Au théâtre, les quiproquos et malentendus apportent du piquant : le spectateur regarde avec amusement les personnages s’y engluer, jusqu’au dénouement. Mais sur une autre scène, celle du coaching en entreprise, ces erreurs de lecture et de communication jouent de vilains tours aux protagonistes. Ainsi les coachs, ceux qui les mandatent et ceux qu’ils accompagnent…
Toute relation professionnelle repose sur des rôles prédéfinis : quand le commercial propose un produit ou un service, le client potentiel réagit et répond. Chacun joue “sa partition”. Mais que se passe-t-il quand nous nous méprenons sur notre rôle ou celui de l’autre ? Par exemple, un vendeur vous dissuade d’acheter, comme dans la campagne de publicité lancée par l’Agence de la transition écologique (Ademe), « Épargner nos ressources », à l’automne 2023. Le “dévendeur” invite les clients à réparer ou louer plutôt qu’acheter. Avant de clarifier son rôle et son intention, le quiproquo s’installe avec ses clients, surpris de sa démarche. “Ah, mais c’est parce que moi je suis un dé-vendeur !” finit-il par expliciter.
Quel lien avec le coaching en entreprise ? L’intervention d’un coach en accompagnement individuel ou collectif présente plusieurs risques de méprise, parfois jusqu’au quiproquo bien installé.
Quiproquos et méprises dans le coaching en entreprise
Voici quelques exemples non exhaustifs des quiproquos (en latin, prendre une chose / personne à la place d’une autre) et malentendus (parole mal interprétée) dans des situations de coaching individuel en entreprise.
Malentendu n°1 : « Moi ? Mais je n’attends rien ! »
Par manque d’expérience, optimisme ou manque de clarté sur son rôle, le coach peut aborder la rencontre avec la personne qu’il va accompagner sans douter une seule seconde que celle-ci est bien motivée par une démarche de changement. Or toute personne à accompagner n’est pas demandeuse, de prime abord. Quand ce n’est pas le cas, cela peut donner un premier échange périlleux dans lequel :
- le coach questionne la personne avec précision sur ce qu’elle veut changer
- la personne lui répond de son mieux mais avec beaucoup de réserves (puisqu’elle n’a pas demandé cet accompagnement et n’en attend rien de particulier), ce qui conduit le coach à questionner davantage
Un tel échange risque de se dénouer de manière peu confortable, quand le coach finit par poser la question “Et qu’attendez-vous, alors, de cet accompagnement ?”, ce à quoi le/la coaché(e) potentiel(le) répond “Moi ?! Ah mais rien du tout ! On m’a dit que j’allais être coaché(e), alors je suis venu(e)”.
GÉRONTE. Que diable allait-il faire dans cette galère ?
Molière, les Fourberies de Scapin, Acte II, scène 7
Bien entendu, le/la coach vigilant aura vérifié très tôt qui a souhaité que ce coaching ait lieu, ce qu’en pense le/la coaché(e), et quelles sont les attentes des uns et des autres. Mais le présupposé de (bonne) volonté nous joue des tours. Je me souviens, dans un jeu de rôle avec des coachs sur ce thème, d’un coach ébahi qui répétait “mais enfin, la personne est venue en séance, elle paye son coaching, elle est forcément cliente de son coaching !” Dans les faits, c’est souvent plus compliqué que cela.
Autre cas,il peut y avoir malentendu avec les parties prenantes du coaching. Dans les coachings dits tripartites, les responsables hiérarchiques sont conviés autour de la table pour caler les objectifs, et impliqués a minima dans 3 aspects :
- la détermination des objectifs de coaching au début
- la facilitation de l’avancée du coaché vers ces objectifs (feedbacks réguliers, attitude du N+1 de nature à permettre le changement souhaité, ou au moins ne pas le gêner)
- la participation à la séance tripartite de bilan avec un retour sur les changements observés
Bien sûr, j’aurais dû être plus explicite en amont de cette réunion, sur le rôle de chacun dans l’exercice et l’importance de la participation du N+1. De là à faire une matrice RACI (Responsable / Approbateur / Consulté / Informé) pour chaque étape du processus de coaching…
Malentendu n°2 : « J’attends plus, ou j’attends autre chose »
Après la scène de “Je n’attends rien de vous”, voici une autre scène classique, “J’attends bien plus que ça de vous” (et n’attendez pas trop de moi).
Il s’agit de situations dans lesquelles la personne qui bénéficie d’un coaching attend du coach ce qu’il ne peut (ou ne devrait pas) lui offrir : une prise de décision, des solutions toutes prêtes, ou encore des conseils à appliquer.
Sur les bancs des écoles de coaching, le rôle d’un coach professionnel est présenté comme simple : il aide son client à trouver ses propres solutions. En principe, le coach conserve au fil des séances une position dite “basse”, de non vouloir (il ne veut rien pour son client, son client décide), et de non savoir (il ne sait rien de rien, il ne fait que questionner, seul le client sait).
Dans la pratique, plusieurs facteurs viennent brouiller cette “évidence” :
- certains clients aimeraient qu’on leur apporte des solutions parce qu’ils sont perdus, démunis, pressés ou dans l’inconfort à l’idée de chercher en eux-mêmes
- les coachs débordent parfois de leur rôle en prenant le “volant” et en guidant leur client dans une direction précise, avec des conseils à mettre en oeuvre. NB : ce n’est pas le conseil ponctuel qui fait dériver l’exercice, mais bien la position de conseiller prise par le coach et intégrée par le client. Déformation professionnelle d’ancien consultant, envie d’aider (ou de sauver ?), impatience dans un coaching qui patine : les raisons peuvent être variées.
- les prescripteurs du coaching (N+1, RH etc.) envoient de leur côté des messages qui peuvent alimenter une méprise, que ce soit au coach (“nous comptons sur vous pour l’aider à corriger ses défauts de communication, vous avez pu les percevoir dans l’échange avec lui” : un mandat pour faire changer le coaché) ou au coaché (“le coach va te donner des conseils pour améliorer ta communication”).
- le terme de “coach” recouvre plusieurs définitions, parmi lesquelles celle du coach sportif qui conseille, motive, stimule.
- et bien sûr, tous ces facteurs peuvent être renforcés par les interprétations de ce qui est énoncé. Chacun entend, en effet, ce qui l’arrange, d’où les malentendus.
Ainsi, coach et coachés s’engagent parfois sur une voie de quiproquo. Prenons un exemple :
Cette situation évoque l’origine même du terme “quiproquo” qui vient du champ pharmaceutique : un médicament à la place d’un autre. Pour prendre une analogie dans la situation qui précède, c’est comme si Loïc demandait au comptoir un anti-inflammatoire, et que le professionnel lui donnait un bon pour des séances de kiné à dérouler sur plusieurs mois.
Loïc pensait que son coach l’aiderait d’une autre manière (conseils, pistes ?) Le coach n’a peut-être pas précisé en amont sa manière de travailler, ou bien il l’a fait et Loïc ne l’a pas compris ainsi, car il est resté sur son besoin. L’essentiel dans cette situation, c’est la clarification par le coach (dont c’est le rôle) : que faisons-nous ici ensemble, comment puis-je vous être utile (et suis-je d’accord pour vous être utile de cette manière, et suis-je compétent pour le faire) ? C’est bien le rôle du coach, responsable du cadre dans le coaching, de repérer quand il y a des quiproquos ou malentendus et de questionner pour les lever, en explicitant la manière dont le travail ensemble se fait.
Cela lui demande des compétences d’observation, d’écoute, de prise de recul (et de savoir aller en supervision !), mais aussi de communication et parfois de courage car nommer les choses, c’est prendre un risque.
Revenons à Loïc. Il est possible aussi que celui-ci se soit attendu à autre chose parce que son collègue lui avait “vendu” le coaching comme très efficace, puisqu’il l’avait été pour lui. Loïc a imaginé que son coach lui donnerait des clés très rapidement. NB : il n’est pas rare qu’une personne accompagnée ait l’impression que son coach lui a donné des conseils alors qu’il l’a surtout aidée à cheminer et que les solutions sont venues de sa réflexion. Ce mécanisme d’attribution tient à divers facteurs comme la projection.
S’il semble difficile de se prémunir à 100% de ce malentendu-là, il reste possible – et souhaitable – de clarifier au plus tôt le rôle du coach et ses limites. Parfois ce que propose le coach ne peut rejoindre les attentes du client. Et parfois, on s’ajuste mutuellement pour une réussite satisfaisante. Je me rappelle d’une cliente il y a quelques années qui, après les premières séances, avait cessé d’attendre que je la conseille, et cherchait en elle les solutions. Parfois il lui arrivait de me demander “mais vous en pensez quoi, vous ?” et de se reprendre d’elle-même devant mon sourire, “Ah oui c’est vrai, c’est à moi de trouver !” C’était devenu un jeu, comme une complicité.
Malentendu n°3 : « Qu’est-ce que c’est que ces questions ? »
Quand la personne accompagnée est motivée pour travailler sur des objectifs qu’elle s’est fixés, d’autres malentendus peuvent se présenter. Par exemple, un coach orienté “psy” peut déborder de la demande explicite formulée par la personne accompagnée, et l’emmener dans des questionnements plus profonds sans son consentement explicite. L’échange peut alors se tendre, avec un coaché qui finit par dire stop à cette intrusion. Exemple :
“Coach : – Et, qu’est-ce que cela dit de vous, cette façon de considérer votre manager comme illégitime ? A quel vécu passé cela vous renvoie-t-il ?
Coaché : – Ecoutez, je ne comprends pas ce que vous cherchez avec vos questions, moi je suis venu pour prendre une décision sur ce poste, est-ce que je reste ou pas, là ça devient trop psy pour moi !”
On se trouve là dans un quiproquo où le professionnel, agissant avec
Certains coachs (ou psy ?) penseront très fort que cette personne a une “demande cachée” ou qu’elle a une zone aveugle à travailler. En tant que coach systémicienne je m’en tiens à la demande explicite, formulée, et contractualisée avec la personne accompagnée – et l’entreprise dans le cadre tripartite – c’est un choix qui me convient.
Comment éviter les quiproquos et malentendus ?
Ah. Vous pensiez que cet article allait rapidement proposer les bonnes clés pour éviter ces écueils… Il y a maldonne, le but était seulement d’en montrer quelques-uns afin de donner matière à réflexion ;)
Cependant, voici quelques pistes complémentaires sous forme d’articles :
Le malentendu peut venir de ce que le coach a endossé un rôle que personne ne lui avait donné, celui de sauver son coaché de ses malheurs. On entre alors dans le malentendu des “faux-contrats”.
Observer les résistances constitue un des garde-fous, puisque cela permet de percevoir les limites chez l’autre et de clarifier alors ce que l’on a à faire ensemble dans l’accompagnement.
Et vous, de vrais quiproquos, mémorables, en avez-vous connu dans votre vie professionnelle ?
NB : pour qu’il y ait quiproquo, il faut que la méprise s’installe un peu dans la durée, créant une confusion dont on ne sort que plus tard. Par exemple, vous pensiez qu’untel était décideur et vous lui adressez des demandes de validation. Votre étonnement va croissant car au fil des semaines, vous constatez qu’il met un temps fou à vous répondre et semble solliciter à chaque fois une autre personne (qui s’avère, finalement, le vrai décideur dans le dossier).
Vous est-il arrivé de vous tromper durablement, en prenant une personne pour ce qu’elle n’est pas ? Avec quelles conséquences ? Et quel élément a mis fin au quiproquo ?
Je vous raconte une anecdote qui m’est arrivée et m’a laissé un souvenir cuisant :
Un jour j’arrive en réunion de cadrage d’un coaching, avec la RRH (appelons-la Sandrine) et la manager du coaché (appelons-la Sylvie). J’entre dans la salle, salue le coaché Dimitri et la femme assise à sa gauche, que je prends pour la manager, Sylvie, que je n’avais vue qu’en photo. Je demande alors si la RRH se joindra à nous comme prévu : “Sandrine va nous rejoindre ?” Je précise que je connais Sandrine, l’ayant déjà vue deux ou trois fois. La femme assise à la table de réunion me regarde avec une certaine surprise, et me répond “Non c’est moi Sandrine. Nous attendons Sylvie, la manager de Dimitri.” Grande confusion dans ma tête, je me sens déstabilisée et honteuse, et ne trouve rien de mieux que dire “Ah, pardon, mille excuses, vous avez changé de coupe de cheveux ?”
Cet épisode m’a marquée et j’en ai retenu que prendre une personne pour une autre personne fait partie des erreurs relationnelles “graves”, en tout cas vécues comme telles par ceux qui les commettent.
Chose amusante, cette même Sandrine m’a appelée quelques années plus tard sur mon mobile. Je l’avais toujours en répertoire, j’ai décroché avec bonne humeur. Raté : elle cherchait en fait à joindre… une autre Karine !
A vous ! Partagez vos anecdotes en commentaire ci-dessous.
Et si les erreurs professionnelles vous intéressent, surveillez en février prochain la sortie du livre Chères erreurs – 40 chroniques pour transformer les boulettes en pépites de ma consoeur Cécile Guinnebault, chez Enrick B Editions.
Images : Kyle Head et Fauzan Saari, Unsplash.
Wikipedia.
1 Commentaire
Bonjour
Merci pour cet article qui introduit à la finesse en terme humain et la précision pour ce qui est de l’organisation -autour du contrat- qui (me) semblent nécessaires pour exercer cette profession. C’est impressionnant !
Cordialement, Serge