Vacances : du latin vacans, qui est vide ou inoccupé. Nos vacances seraient un espace de vide et d’oisiveté, destiné au relâchement du corps et de l’esprit. Et pourtant… est-il si facile de se (re)poser, de laisser place au néant ? “Votre mission si vous l’acceptez, ne rien faire pendant un temps” : cap ou pas cap ?
La date approche. Depuis des semaines, nous envisageons avec délice le grand départ en grandes vacances. Un prometteur chapelet de jours sans travail, sans obligations, à égrener sous un soleil choisi (et sûrement au rendez-vous, nous dit Météo France). Un repos “bien mérité”, se dit-on en bouclant les derniers dossiers, avec la satisfaction du travail accompli.
Mais déjà, dès les préparatifs, l’observateur attentif aura noté les présages du mal :
- dans la propension du vacancier à scruter tous les programmes d’activité possibles autour de son lieu de vacances ;
- dans sa réjouissance à la perspective d’avoir enfin du temps pour “faire plein de trucs” ;
- dans ces livres qu’il glisse dans sa valise, en lien avec son activité professionnelle ;
- dans cette invitation qu’il laisse à ses collègues, de l’appeler sans hésiter, si besoin…
déjà, on sent, insidieusement, la résistance au vide. Qui rejoint d’ailleurs la dictature de l’urgence…
Freinez-y [Frénésie]
Quelques jours et centaines de kilomètres plus tard, notre vacancier affranchi a plongé dans ses congés estivaux, pour 2 à 3 semaines, 4 pour les plus chanceux. Le voici sur son transat au bord de l’eau – chlorée ou salée – ravi d’être enfin en VACANCES. Il se croit libéré, hors d’atteinte des contraintes. Il sourit, soupire d’aise, ferme les yeux, sent la brise, quelques instants… Bien décidé à, enfin, ne RIEN faire.
Une minute passe.
Il ouvre les yeux.
De l’extérieur il semble immobile.
Mais à l’intérieur, c’est la ruche : une nuée de pensées défile en bourdonnant. “Je pourrais faire ci ou ça…”, “Ils louent peut-être des vélos dans la village ?”, “Leur piscine a l’air bien chauffée, est-ce le soleil ? Je n’ai même pas vérifié la température, sur ce petit thermomètre en forme d’ours polaire…” “Qu’est-ce qu’elle fait dans la cuisine, on dirait qu’elle vide un lave-vaisselle sans fin !”, “Je me demande s’il y a un barbecue dans la maison”, “Tiens je n’ai pas mis le rosé au frais” etc.
Au bout de deux minutes, la ruche se met en marche, notre vacancier se lève et va vérifier dans le garage s’il y a un barbecue. Il en trouve un, se promet de l’utiliser demain avec les amis en visite.
Comme Zébulon, monté sur ressort
Retourne au transat. S’installe à nouveau dans sa position en vue de “ne rien faire”. Se relève pour aller prendre un verre de jus. Puis pour vérifier ses messages sur son téléphone. Puis pour attraper un livre, dont il lit deux pages. Puis pour déplacer le transat de l’autre côté de la piscine, pour une meilleure vue. Une vraie machine, un Zébulon monté sur ressort, dès qu’il se pose il rebondit.
Ah qu’il est dur de ne rien faire quand tout s’agite en vous !
Au plus fort de l’après-midi, alors que la canicule appelle une sieste épaisse, alors que la nature autour trouve un sage repos, notre bonhomme s’agite encore et commence à s’agacer de lui-même.
Effets du premier jour de vacances, signes d’un temps nécessaire pour atterrir d’une année frénétique ? Ou plutôt, mouvement perpétuel de l’homme sur-entraîné à FAIRE ?
Paradoxe de vacances méritées par un dur labeur qui en compromet lui-même le bienfait : travailler dur pour s’offrir de vraies vacances, et se retrouver incapable d’en profiter vraiment !
NB : certes des vacances actives, rythmées, sportives, peuvent procurer détente et repos. Mon propos est d’attirer l’attention sur l’incapacité à s’arrêter de faire, qui peut nous gagner et nous faire ressembler à ces jouets trop bien remontés, qui semblent ne plus vouloir s’arrêter.
J’arrête quand je veux…
Pourtant ne dit-on pas que “qui peut le plus peut le moins” ? Pas si simple, quand on s’est habitué à optimiser le moindre temps mort et à tirer profit de chaque minute.
La suractivité est une forme d’équilibre, façon sprint de coureur cycliste en tête de peloton : s’il s’arrête ou ralentit, il risque gros. Fallait pas commencer…
Sur un voilier bateau embarqué par un vent trop fort, il peut-être difficile de réduire la voilure, de “prendre des ris” sur une voile tendue à bloc. Le marin anticipe et prend les ris avant le coup de vent. Ainsi notre vacancier pourrait-il, avant son départ, commencer à ralentir sa course. Et même, pourquoi ne pas s’entraîner toute l’année à être en vacances, à ne rien faire sur de courtes périodes ? Pour ne pas se trouver embarqué par son système nerveux sympathique, dopé à l’adrénaline, incapable de mollir.
Il y a quelque chose de stupéfiant et d’un peu vertigineux à se trouver incapable de ne rien faire, comme l’on se découvre une dépendance insoupçonnée. Alors que l’on pensait “j’arrête quand je veux”.
Ce qui nous retient de nous poser
A cet instant il devient intéressant de se demander ce qui nous empêche de ne rien faire, de s’arrêter, de se poser :
- addiction à l’action, ou au travail ?
- peur de laisser place à ses pensées, ses émotions ?
- ou de “perdre son temps” ?
- peur de perdre du terrain ?
- peur de perdre ses facultés, de ne plus savoir remonter dans le train de son activité ?
- peur de se sentir inutile, paresseux ?
- inconfort de se voir ou d’être vu en flagrant délit d’oisiveté ?
- peur de prendre goût à l’oisiveté (et alors ?)
- autre chose ?
Que se passe-t-il en moi quand j’essaye de rester inactive ? Quelles pensées, quelles émotions ?
Et vous ? Parvenez-vous à vous à vous poser et ne rien faire pendant quelques minutes, quelques heures ?
Terminons par cette illustration de Voutch, que j’aime beaucoup :