Quand on n’arrive pas à réduire les gaz

Iron Man en Lego survole la ville, incapable de ralentir ?“Ralentis”. “Pose-toi un peu”. “Lève le pied, tu en as fait assez”. “Prends quelques jours de repos, tu les as mérités”. Voilà des permissions que certains saisissent facilement, pas besoin de leur dire deux fois. Mais pour d’autres, dans leur contexte du moment, ralentir tient du Défi. Que se passe-t-il quand quelqu’un ne parvient plus à réduire les gaz, à en faire moins ? Qu’est-ce qui le maintient dans cette fuite en avant, qui peut mener à la casse ou au burn-out ?

Vous le voyez surchargé, ce proche, surmené depuis des mois et cela vous inquiète. Ou cette collègue qui finit trop tard, emporte du travail chez elle, rempile le week-end. Alors vous leur avez dit plusieurs fois, de lever le pied. “Ok je vais me reposer ce week-end”, ont-ils répondu. Vous en doutez. Tout vous indique qu’ils continuent leur course folle.

En coaching, nous les entendons nous dire qu’ils n’arrivent pas à ralentir. Ils viennent nous voir parce que le conjoint s’est fâché (“Tu n’es jamais dispo, ton travail passe avant tout le reste !”) ; ou alors parce que les RH, alertés, ont proposé un accompagnement ; ou encore, parce que cette personne très investie a connu ses premiers signes d’alerte : pertes de mémoire, confusion, insomnies, erreurs dans son travail, sautes d’humeur…

Mais même quand ils viennent nous voir pour ces raisons, rien ne dit qu’ils ralentiront. D’ailleurs, pourquoi faudrait-il ralentir, ou en faire moins ? De quoi parlons-nous au juste ?

Ralentir, avant de casser ?

Corde usée jusqu'à l'âme, sur le point de casser : burn-outNous parlons des limites humaines – comme les limites planétaires, mais ramenées à l’écosystème d’un humain. L’excès nuit en tout. Nos ressources personnelles sont limitées, physiologiquement. Renouvelables, non ? Certes, à condition de les laisser se renouveler.

Ainsi, quand une personne en fait trop, elle s’use : physiquement, mentalement, psychiquement. Problème : cette usure est parfois sournoise, elle se manifeste par des signaux faibles que l’on peut choisir d’ignorer pendant longtemps.
Les témoignages sur le burn-out le montrent : la corde casse d’un coup et tout s’arrête. Le cadre noue sa cravate devant sa glace et reste à l’arrêt, en panne. Ou bien, sort de chez lui/elle, va jusqu’à l’arrêt de bus, et rentre à la maison, incapable d’aller plus loin.

Effrayant, non ? Et pourtant cette sombre perspective ne suffit pas à calmer les ardeurs. “D’accord, je vais faire gaffe”, promet un peu vite celui ou celle qui travaille 60 heures par semaine. Jusqu’à être incapable de déconnecter en vacances.

Alors, qu’est-ce qui fait que nous sommes parfois incapables d’en faire moins ?
Qu’est-ce qui bloque notre manette des gaz en position ”+” ?
Comment pouvons-nous, même épuisés, même en souffrance, continuer à donner, donner, donner ?

La coach que je suis cherche d’abord sur deux pistes : “Le Mode Automatique” et les “Risques au Changement”. En ajoutant au passage la “Résistance du système”.

En effet, il y a deux étapes pour une personne qui s’épuise au travail :

  1. la première, c’est quand elle n’a pas encore pris conscience qu’elle s’épuise. Elle lève parfois le nez du guidon, et réalise que son équilibre est malmené, mais jusqu’ici tout va bien.
  2. la seconde, c’est quand elle réalise qu’elle va trop loin. Que fait-elle de cette information ? Parfois, cela donne “oui oui, je sais que je tire sur la corde, je me reposerai cet été.” Ou alors… “Je sais que je suis épuisée, je devrais ralentir, j’essaye d’ailleurs, mais je n’arrive pas.”

Notre mode automatique

WOPR le supercalculateur du film WarGames

Véronique devient comme WOPR, le supercalculateur du film Wargames, qui déroule son programme sans qu’on puisse le stopper…

Pour Véronique, les journées se ressemblent toutes : à fond du matin au soir, elle ne voit pas les heures passer. Elle serait bien en peine de nous résumer sa journée. Elle sait juste que sa “to do list” est (presque) cochée le soir, et qu’elle n’a plus qu’à aller dormir, pour recommencer demain.
Véronique est comme un automate, elle réagit à des commandes (intérieures), à des injonctions “il faut”, “je dois”, “dépêche-toi”… Mais à ce stade ce n’est pas un problème pour elle, tout au plus ressent-elle parfois un peu de fatigue ou de lassitude.

Nos habitudes et routines sont puissantes, prendre du recul demande un effort, une activation de notre cortex préfrontal qui remet en question nos comportements. “Pourquoi je fais tout ça ?” “N’est-ce pas trop pour moi ?” “Quel est le coût pour ma santé, pour mon équilibre ?” “Quel sens à tout ça?” : voilà des questions qui passent bien au-dessus de nos têtes quand nous sommes le nez dans le guidon, en pilotage automatique.

Alors, tout ce qui nous force à sortir de ce mode automatique est l’occasion d’accéder à une prise de recul nouvelle. Par exemple une soirée avec des amis, où tout à coup on retrouve des sensations oubliées, une légèreté, une oisiveté. Ou alors, 3 semaines de vacances et nous voilà déconnecté.e du travail, presque surpris.e d’avoir été si loin dans le surmenage. Pas si vite, ça peut revenir…

Une fois que l’on prend conscience qu’on travaillait trop, on peut chercher à ralentir… pour découvrir que ce n’est pas si simple.

Les risques à ralentir

“C’est comme si je n’avais plus de freins”

“C’est comme si je n’avais plus de freins”, constate François. Après un break pendant les fêtes, il s’est rendu compte qu’il avait besoin d’en faire moins. Son manque de disponibilité pour sa famille, sa tendance à s’agacer pour tout, sa difficulté à ouvrir un livre : il sent qu’il s’épuise au travail. Mais à la rentrée, surprise, malgré ses bonnes résolutions il est reparti de plus belle dans les dossiers, avec 4 rendez-vous client par jour et du travail le soir à la maison.

On pourrait le dire embarqué, comme une machine dont la pédale d’accélérateur serait bloquée au plancher.

Pourtant il aurait tout à gagner, François, à ralentir ! C’est ce que lui dit sa femme, et son meilleur ami, et même son N+2. “Garde des forces, l’année sera dense”. “47 ans tu sais, faut commencer à préserver son capital santé”. “Tu as vu ce qui est arrivé à Jean quand il s’est écroulé après un semi-marathon ?”
Quand ces paroles ne créent pas de changement, c’est que d’autres forces s’exercent, qui empêchent François de ralentir.

François prend des risques s’il en fait moins

Regardons ce qu’il risque à ralentir sa cadence :

  • Perdre sa place ou son statut : très performant, il occupe un rôle de choix dans l’équipe et s’il lève le pied, d’autres pourraient prendre la relève (récupérer des dossiers, une partie de son portefeuille clients etc.)
  • Décevoir : son management, ses clients… qu’il a habitués à une performance et une disponibilité sans faille
  • S’ennuyer ou perdre ses repères : François dit qu’il a toujours fonctionné comme ça, il ne sait pas faire autrement ! Une peur du vide ?
  • Se confronter à des difficultés familiales : jusqu’à aujourd’hui, travailler comme un damné a permis à François d’échapper aux moments agités de la vie de famille, comme les devoirs du soir, les crises de l’ado, …
« Oh moi ça me va très bien, tant que la santé suit. »

Non seulement François prendrait des risques à ralentir, mais pire, la situation actuelle… lui convient ! C’est ici qu’il ne faut pas se tromper, quand on est coach ou qu’on fait partie de l’entourage. Car à la question “Et vous, continuer avec cette intensité, vous en pensez quoi ?”, François répond “Oh moi ça me va très bien, tant que la santé suit. C’est vrai que j’ai moins d’énergie depuis quelques temps.”

Pas étonnant que François ait du mal à diminuer son investissement au travail !

Dès que nous entrons dans l’application concrète de cette belle idée de “Ralentir Et Se Préserver”, les ennuis commencent. Car s’investir moins dans son travail, ça se paye.

Rester dans la course ?

Parmi ces peurs associées à la perspective de moins s’investir au travail, revenons sur la première, la peur de perdre du terrain.

Si vous avez l’impression d’être dans une course professionnelle, ralentir représente un sacré risque : celui de céder du terrain à ses compétiteurs.

“Lève le pied” est toujours assorti d’un implicite “… pendant que nous autres, nous gardons le rythme”. Mécaniquement, celui qui ralentit perd quelques longueurs.
Et alors ? Alors peut-être vivra-t-il mal de se laisser distancer, ou encore peut-il craindre de ne pas refaire son retard.

Exemple : Mélanie a fait le choix de renoncer à son rôle de coordinatrice sur deux projets transverses, pour rendre son emploi du temps compatible avec les horaires de la crèche où est gardé son fils. Conséquence : après quelques mois, une autre personne avait pris le rôle de coordinatrice et Mélanie sait qu’elle aura du mal à reprendre cette place.

Alors sommes-nous prêt.e à lâcher un peu de cette compétition ? Tiens, voilà qui nous rappelle les questions de décroissance et de virage écologique : quelle entreprise se sent prête à entrer en transition pour préserver les ressources planétaires et les Hommes, au risque de perdre des parts de marché si ses concurrentes continuent leur course ? Mais c’est un autre angle dans ce débat ;)

Et la résistance du système ?

Le pire c’est que parfois la personne parvient à en faire moins… mais rencontre alors la résistance de ses interlocuteurs. Parmi lesquels ceux qui, souvenez-vous, lui proposaient de ralentir ;)

Forcément : quand une personne lève le pied, son entourage professionnel peut aussi perdre au change.
En vertu de la fameuse « homéostasie », le système protège sa stabilité, son équilibre.

Regardons qui a intérêt à ce que François ralentisse, et qui a au contraire à y perdre :

Très favorables Neutres (ou ambivalents) Défavorables
– Son épouse
– Ses enfants
– Son manager : d’un côté il veut que François évite l’épuisement, de l’autre, il a besoin de son investissement
– François lui-même : il a à gagner et à perdre à ce changement
– Les clients de François
– Ses collègues qui auraient à reprendre une charge de travail (sauf s’ils en veulent plus !)

Concrètement, dès que François part plus tôt ou en fait moins sur un dossier, il sent qu’on le rattrape par la manche : son manager l’appelle sur son mobile “T’es où ?”, son collègue lui demande s’il peut compléter un peu plus sa partie dans la réponse à appel d’offres etc.

Ainsi, c’est un équilibre global, systémique, qui empêche le changement. Des motivations propres à François, et des réactions du système autour de lui dès qu’il change sa manière de s’investir. S’il ralentit trop, François est rattrapé par ce système et ce qui se passe alors est encore pire : il remet un coup de collier pour compenser sa baisse d’investissement !

Conclusion : Mettre les gaz… au bon endroit

Dans une telle situation, il semble plus réaliste de revoir l’objectif de “ralentir” en “mieux gérer son investissement et mettre les gaz au bon endroit”.

François sait que ses ressources sont limitées, il est donc preneur de les investir au mieux, pour continuer autant que possible à travailler comme il l’a toujours fait. Lui seul pourra, à un moment, décider qu’il préfère ralentir, en acceptant d’en payer le prix.

Et vous, qu’est-ce qui vous empêche d’en faire moins ?

    • Habitude, automatismes ?
    • Peur du vide ?
    • Peur des émotions désagréables (qui sont mises à distance dans l’action) ?
    • Envie de bien faire, sens de l’engagement ?
    • D’autres choses ?

A l’inverse, qu’est-ce qui vous a déjà aidé.e à ralentir ?

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