Le poisson guérit par la tête

Poisson à tête jaune et corps grisIl fuse et infuse dans nos organisations, cet aphorisme attribué à Mao Zedong. “Le poisson pourrit (toujours) par la tête.” La sentence pèse sur les chefs – en latin, les têtes – des systèmes concernés. Et si nous en prenions le contre-pied ? Avec un peu d’optimisme et de vision circulaire. Si le poisson pourrit par la tête, alors, par la tête il peut aussi guérir ? Comment un changement dans la direction d’une organisation apporte-t-il des changements plus grands à l’ensemble de la structure ? Que peut générer un coaching de direction ?

Tout d’abord, dire que le poisson pourrit par la tête procède d’une vision linéaire de la causalité : le pourrissement se propagerait de la tête vers le corps pour finalement toucher le poisson tout entier.

Regardons plutôt le processus de manière globale. Gardons-nous du découpage un peu grossier “direction / reste de l’organisation”. Les événements s’enchaînent en réalité de manière circulaire : un problème peut atteindre le coeur de l’organisation, et de là se répercuter sur sa direction, tout aussi bien que l’inverse.

Voyons un exemple.

Désaccord sur les objectifs, démotivation de l’équipe

Le marché est tendu ces derniers temps. Les commerciaux ont du mal à vendre les produits et à atteindre leurs objectifs. Inquiet, le directeur commercial informe le PDG de la situation. Le PDG réfute la difficulté liée au marché et maintient les objectifs fixés. Il demande au directeur commercial de se séparer des commerciaux les moins efficaces. Et de mettre sous pression les commerciaux restants pour atteindre les objectifs de vente.

L’escalade entre un directeur commercial et son PDG

Le directeur commercial défend son équipe. Mais devant la fermeté de son PDG, il s’exécute et garde une équipe réduite. Mais celle-ci se démotive devant les objectifs irréalistes : comment vendre 10% de plus que l’année dernière avec un marché réduit par la crise ? Et des produits devenus moins concurrentiels ?

Deuxième tentative du directeur commercial auprès de son PDG pour modifier les objectifs et la stratégie de développement commercial. Deuxième fin de non recevoir du PDG qui commence à s’agacer de ce directeur commercial trop mou à ses yeux.

Ainsi une difficulté (vendre dans un marché difficile) devient-elle un vrai problème dans l’entreprise (tensions, désaccord entre le PDG et son directeur commercial etc.)

Compter les points ou initier un changement ?

Qui a commencé ? Qu’importe. Ce qui est sûr c’est que l’une ou l’autre des parties de l’organisation peut donner l’impulsion d’un changement.

Or qui est le mieux placé pour donner cette impulsion, parce que son action rayonne d’un coup sur l’ensemble de la structure ? La « tête », c’est-à-dire le dirigeant. Ainsi le coaching de direction donne-t-il, souvent, des résultats non seulement pour le dirigeant lui-même mais pour l’ensemble de son organisation.

Laisser de l’autonomie pour responsabiliser

Un dirigeant était arrivé au bout de ses forces. Son entreprise était passée en quelques années de 10, 20, à 90 employés. Pourtant il agissait toujours comme s’il était presque seul à bord : toujours au courant de chaque détail, de chaque action à tout niveau dans la structure.

D’ailleurs, il n’y avait que peu de niveaux : embarqué dans la rapide croissance de son entreprise le dirigeant n’avait pas pris le temps d’organiser un middle management pour relayer sa gouvernance. Alors il pestait, râlait, s’énervait. Et il travaillait deux fois plus, il était partout et tout le temps puisqu’ “il n’y en avait pas un pour prendre des responsabilités.” Le burn-out se rapprochait gentiment.

C’est pour retrouver un équilibre personnel que ce dirigeant a demandé un coaching.

Vers une autonomie progressive

Il eût été brutal de mettre un coup de projecteur sur sa responsabilité dans le fonctionnement global : plus il micro-manageait ses managers, moins il les responsabilisait.

Ce dirigeant venait pour retrouver un équilibre malgré le problème de défaut de responsabilité de ses managers. Il ne semblait pas prêt à faire le lien entre les deux.

En revanche, il était motivé à retrouver du temps pour lui. Notamment pour penser la stratégie de son entreprise, et pour fréquenter son réseau d’entrepreneurs. Alors, il a fait le choix de lâcher un peu ses managers, de les laisser se débrouiller sur certaines décisions sans risque fort.

Rapidement, ceux-ci ont saisi la balle au bond : laissés à plus d’autonomie, ils ont pris leurs responsabilités. En fait, ils n’attendaient que cela !

Le cercle vertueux de la responsabilisation

Le dirigeant a observé de premiers changements qui l’ont étonné et soulagé. Il s’est senti encouragé à continuer à prendre soin de lui-même. Il s’est d’abord dit “enfin ils s’y mettent ! Le déclic tant attendu.” Avant de reconnaître plus tard, avec du recul, qu’il avait sans doute empêché pendant longtemps ce qu’il appelait pourtant de ses voeux.

Ainsi, dans une organisation où le chef s’épuise à tout faire, privant ses managers de le relayer alors que c’est ce qu’il attend d’eux, la guérison vient d’abord du chef qui “donne du mou” à la structure. Ce lâcher-prise crée une réponse : celle de la prise en main par le management, qui incite le chef à lâcher davantage, à faire plus confiance.

Parfois la tête change au moyen d’une prise de conscience (“je suis trop sur eux, je les empêche de se responsabiliser”). Et parfois c’est par un autre biais, celui d’une expérience vécue qui change la vision.

C’est-à-dire, une expérience de la réalité qui modifie d’un coup une croyance : puisque je constate que mes managers prennent leurs responsabilités depuis deux semaines, c’est que finalement ils en sont capables.

Dans les deux cas le changement est venu par la « tête », pour gagner le “corps” (le reste du système), dont le changement modifie à son tour celui de la tête etc. Le cercle vertueux a donc commencé par la tête.

Un petit dessin ?  Cercle vicieux en rouge, cercle vertueux en vert, pour faire simple.

Cercle vicieux entre dirigeant et managers

Cercle vertueux entre dirigeant et managers

Notez qu’en théorie le changement peut venir du dirigeant ou des managers : le fonctionnement est circulaire.

Et vous, dans quel cercle vous situez-vous ? Vous convient-il ?

Si vous deviez créer un changement, quel serait-il ?

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8 Commentaires

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    • BELLA Béranger sur 16 avril 2014 à 18 h 19 min
    • Répondre

    Bonjour Karine;
    J’aime bien être dans le vert, mais n’empêche pas comme a dit un manager Japonais dans son ouvrage: Un bon manager est celui qui est de temps en temps sur le terrain, qui se rend compte des problèmes institues afin de trouver des solutions palpables pouvant pallié à ce problème.

    • Jordane (Osez Briller Coaching) sur 10 janvier 2014 à 0 h 34 min
    • Répondre

    Bonsoir Karine,

    C’est sûr que si les salariés n’ont pas l’habitude de solliciter leur proactivité et leur esprit d’initiative, ça risque de prendre du temps pour que le changement s’opère. Et comme dans toute organisation qui connait un changement que cela soit d’outils de travail ou de management, le changement doit être conduit par des actions particulières.

    Enfin, je parle d’une manière générale, il y a énormément de cas où le salarié s’est opéré naturellement au changement mais c’est aussi parce que la culture de l’entreprise s’y prêtait.

    Bref, comme Boudha disait : « il n’y a qu’une seule chose de constant dans ce monde : le changement »

    Au plaisir,

    Jordane

    • Charles sur 7 janvier 2014 à 19 h 50 min
    • Répondre

    Bonsoir, je suis en phase, mais parfois en entreprise, nous n’avons pas trop le temps d’attendre que « cela bouge ». Disons attendre une 2 semaines, c’est déja pas mal pour une PME, c’est donc une situation pour laquelle un manager devra vite trancher si rapidement rien n’avance concrètement :/

    • Charles sur 7 janvier 2014 à 10 h 19 min
    • Répondre

    Bonjour Karine, C’est une quadrature idéal, mais si le dirigeant lâche sur le contrôle, mais que les managers ne prennent pas d’initiative ?

      • Karine sur 7 janvier 2014 à 14 h 10 min
      • Répondre

      Bonjour Charles
      Bonne question ! Dans l’exemple, c’est le contrôle du dirigeant qui empêchait l’initiative chez les managers. Mais que penser si celle-ci n’émerge pas davantage quand plus rien ne l’empêche ?

      J’ai l’image de l’ordinateur qui met parfois du temps à réagir et sur lequel on s’impatiente (quitte à cliquer 10 fois pour rien) : patience, l’effet d’un changement peut demander du temps pour devenir mesurable. Etre attentif, en attendant, aux signaux faibles suggérant que le changement est en marche.

      Et si rien ne se passe après des semaines, bien sûr, penser à changer de métier.

      • Carine sur 7 janvier 2014 à 19 h 34 min
      • Répondre

      Bonjour Charles, Bonjour Karine (et bonne année)

      on a tous dans nos entreprises / entourage des personnes qui ont plus de facilité à prendre des initiatives, on a tous nos zones de confort et nos craintes. Pour lacher « efficacement » du lest à ses collaborateurs (c’est à dire pour ne pas dire ensuite ‘ça ne marche pas, j’ai essayé, regardez….’), j’aurai tendance à choisir une activité où les craintes en cas d’échec seront faibles (donc moins de pression pour ne pas micro-manager), et des collaborateurs qui donnent l’impression d’avoir envie de se déplier et de le faire dans un domaine où le collaborateur est compétent. L’idée est de se rendre compte « en vrai » qu’on peut lâcher une partie du contrôle, mais pas sa totalité.
      Après, comme le dit Karine, il faut être patient, car les collaborateurs vont avoir besoin de s’ajuster à un nouveau fonctionnement. Je ne saurais pas dire dans quel cas il est préférable que le manager annonce les nouvelles règles du jeu, et dans quel cas il est juste préférable de lacher.

        • Karine sur 8 janvier 2014 à 13 h 50 min
        • Répondre

        Bonjour Charles et Carine,

        merci de vos partages. Comme tu le dis Carine, lâcher sa tendance à micro-manager est facilité quand l’enjeu (pour le « micro-manager ») est moindre et l’envie et la compétence du collaborateur réels.

        Tout est dans ce « rendre compte en vrai » que tu évoques : une expérience qui peut modifier la perception. C’est l’image de l’éléphant adulte qui ne tente pas de casser sa chaîne contre laquelle il a en vain lutté, petit. Quelle surprise s’il tentait de la casser ! Et quelle surprise pour le cheval qui découvre que le fil n’est pas électrifié.

        Après, je me pose la même question que toi Carine : donner les règles ou laisser les choses se faire naturellement ? Je pencherais le plus possible pour la seconde option, la première me semble un faux lâcher-prise, proche d’une injonction paradoxale : « faites spontanément ce que je vous demande. »

        Avec un manager qui reviendrait toujours à sa conclusion première « je dois être partout », je creuserais ce que lui apporte cette position, quels bénéfices il en tire, et quel coût elle a pour lui.

          • Carine sur 8 janvier 2014 à 19 h 10 min
          • Répondre

          Karine

          je suis d’accord avec toi, dire texto à ses collaborateurs « mais bon sang soyez autonomes » risque de bloquer la situation.

          Je pensais à la fois au micro-manager qui a une organisation de middle-management en place mais qui demande à ce que toute décision transite par chez lui, et à quel point il m’est difficile de ne pas répondre à un collaborateur qui vient me solliciter. Je crains que dans un tel cas, attendre que les collaborateurs ne viennent plus solliciter le manager prenne un temps infini si celui ci ne leur dit pas « dans tel et tel périmètre, à partir de maintenant, ma validation n’est plus nécessaire ».

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