Paradoxe : ne changez rien !

Route dans un paysage enneigé et panneau demi-tourEn coaching nous accompagnons un changement, avec une demande initiale qui concerne la résolution d’un problème ou l’atteinte d’un objectif. Souvent, le client se met en route dans la direction prévue ; il réalise le changement qu’il souhaitait (+ d’autres, en cadeau bonus). Mais parfois, le coaching bloque ou s’embourbe, le changement n’advient pas comme prévu. Dans ce type de cas, l’approche paradoxale peut apporter des réponses. Réponses surprenantes, mais étonnamment constructives.

Cet article est la suite de Entêtement et paradoxe qui traitait de l’approche paradoxale de l’école de Palo Alto.

En tant que coach nous faisons aussi, parfois, « toujours plus de la même chose ». Avec le constat que cela ne fonctionne pas. Et c’est perturbant !

Un cas vécu pour illustrer cette question :

J’ai accompagné un manager dans un grand constructeur automobile. Son objectif de départ était de quitter le groupe, en trouvant un job ailleurs. Nous avons travaillé ensemble quelques mois à mettre en place les étapes lui permettant d’atteindre cet objectif. Il s’agissait de définir son nouveau projet professionnel en parallèle d’un travail sur l’amélioration de son bien-être dans son poste actuel. Seulement, il avait du mal à mettre en place ce changement, tout semblait s’y opposer, même les circonstances. Si bien que j’ai dû me rendre à l’évidence : tout semblait fait pour que ce manager ne change PAS de société. Et pour cause, il a finalement pris conscience qu’il était trop attaché à ce groupe pour le quitter. Dès lors, il a opté pour une mutation interne, qui s’est opérée rapidement.

Si j’avais été solidement formée au Paradoxe j’aurais pris conscience qu’une partie du système (une part de mon client) ne souhaitait pas le changement et mettait en place des stratégies pour le faire échouer.

J’aurais pu alors tenter une approche de non-changement. Par exemple, en ouvrant les choix du client et en arrêtant de prendre pour acquis que quitter ce poste était bon pour lui : en considérant que rester chez le même employeur faisait partie des options.

Freiner le changement

Concrètement j’aurais pu poser la question suivante : vous avez du mal à partir de ce poste, et si vous restiez ?

Et une autre question que j’ai posée mais sans aller assez loin :
Vous voulez fuir ce poste, qu’allez-vous perdre dans cette fuite et êtes-vous prêt à payer le prix de ce changement ? En l’occurrence, quitter une entreprise aimée, perdre peut-être en niveau de poste et de salaire etc. ?

Dans les faits, je n’ai pas abordé ce coaching sous l’angle paradoxal, mais sous l’angle classique d’une mise en action avec recherche de solutions, dont le pré-requis était « changer d’entreprise». Je n’ai pas vu que cet objectif, « changer d’entreprise », était une solution toute faite pour répondre à un autre objectif (« retrouver du plaisir dans mon travail »).

Cette approche a finalement aidé mon client à s’enfermer dans un changement qu’il ne voulait qu’à moitié ; l’approche paradoxale m’aurait permis de l’accompagner dans le respect de la part de lui qui ne voulait pas le changement. Elle lui aurait redonné la liberté… de rester.

Bien sûr, il a « avancé » :
– il a exploré plusieurs solutions,
– clarifié ce qu’il voulait professionnellement,
– appris à poser ses limites, à relâcher la pression qu’il s’infligeait lui-même.
Mais ma conviction aujourd’hui est qu’il aurait évolué dès le début dans un sens plus harmonieux avec un accompagnement faisant appel au paradoxe.

Le coach ne « veut » pas le changement

Coach, ne sois pas plus royaliste que le roi ! Quand ta volonté d’atteindre l’objectif est plus forte que celle de ton client, pose-toi les bonnes questions ! En étant un gardien intransigeant de l’objectif initial, en y ramenant ton client, tu l’empêches de lâcher prise. Et d’ouvrir son regard sur d’autres voies, d’être créatif. A l’inverse, en ne voulant – presque – rien pour ton client (ce qui n’est pas si facile pour un coach !) tu lui laisses une liberté formidable.

« Je ne veux rien pour le patient et je l’entraine pour quelques instants, à la fois par cette posture de non-vouloir et par la stratégie paradoxale qui freine ou arrête sa tension vers le changement, dans le non-vouloir. C’est dans cet espace, dans ce lâcher prise disent certains, que s’ouvre parfois une opportunité de remise en place des boucles de régulations naturelles conduisant à un changement écologique. »
Irène Bouaziz, De la révolution à la co-évolution, Communication au vingtième anniversaire de l’Institut Gregory Bateson, Liège, octobre 2007

Ce que je retiens du paradoxe : c’est une démarche exigeante qui requiert l’humilité, une position basse, l’acceptation de faire peu, voire de connaître un possible échec. Le paradoxe nous enseigne l’humilité devant l’objectif souhaité par le client, nous proposant même de baisser la barre ou de la déplacer. Prudence, parcimonie, modestie… aux antipodes de certaines offres de coaching musclées qui proposent un changement rapide et spectaculaire.

 

 

 

5 Commentaires

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    • Vayssiere sur 2 juillet 2015 à 23 h 50 min
    • Répondre

    Moins c’est mieux. Relâchons la pression du toujours plus toujours mieux toujours plus vite toujours plus conforme. Faisons nous confiance et concentrons nous. Bref le mieux est l’ennemi du bien. Le paradigme de la perfection, de tenter en permanence d’etre conforme pousse à la disparition de la créativité. Gardons l’impertinence, notre esprit de contradiction. Notre libre-arbitre. La societe de consommation conduit à l’absence de sens.

    • Karine sur 21 novembre 2012 à 10 h 06 min
    • Répondre

    Merci pour vos commentaires.
    @Serge Eh oui, cette posture est intéressante dans toute relation à l’autre. Et c’est la vision du monde des coachs que de privilégier la solution intérieure chez des êtres toujours vus comme acteurs de leur vie.

    @Ombeline Merci pour cet apport. En effet la visualisation de l’objectif est une clé, je crois aussi beaucoup à des questions directes sur les conséquences et la perte : que pourriez-vous perdre en atteignant cet objectif ? C’est-à-dire éclairer d’une autre lampe la visualisation de l’objectif, ce qui est possible aussi par une reformulation (« vous avez atteint l’objectif, vous avez déménagé à New York, mais dites-moi, et votre femme elle est restée à Paris ? » :-D) .
    Car parfois nous voyons notre propre objectif « tout rose », et sommes aveugles aux nuages dans le tableau. Qu’en pensez-vous ?

      • Ombeline Becker sur 21 novembre 2012 à 10 h 28 min
      • Répondre

      Je suis d’accord Karine. J’utilise également des outils de type ‘Comme Si’ grâce auxquels j invite le client á changer de point de vue: Imaginez un instant que vous êtes…

    • Ombeline Becker sur 20 novembre 2012 à 22 h 36 min
    • Répondre

    Bonjour Karine et merci pour ce partage: il est essentiel de montrer que nous aussi les coaches nous nous remettons en question, que notre posture doit être ajustée a chaque séance.
    Au début d’un programme de coaching il est bénéfique d’amener notre client dans la visualisation de l’atteinte de son objectif et ce au moins 3 fois pour que le cerveau enregistre cette vision comme déjà réalisée et donc atteignable. A partir de la, le client devrait toucher du doigt les limites de son objectif.
    A disposition pour poursuivre l’échange.
    Ombeline

    • Serge Meunier sur 20 novembre 2012 à 10 h 42 min
    • Répondre

    Bonjour Karine,

    J’ai beaucoup apprécié la teneur de cet article. Les mots de la fin soulignent le bon sens et l’humanité de base que parfois l’on néglige de par notre volonté de bien faire (et revoilà le paradoxe). Humilité et position basse, on peut transférer cela à la relation amicale et au champ des confidences ou à la relation en tant que parent et la « protection ». Autrement dit -c’est ce que j’ai compris-, l’autre a besoin de nous comme miroir afin de voir émerger sa propre solution…

    Serge

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