Sauve qui Veut !

Chien Saint-Bernard sur fond de montagnes

La devise du Chien du Saint-Bernard est: « Noblesse, dévouement et sacrifice »,

Se sentir utile est l’un des besoins humains, lié à la socialisation et au sens que nous donnons à nos actes. Parfois ce besoin nous pousse à aider l’autre sans qu’il n’ait rien demandé : un geste qui se veut généreux mais peut être rejeté quand il n’est pas désiré. Sauveur né ou sauveur de circonstance, certains d’entre nous ont ce réflexe sans en avoir conscience. Sauve qui veut, et sauve qui peut !

Si vous vous entendez souvent prononcer ces mots : « Attends je vais t’aider », « Laisse-moi t’aider »,
et si vous volez régulièrement au secours des autres avant même qu’ils vous aient appelé(e) à l’aide,
vous êtes peut-être du genre Sauveur.

C’est une position gratifiante et confortable car elle permet d’exprimer ses compétences et sa créativité grâce aux besoins des autres. Le rêve du Sauveur c’est d’entendre en réponse à ses actes :

Je ne sais pas ce que je ferais sans toi !

Noblesse, dévouement et sacrifice?

« Noblesse, dévouement et sacrifice », telle est la devise du Chien du Saint-Bernard que j’ai choisi comme mascotte de cet article.

Quand vous croisez des personnes qui sont du genre à vous dire « Ah merci tu me sauves ! », ou à vous demander « Tu peux me trouver ça ? Tu me sauverais » etc., votre aide est bien reçue. En effet, votre besoin rencontre le besoin complémentaire de l’autre. L’échange se déroule alors naturellement : la relation se joue sur un mode gagnant-gagnant.

En revanche, vous tombez parfois sur d’autres personnes qui, elles, n’ont pas besoin de vous. Elles ne vous ont pas attendu(e) pour chercher des solutions. Elles tiennent à leur autonomie ou se sentent rabaissées lorsqu’on leur vient en aide. Pour de multiples raisons, ces personnes ne veulent pas de votre aide et peuvent la rejeter si vous l’imposez.

Bien sûr, nous n’avons pas toujours conscience d’imposer notre secours à l’autre. Aveuglé par notre besoin ou rendu sourd par notre écoute sélective, nous insistons en voulant aider. Parfois même, nous aidons en cachette, façon bienfaiteur anonyme !

Faire le bonheur des autres malgré eux ?

Quelques exemples :

Annie devance les besoins de ses proches. Elle s’occupe de tout son entourage comme une vraie mère poule. Elle s’empare de la moindre bribe de besoin pour le combler. Comme ce jour où elle est allée inscrire sa fille de 25 ans dans un club de gym dont elle avait entendu le plus grand bien… Démarche superflue, sa fille ayant déjà choisi un autre club.

Valentine aime rendre service à ses amis et répond toujours très rapidement à la moindre sollicitation. Elle est appréciée car on peut toujours compter sur son aide efficace. Seulement, elle ne sait pas s’arrêter. Elle trouve 10 solutions quand on lui en demande une, et prolonge son aide bien au-delà du nécessaire. Elle s’entend souvent dire « merci, c’est plus que ce dont j’avais besoin », « merci c’est bon, c’est parfait » etc. Mais n’en tient pas compte.
François aide ses collègues contre leur gré : il range leurs dossiers pendant leur absence (si bien que les intéressés ne s’y retrouvent plus). Ou encore, il fait avancer leurs projets dès qu’il en a l’occasion. C’est sa manière de se sentir utile aux autres. Et il ne comprend pas que ses collègues en soient souvent irrités.

Note : le Sauveur est à distinguer d’un besoin de se sentir utile pour s’occuper. Ainsi, le dirigeant d’une société en pleine croissance, se retrouvant coupé de l’opérationnel, pourra y faire des incursions par besoin de mettre la main à la pâte. Il ne s’agit alors pas tant d’aider, que de se trouver une occupation concrète avec un fort sentiment d’utilité.

Aider l’autre… pour s’aider soi-même

Sauver a des bénéfices pour le sauveur, derrière sa prétendue mission dictée par les besoins des autres. En Analyse transactionnelle, le Sauveur agit ainsi pour ne plus se sentir coupable. Ceci l’amène à aider parfois sans en avoir l’envie, ni les compétences, ni le temps (c’est-à-dire sans avoir les ressources pour le faire.)
> Lire : le triangle de Karpman

Le Sauveur peut aussi chercher, en résolvant un problème à la place de celui qui le vit, à sortir de l’inconfort que lui-même ressent en voyant la situation. C’est d’ailleurs l’un des pièges qu’un coach doit éviter à tout prix. Exemple : face à une personne qui peine à retrouver du travail, nous pouvons ressentir un malaise et développer l’envie qu’il trouve enfin un poste. D’où la tentation d’intervenir soi-même pour se débarrasser du problème (en envoyant son CV à son propre réseau, en lui donnant des conseils pour qu’il avance plus vite etc. Ce qui n’est pas du tout le rôle du coach !)

Le malentendu des faux-contrats

Même quand le bénéficiaire accepte l’aide du Sauveur, il peut se rebeller contre son coût. En effet, le Sauveur est rarement désintéressé, même s’il n’en a pas conscience. C’est d’ailleurs ce qui pousse intuitivement certaines personnes à refuser toute aide : elles pressentent qu’il y aura un prix un payer, ou un sentiment de dette.

Quand le Sauveur aide pour se sentir utile ou aimable, il attend (légitimement ?) en retour d’être reconnu et aimé pour ce qu’il apporte. Il y a donc un contrat tacite entre lui-même et la personne à qui il vient en aide. Lui-même remplit largement sa part du contrat jusqu’à ce qu’il… sente que le bénéficiaire de son aide ne fasse pas la sienne en retour.

Exemple :

Le Sauveur a aidé une personne plusieurs fois et celle-ci ne le remercie pas suffisamment ou ne fait pas bon accueil à son aide.
Plaçons-nous du point de vue du « bénéficiaire » incriminé : il a simplement saisi l’opportunité d’une aide qu’il n’avait pas sollicitée. Il en a profité, sans penser qu’il devait autre chose que des remerciements. Afin de se sentir quitte, il a même proposé son aide en retour sur tout sujet où il « pourrait être utile ». Le Sauveur n’a pas retenu cette proposition. En revanche il attend de la reconnaissance et de l’appréciation, qui ne viennent pas.

Voilà où survient le grand malentendu : quand un déséquilibre s’est mis en place entre le Sauveur et son bénéficiaire, le premier ayant le sentiment que l’autre lui « doit » des choses… qu’il ne lui a pourtant pas demandées expressément !
Ainsi, paradoxalement, le Sauveur ne sait plus aider l’autre quand il s’agit de lui permettre de lui rendre la monnaie de sa pièce. Il ne sait pas toujours exprimer ses propres besoins et s’enferme dans le rôle du Sauveur incompris. On peut se demander d’ailleurs si cette posture n’est pas le lieu idéal de son rôle de Sauveur, avec cet intarissable besoin d’être remercié et reconnu.

D’après le modèle de l’Analyse Transactionnelle et notamment le triangle de Karpman, le Sauveur peut alors basculer dans un autre rôle, celui de Victime : Sauveur incompris, victime d’une injustice infligée par ses ingrats bénéficiaires.

Une autre bascule possible intervient quand, malgré son aide, la personne aidée ne sort pas de son problème : le Sauveur devient alors Persécuteur, agressant son bénéficiaire pour qu’il écoute enfin ses conseils de Sauveur ! 

Sortir du jeu de rôle

Pour ne plus endosser le rôle de Sauveur sans l’avoir choisi, voici 5 questions à se poser (d’après Guy Corneau, Victime des autres, bourreau de soi-même) :

– Y a-t-il une demande clairement formulée ?
– Qu’est-ce qu’on attend de moi au juste ?
– Ai-je la compétence pour aider ?
– Est-ce que j’ai la disponibilité ?
– Et… ai-je vraiment envie ?

Conclusion

Sauve qui peut, peut-être, mais surtout Sauve qui veut. Avoir conscience de son attitude de sauveur (voire de sa tendance à plonger dans cette attitude), c’est faire des choix plus lucides pour soi-même. Vivre ensemble requiert de trouver l’équilibre entre les besoins et désirs des uns et des autres. Et pour cela avoir conscience des siens et écouter ceux des autres sans en présupposer, est un bon début. Il y a aussi l’idée, chère aux coachs, que personne ne connaît mieux ses besoins que soi-même. Responsabiliser l’autre en le laissant être acteur de sa vie c’est souvent lui rendre service… et éviter d’entrer dans un rôle de sauveur.

Prolonger :

> Découvrez les drivers et l’injonction « Fais Plaisir »
> Le Triangle de Karpman

 

5 Commentaires

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    • Marcus Lessard sur 2 juillet 2016 à 20 h 16 min
    • Répondre

    En dépit du fait que l’écoute empathique soit un processus thérapeutique, le «sauveur» ne semble pas poursuivre cet objectif dans sa relation d’aide. En un mot, il part de son objectif personnel (disons de contrôle) pour offrir un lien de dépendance à celui qui de bonne foi accepte de l’entendre. Toutefois, le sauveur si il écoute, n’entend que son propre besoin; si le sauveur «prête l’oreille», c’est pour la reprendre avec intérêt. Le sauveur utilise la personne en besoin pour lui faire valoir ses compétences supposées; être la solution à la difficulté de l’Autre (souvent); le Sauveur est un dévoreur d’estime personnel chez les gens qui le suivent. LE SAUVEUR EST L.’ANTAGONISTE DE L’AUTONOMIE DE L’AUTRE (empowerment, en anglais). Il vient contredire la prise en charge des individus par eux-mêmes. Prétendent être une solution aux difficultés rencontrées par les autres. Souvent en position de pouvoir, voit-on s’installer l’image du «GOUROU», tellement décriée. Je te remercie Karine Aubry de dévoiler les stratégies de ce type d’aidants dans les groupes de travail.

    • moreau Sandra sur 29 juillet 2013 à 11 h 34 min
    • Répondre

    J’ai découvert votre site en préparant un module dans le cadre d’une formation jeune manager et je dois dire que vos articles sont justes ; je consulte régulièrement.
    Merci de partager vos compétences et expertises librement.
    Sandra

    1. Merci Sandra. Tant mieux si mes articles vous sont utiles, j’ai souvent des retours dans le même sens de la part de formateurs.

    • Franck sur 9 juillet 2013 à 9 h 11 min
    • Répondre

    En plein dans le mille comme d’habitude =) Bravo !

    1. Merci Franck !
      :)

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