aussi à se laisser dévier de ses tâches, voire parfois, elle se disperse toute seule.

Pour compléter, nous pourrons explorer avec cette personne les éventuels risques ou inconvénients qu’elle aurait à se recentrer. Est-ce que son actuelle dispersion la protège d’un inconfort ? Quels inconvénients aurait-elle à restée centrée sur ses tâches professionnelles ?

C’est un des mécanismes de la procrastination par exemple, toujours échapper à une tâche qu’on appréhende ou qui ne nous passionne pas, en faisant tout autre chose à la place. Le mécanisme est alors repérable : la personne trouve n’importe quoi d’autre à faire dès qu’elle tente de se mettre au dossier qu’elle repousse. Personnellement j’appelle ça l’effet siège éjectable : dès que je bloque dans l’écriture de cet article, je me lève comme une automate et je file faire quelque chose d’autre d’absolument dispensable, comme si mon cerveau avait actionné le bouton du siège éjectable afin de se sortir de l’inconfort de l’écriture. Souvent, c’est encore plus discret : je change d’onglet (« tiens au fait, elle m’avait répondu Unetelle, à mon e-mail de lundi ? ») Ce qui ne fait que reporter le problème : l’article reste inachevé, et il faut bien se reconcentrer s’il est question de le terminer.

De plus, un tel mécanisme risque de se renforcer avec le temps, puisque l’évitement d’une expérience envisagée comme négative renforce l’appréhension vis-à-vis de cette expérience (ex : repousser de nombreuses fois le moment de se lancer dans sa déclaration d’impôts).

Le problème, c’est la solution

Ainsi, papillonner serait une stratégie non consciente visant à nous faire échapper à des émotions désagréables… mais renforçant au final ces mêmes émotions !
Il peut y avoir bien d’autres aspects dans cette dispersion, l’essentiel étant de repérer avec la personne comment ce phénomène qu’elle déplore participe en réalité à préserver son équilibre, même de manière insatisfaisante. Dit autrement, le problème qu’elle rencontre vient de la solution qu’elle a mise en place sans s’en rendre compte.

Par exemple, en se dispersant, elle réussit à occuper ses journées alors qu’elle s’ennuie dans son travail et qu’elle sait qu’elle devrait changer quelque chose (en parler à son manager, ou changer de job). Ou alors, en papillonnant d’une notification à l’autre, elle apaise son angoisse de rater une information importante (c’est le « FOMO », Fear Of Missing Out). Ou encore elle se donne des « shots » de dopamine avec la nouveauté de chaque message qu’elle ouvre. Ou bien encore, elle cède de plus en plus à la facilité, délaissant tout ce qui lui demandera temps et énergie.

Voilà comment, avec l’approche de Palo Alto, nous irions creuser les fameuses « tentatives de solution » et l’équilibre de la situation. Pour ensuite aider la personne à construire un meilleur équilibre, par exemple en remettant de la conscience dans sa dispersion, en ayant des moments de dispersion choisie, ou en s’attaquant à ce qu’elle évite en se dispersant (ex : son ennui dans son travail, qu’elle a du mal à regarder en face car cela implique des changements importants).

Mais d’autres voies existent, par exemple avec l’approche orientée solution, un autre modèle systémique.

Avec une approche orientée solution

Dans une approche « Orientée solution », on cherche à comprendre ce qui se produit quand le problème est absent, ou moins présent.
Dans le cas présent, nous irons regarder toutes les fois où dans sa journée, la personne a mieux réussi, même un tout petit peu, à rester centrée sur ses tâches, sur ses priorités.
Nous questionnerons alors précisément ce qui a permis cela : qu’a-t-elle fait de différent quand elle a mieux réussi, et qu’elle pourrait réactiver à un autre moment ?
Par exemple, elle a coupé les notifications ou bien elle s’est isolée ce jour-là dans une salle de réunion à un autre étage du bâtiment, où ses collègues ne passent pas. Ou bien elle s’est dit qu’elle pourrait aussi bien regarder les nouvelles une fois ce soir, avec la synthèse de la journée, plutôt que d’en apercevoir les rebondissements heure par heure.
On invitera cette personne à observer au quotidien ce qu’elle réussit à faire un petit peu mieux qu’avant, pour rester centrée et ne pas se disperser. Et à reproduire ce qui lui réussit.

Croiser les approches

Bien sûr ces différentes approches peuvent être combinées entre elles :

– explorer comment nous faisons le lit de la dispersion par nos comportements (en gardant un téléphone toujours allumé, toutes notifications actives etc.)
– et par ailleurs comment nous réussissons, par exemple quand nous avons une échéance ferme et/ou que le sujet compte pour nous, à aller au bout de la tâche sans nous laisser détourner de l’objectif.

Et d’autres outils, modèles, viendront participer à la solution. En ordre dispersé ;) :
– Des techniques de méditation pour s’entraîner à prendre conscience de ses vagabondages mentaux et à ramener son attention où on la souhaite, un peu mieux jour après jour
– Des techniques de gestion des émotions et du stress
– Des outils d’affirmation de soi pour mettre des limites aux interruptions par des collègues ou des proches
– Etc.

Et vous, comment faites-vous pour garder votre attention et ne pas vous disperser, quand tout vous y invite ?

Une lecture pour prolonger

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Karine Aubry et Frédéric Demarquet, Enrick B. Editions, 2024

Un livre pratique tiré de nos recherches sur les croisements entre les approches systémiques : Palo Alto, Orienté solution, orienté objectif, et l’intégration d’autres approches. De nombreux cas pratiques étayent notre analyse et nos retours d’expérience sur ce métissage dans l’accompagnement. Pour coachs, consultants, thérapeutes, formateurs…

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