Optimiser au travail est souvent vu comme bénéfique : avoir juste le bon nombre de ressources dans l’équipes pour tenir la charge, faire d’une pierre deux coups en mutualisant une réunion d’information avec deux services, coller les rendez-vous dans son agenda pour en caser le plus possible dans une journée. Mais y a-t-il un coût à vouloir trop optimiser ? A être ric rac dans les moyens pour atteindre ses objectifs ? A coller ses réunions bout à bout ? A combler 10 minutes de battement par une tâche et un coup de fil en plus ?
Dans les accompagnements que je mène fleurissent des expressions comme « faire rentrer au chausse-pied», « être au quart-d’heure près » ou encore « caler son agenda comme un Tetris ». Optimiser à tout prix, signe des temps ?
Des agendas surbookés
Voici quelques situations typiques de ce phénomène :
Un peu de suradaptation ?
Dans cet exemple, l’équipe de production contribue au problème en acceptant ce mode de fonctionnement, et en se suradaptant. Comme Caroline qui joue au hamster dans sa roue en travaillant en continu sans écouter sa fatigue :
« Tant qu’elle tient ce rythme et reste souriante, son manager pense que Caroline s’en sort bien et il n’a aucune raison de penser qu’elle s’épuise. Et même si Caroline l’alertait de sa fatigue, tant qu’elle répond aux messages et accepte de nouvelles tâches, c’est comme si elle lui disait : « Je peux encore continuer comme ça ». Comme Judith-Atlas au chapitre précédent ! Et cela peut même aller plus loin : plus je montre que je travaille vite, plus mon management pense qu’il devrait me demander plus. Après tout, la mode est à l’optimisation du rendement : tant que quelqu’un en a sous le pied, c’est qu’il n’est pas assez occupé ! »
Trop bon élève au travail ? Attention danger ! Savoir échapper aux pièges de la suradaptation professionnelle, Inter Editions, 2021
Peut-être faites-vous du surbooking* dans votre agenda ? Comme cette manager qui a les yeux plus gros que le ventre : elle est souvent inscrite à deux voire trois réunions à la même heure, et jongle pour tout tenir… quand elle ne délègue pas sa participation à un collaborateur en dernière minute. Un fantasme d’ubiquité ?
*surbooking : pratique de l’aérien ou de l’hôtellerie consistant à vendre plus de places disponibles en comptant sur les annulations ou non présentation en dernière minute.
Faire du surbooking, pourquoi pas. Mais dans votre quotidien au travail, combien de tâches ou réunions sont réellement annulées ? Et combien au contraire, s’ajoutent au fur et à mesure, comme des passagers qui demanderaient à monter dans votre « avion » déjà surbooké ?
Il y aurait là une erreur de raisonnement qui piège ceux qui veulent à tout prix remplir leur agenda.
Optimiser : surexploiter la ressource
Dans le jeu TETRIS ©, le logiciel n’a pas de limites. Vous pouvez jouer à l’infini. Rien de comparable à l’organisation humaine qui repose autant sur des process que sur la matière vivante des hommes qui les animent. Prenons l’exemple des réunions en visio. Il n’y a plus de déplacement physique d’une salle à une autre : voilà autant de temps gagné, je peux donc coller deux rendez-vous l’un après l’autre, c’est pratique ! On frise l’ubiquité numérique.
Mais que se passe-t-il alors ? Vous l’avez peut-être constaté : il manque une respiration pour l’esprit et le corps. Un temps pour marcher, s’étirer, croiser quelqu’un dans un couloir et discuter 5 minutes. La qualité de la réunion suivante s’en ressent : nous voilà moins frais.
Un autre exemple de cet art de « Troptimiser » (TROPTIMISER : v. pousser la logique d’optimisation jusqu’à son paroxysme) :
Vous avez dix minutes avant un rendez-vous, vous en profitez pour passer un appel à un client / un partenaire / un proche que nous deviez appeler depuis quelques jours, sans en avoir le temps. Ce serait bien pratique que cet interlocuteur accepte de faire tenir l’échange dans cet espace de dix minutes. Mais voilà, il se met à bavarder, à prendre de vos nouvelles ou à entrer dans le détail d’un point que vous avez abordé. Plus que 2 minutes. Vous êtes obligé d’écourter l’appel, il faudra se rappeler, ce qui ne vous arrange pas (car ce n’est plus très optimisé). Pire, la fin de l’appel peut laisser un goût étrange à votre interlocuteur, qui se demande pourquoi vous l’avez appelé alors que vous n’avez pas vraiment le temps pour cet échange !
Ne plus laisser de vide, exploiter le moindre espace vide (« j’ai 5 minutes, je dois en faire quelque chose »), est-ce bien raisonnable ? Nous pourrions parler d’une démesure dans l’optimisation. Le dieu Tetris avec son attribut, des briques encastrées-serrées, nous pousse à tirer le maximum de notre temps et de nos ressources. Les déménageurs, les logisticiens, les lean managers et bien d’autres lui vouent un vrai culte. Cette surexploitation de la ressource (temps, équipe…) ne se donne pas de limites, pourtant elle en trouve dans son application.
L’optimal, ce n’est pas le maximal !
Il y a sans doute une confusion entre optimal et maximal. Optimal signifie « le meilleur possible, le plus favorable »… donc pas forcément le maximal ni le minimal. Or quand on remplit son planning pour optimiser, on vise surtout le maximal ! Optimiser son temps reviendrait insidieusement à l’exploiter intégralement, sans en perdre une miette. Comme dans Tetris dont le principe est d’encastrer des pièces de façon à combler les vides : en créant des lignes complètes, on les fait disparaître, ce qui libère de l’espace. Et si on laisse des espaces vides, le tableau se remplit inexorablement, et la partie est perdue !
Il y a sûrement un côté magique quand tout s’emboîte, comme un jeu. Les tâches et réunions s’enchaînent parfaitement, rien n’est perdu. Avez-vous déjà senti cette légère ivresse de si bien maîtriser son temps ?
Mais il y a aussi un inconfort : un besoin de souffler, d’avoir une marge, une place pour l’imprévu… Face au dieu Tetris, un autre dieu nous appelle, celui de la Marge, du vide salvateur, qui nous inspire de laisser des créneaux vides dans notre agenda (ce qui implique… de les réserver, sans quoi ils se remplissent). Et si l’optimisation de son planning professionnel, c’était aussi de laisser ces vides, ces interstices ?
Conclusion : optimisez votre optimisation !
Pour s’épargner des lendemains difficiles après l’ivresse du tout-optimisé (ou que l’on croit optimisé), un équilibre est possible. Il consiste à conserver des espaces de respiration pour se préserver du stress, de la fatigue, de l’usure. Et prévenir le risque d’erreurs, en se laissant des temps de recul. Ou pouvoir prendre des urgences supplémentaires, qui ne manquent pas de se présenter. Soyons rassurés, « la nature a horreur du vide » et l’agenda se remplira souvent tout seul… une manière de le laisser s’optimiser naturellement ?
Et vous, avez-vous tendance à chercher l’optimisation dans votre organisation au travail ? Et à la maison ? Que constatez-vous ? Partagez vos expériences en commentaires !
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