“Tu travailles trop.” Cette phrase, combien l’ont entendue, à la maison souvent, ou lors d’un échange avec un proche. Jusqu’à un certain point, on admire le bourreau de travail, en anglais workaholic, qui “abat” une impressionnante quantité de boulot. Un bourreau de travail, une vraie “machine », inépuisable ! On lui demande : “Tu ne t’arrêtes jamais ?” Mais qu’est-ce qui pousse à travailler ainsi comme une brute ? Comment gérer sa force de travail pour en utiliser le moteur avec efficacité ?
Nous sommes ici dans la cour des brutes de travail. Attention, le vocabulaire est rugueux : une machine, un bourreau de travail, qui abat un boulot dingue, charbonne jusqu’à pas d’heure, bûcheronne sur son clavier sans faire de pause. Pour un peu, on croirait que ces travailleurs-là s’échinent au fond d’une mine. Mais non, ils sont cadres dans des tours en verre, avocats et banquiers, consultants, ou encore soignants. Ce qui peut, malgré tout, ressembler parfois à un job de forçat.
Nos mots parlent de notre rapport au travail
Tout cela est finalement viril et un peu brutal : c’est de la force. Et c’est de la quantité. Car ceux qui travaillent autant affichent une belle capacité de travail. Qu’ils exploitent pleinement, sans limite. Enfin, jusqu’à ce que leur organisme les arrête en plein élan.
Est-ce votre cas ? Travaillez-vous parfois “comme un malade” ou “comme un taulard” ? Employez-vous des termes comme : turbiner, bosser, trimer, bûcher, ou cravacher… ? Comment vous sentez-vous après une journée où vous avez abattu du gros boulot ?
Inversement, vous arrive-t-il de vous dire avec mauvaise conscience, “j’ai n’ai rien fichu aujourd’hui” quand vous avez moins produit que d’habitude ? Comment vous sentez-vous alors ?
Cette attitude face au travail est souvent très ancrée, comme pour l’ancienne gardienne de mon immeuble. Chaque fois que je la croisais, elle me lançait gaiement “Allez, au boulot ! Hop hop hop !” Cette adorable bretonne, qui avait bien l’âge de prendre sa retraite, racontait qu’elle avait travaillé toute sa vie, en commençant par garder les vaches à 6 ans. Pour elle, une journée bien employée, c’était une journée à la tâche. Sinon, à quoi servirions-nous en ce monde ?
Naturellement, savoir travailler fort est un atout. Nous ne questionnons ici que la “part en trop” de cette attitude qui peut mener loin.
La “brute de travail” n’est qu’une partie de vous
Bonne nouvelle, s’il y a en vous un bourreau de travail qui vous pousse à travailler toujours plus, vous n’êtes pas que cela. Il y a bien des fois où d’autres voix se font entendre : quand vous vous dites que vous méritez bien une pause, ou un week-end déconnecté du boulot ; quand vous avez la flemme de redémarrer le lundi matin.
Vous avez un vrai bourreau de travail à l’intérieur, certes.
Mais vous n’êtes pas que celui-là.
Nous allons y revenir. Regardons pour le moment ce que veut cette brute de travail à l’intérieur, elle qui a pris les commandes et semble décider pour tout le monde.
Que veut cette Brute intérieure ?
Ceux qui travaillent comme des damnés sont entraînés par une sorte de pilote automatique. C’est plus fort qu’eux. Quelle partie d’eux se manifeste là ? Ce pilote automatique, finalement qui est-ce, et que veut-il ? Et de quoi nous protège-t-il ?
Si nous pouvions tendre un micro à la Brute de travail intérieure, elle nous parlerait de ses raisons de bosser tant et plus :
- Un but : peut-être poursuit-elle un but, comme la réussite d’un projet, ou servir une mission essentielle, ou encore une évolution personnelle, une promotion…
- La reconnaissance : ou bien elle cherche la reconnaissance en mettant le paquet (l’obtient-elle ?)
- Des peurs : ou alors la Brute est inquiète de ne pas en faire assez. A-t-elle le syndrome de l’imposteur ou peur d’être rattrapée par d’autres ? Travailler autant, est-ce une façon de se mettre hors de portée des reproches en étant irréprochable, ou d’autre chose ?
- Des angoisses : peut-être aussi que la Brute évite ses émotions ou ses angoisses, ou encore elle fuit le vide. Le travail comme échappatoire, l’action comme anxiolytique ?
- Une addiction : le Brute adore son travail et n’arrive plus à s’arrêter
- Une identité : la Brute considère que le boulot c’est sa vie, qu’elle ne sait rien faire d’autre (elle a toujours travaillé travaillé travaillé et quand elle parle d’elle, elle ne parle que de son travail).
Alors si nous pouvions interviewer cette Brute, il serait bon de lui demander à quoi elle tient, ce qui est important pour elle, à quoi elle croit.
En écoutant jusqu’au bout cette partie de vous, vous vous rendrez peut-être compte que vous n’êtes pas QUE celle-là.
Vous avez cette part de bourreau de travail, certes.
Mais vous n’êtes pas que cela.
D’autres dynamiques pour équilibrer son investissement
Notre corps est un système, notre cerveau est construit comme un système, notre personnalité également : à bord, différentes sous-personnalités interagissent comme une équipe. L’approche du “Dialogue intérieur” propose de reconnaître ces différentes voix qui s’expriment, comme autant de personnages. Certaines jouent les chefs et décident pour tout le monde (nos voix dominantes, comme la Brute de travail pour les workaholics), d’autres sont muettes car nous les avons mises à l’écart.
Autre exemple :
Il y a des bourreaux de travail épanouis
Finalement, donner la juste place à notre bourreau de travail intérieur, c’est l’utiliser comme un bon soldat et non plus comme un chef qui décide à notre place. Car sommes-nous vraiment efficaces au travail quand nous en faisons trop ? Qui n’a pas expérimenté l’effet magique d’une pause café ou d’une marche de 20 minutes au grand air, sur la créativité et la pensée lucide ?
Bien sûr, travailler autant n’est pas nécessairement un problème pour la personne : elle peut trouver ainsi un équilibre satisfaisant, au prix de quelques sacrifices (vie personnelle mise de côté, manque de repos…) Il y a des brutes de travail plutôt épanouies…
Mais si votre (sur)investissement au travail vous questionne, voici quelques pistes de réflexion :
- Qu’est-ce qui se passe quand vous travaillez moins ?
- Comment vous sentez-vous quand vous lâchez le travail ?
- Quand est-ce possible pour vous d’en faire moins (à quelles conditions) ?
- Qu’est-ce que cela vous évite, de travailler autant ?
- Qu’attendez-vous peut-être en retour ? Quel but visez-vous ?
- Si vous ne lâchez jamais : imaginez que vous réduisez de 10% votre investissement, que se passerait-il ? Et ça ferait quoi ? Et alors ? Qu’en concluez-vous ?
Laissons Michel Audiard conclure avec son sens de la formule :
«La retraite faut la prendre jeune. Faut surtout la prendre vivant. C’est pas dans les moyens de tout le monde.» Les barbouzes, de Georges Lautner, 1964
Pour aller plus loin :
[Livre] Trop bon élève au travail ? Savoir échapper aux pièges de la suradaptation professionnelle
(notamment les cas pratique Atlas et le Hamster)
[Article] Savez-vous faire assez bien ?
[Article] Quand vous ne savez plus ralentir au travail
[Article] Jouez-vous à Tetris au travail ? Ou l’art de « troptimiser »
Photo by Charlie Marusiak on Unsplash
1 Commentaire
Bonjour Karine.
Cet article- là m’a permis de soulever un questionnement, travail peu ou trop, pour bien se sentir dans sa personne après les fins de mois.
Mais il est aussi un bon outil dans l’exercice de ses fonctions.
Merci