Certains d’entre nous font tout pour se démarquer, d’autres pour être « normaux » et s’intégrer au groupe. Mais tous, nous subissons sans le vouloir l’influence sociale : nos perceptions et nos choix sont influencés par le collectif qui nous entoure. A l’heure où l’on parle beaucoup d’intelligence collective, je vous propose une série d’articles sur l’influence sociale, avec des exemples de ces mécanismes étonnants. Dans ce premier billet, il sera question de notre perception et de notre opinion : comment le groupe influence notre faculté de juger, et quelles sont les conséquences de ce principe dans l’entreprise.
Qu’est-ce que le conformisme ? c’est :
Un changement de comportement ou de croyance résultant de la pression réelle ou imaginée d’une majorité à l’endroit d’un individu ou d’une minorité d’individu (1)
Conformisme d’opinion : ils pensent donc je (les) suis
Connaissez-vous l’expérience de Salomon Asch, en 1956 ?
Elle démontre de manière amusante notre tendance à nous conformer à l’opinion d’un groupe. Dans cette expérience on annonce au cobaye un test de perception visuelle. Et il ignore qu’il y participe aux côtés de 7 acteurs. On demande à chacun de comparer un segment de droite à 3 autres segments et de trouver lequel a la même longueur que le premier. Les acteurs donnent tous la même mauvaise réponse, le cobaye se range rapidement à leur avis, perturbé d’être le seul à donner une autre réponse (pourtant la bonne!)
Voici l’expérience en vidéo :
Avec des réponses fausses données de manière unanime et constante, 33% des cobayes se conforment aux réponses du groupe, allant à l’encontre de leur propre perception.
Pourquoi ? Les cobayes ont été interviewés et voici leurs explications les plus communes :
– ils savent qu’ils ont la bonne réponse mais ont peur d’affronter le groupe en se démarquant (peur du jugement, du conflit)
– ils se conforment par crainte du rejet
– certains pensent même que c’est le groupe qui a raison, et remettent en cause leur propre perception !
Nous trouvons donc deux grands facteurs : une peur du rejet, et un doute sur sa propre perception.
1. Confort + mimétisme = conformisme
La peur de se démarquer ou d’être rejeté peut amener un individu à garder pour lui des idées créatives, ou des intuitions justes ; il peut choisir de taire une information qu’il sent impopulaire.
Il peut aussi diminuer volontairement (ou masquer) ses performances pour s’aligner avec la performance moyenne du groupe.
Au final la peur du rejet lisse les écarts entre les individus et prive le groupe, l’entreprise, d’une part de sa richesse. Dans sa zone de confort, la plupart jouent les caméléons aux couleurs du groupe et la pensée unique fleurit.
2. Ils pensent, donc je (les) suis
Second facteur identifié plus haut, le doute d’un individu sur sa propre perception face à un groupe qui en a une autre. C’est l’ argumentum ad populum (« raison de la majorité »), souvent invoqué en publicité : puisque 99% des clients sont satisfaits, je vais l’être aussi, forcément. Ils pensent, donc je les suis.
Pourtant « C’est pas parce qu’ils sont nombreux à avoir tort qu’ils ont raison » comme l’a dit Coluche… un original justement, capable de se distinguer du groupe en tant qu’individu.
Selon Jacques-Philippe Leyens (Psychologie sociale, 1979) la majorité influente peut être quantitative ou qualitative. Dans le premier cas c’est le nombre d’individus qui constitue une majorité. Dans le second, cette majorité tient à une compétence, un prestige ou une autorité légitime ou non.
Qu’est-ce que ça donne en entreprise ?
Majorité influente quantitative :
Le groupe a souvent raison contre l’individu. Nous le savons d’ailleurs, puisque pour demander leur avis à nos collègues sur un sujet, nous préférons souvent leur taire d’abord le nôtre pour ne pas les influencer.
Si dans une réunion la majorité des participants est contre une option qui a été proposée, il devient difficile de défendre cette même option. A moins de savoir s’affirmer solidement ou de bénéficier d’un leadership, de statut ou de posture.
Majorité influente qualitative :
L’autorité a souvent raison, qu’elle soit hiérarchique ou de posture. Dans des entreprises au mode de management très hiérarchique, les idées nouvelles risquent d’avoir du mal à émerger en-dehors de la sphère des top managers. C’est surtout vrai si l’autorité est vécue de part et d’autre comme une supériorité de d’intelligence et/ou de décision.
Parfois la posture fait office de statut. J’ai vu récemment un leader très directif, influencer radicalement et en quelques jours la vision de plusieurs managers en place depuis longtemps. Il était minoritaire en nombre et en ancienneté dans ce groupe solide et constitué sur plusieurs années. Pourtant, il était influent par son leadership et cela a suffi. Rapidement, ce groupe de managers a adopté toutes les idées du leader comme si elles émanaient d’eux-mêmes.
Comment conserver son libre-arbitre et sa différence quand l’influence se fait sentir ?
Une solution : l’individuation
Pour résister à l’influence sociale, nous avons besoin de développer notre individuation. Pourquoi est-ce un effort ? Parce que notre nature nous pousse souvent à nous synchroniser.
Pourquoi nous nous synchronisons
Dès notre naissance, nous sommes programmés pour vivre avec les autres. Et certains de nos neurones sont là nous y aider : les neurones miroirs. Découverts dans les années 90, ces neurones auraient pour fonction de faciliter la cognition sociale (processus cognitifs liés aux interactions avec les autres) et le lien avec les autres (empathie, affection…)
Les neurones miroirs nous amènent à :
– faire preuve d’empathie et comprendre l’autre : « je sens ce que tu ressens », « je vois ce que tu veux dire » etc.
– fonctionner par imitation de l’autre
– nous synchroniser avec l’autre ou les autres : pensez à un public qui applaudit à l’unisson sans effort. Ou à deux amies qui discutent avec passion d’un sujet et ont calé inconsciemment leurs gestes, voix, respirations, vocabulaires, positions sur la chaise etc. dans un mimétisme étonnant.
C’est très puissant, et c’est quasi automatique dès que nous sommes en contact avec l’autre ou les autres. Et c’est ce qui nous permet de nous lier facilement avec les autres de notre espèce.
Seulement, quand nous sommes à ce point synchronisé avec les autres, que reste-t-il de notre individualité ? Nous sommes en partie sous influence. Alors si ce n’est pas ce que nous voulons, il devient nécessaire de sortir du champ d’influence par l’individuation.
L’individuation en acte
Individuation :
Distinction d’un individu des autres de la même espèce ou du groupe, de la société dont il fait partie; fait d’exister en tant qu’individu. (Trésor de la Langue Française)
En fait, cela revient à faire le mouvement inverse de celui qui nous permet de nous intégrer au groupe.
Pour m’intégrer à l’entreprise dans laquelle j’arrive, je peux me caler – consciemment ou non – sur ses habitudes et rituels (horaires de travail, horaires de déjeuner…) et ses codes (tutoiement, manière de communiquer par email, code vestimentaire etc.) En faisant cela, je me rapproche des autres collaborateurs, nous formons un tout.
Se désynchroniser du groupe pour garder son individualité
Si je ressens que suis sous influence, que mes opinions et perceptions sont souvent conformes à celles de mes collègues, je peux choisir de me désynchroniser pour renforcer mon individuation. Par exemple me décaler légèrement dans les horaires, ne plus suivre à la lettre les codes. Il n’est pas nécessaire d’entrer en pleine rupture et de se marginaliser, l’individuation est subtile et s’utilise dans les moments où j’en ai besoin.
Exemple :
Quand nous adoptons la même posture que les autres, il arrive souvent que nos idées se synchronisent aussi sur celles des autres, de manière inconsciente. Prendre conscience de son corps, voilà une première étape pour l’individuation.
Certains le font naturellement. Ils sont assis en retrait en réunion, chaise reculée quand tout le monde est collé à la table. Ils parlent à contre temps, ils s’habillent ou se comportent différemment etc.
Mais la majorité d’entre nous a une furieuse tendance à s’aligner sur le groupe, comme le montre cette vidéo dans un ascenseur : http://www.youtube.com/watch?v=OG_KxA_KLJY.
Apprendre à désobéir
En plus de notre aptitude naturelle à nous synchroniser avec le groupe, notre éducation nous a parfois appris à nous conformer à ses lois.
Sortir du champ d’influence, c’est aussi accepter de désobéir ce qui nécessite une certaine force selon les contextes. Et qui demande toujours de l’estime de soi et une confiance en soi pour dépasser la peur du rejet évoquée plus haut.
Il en faut de la confiance en soi pour émettre un avis opposé à celui de tout un groupe : « vous trouvez tous que ce film est drôle ? Moi je le trouve de mauvais goût ». Ce type de position s’apprend au cours de la vie, il semble qu’il soit facilité s’il a été enseigné dans l’enfance par les parents. Un enfant élevé en « bon soldat » aura du mal à sortir de l’influence sociale.
Conclusion
Echapper à l’influence sociale demande d’en prendre conscience, d’avoir conscience de soi et de sa posture, son corps, et de parvenir à se désynchroniser du groupe. Ce mouvement requiert aussi de dépasser sa peur du rejet, parfois même de savoir désobéir. Au final, c’est développer notre individuation. Un chemin plus ou moins naturel pour chacun selon son caractère, son histoire etc. Estime de soi et confiance en soi sont des atouts importants dans ce processus. Toute la subtilité est dans l’équilibre que chacun de nous a besoin de trouver entre son besoin de lien et d’appartenance avec le groupe d’une part, et son besoin d’individualité d’autre part.
A vous ! Questions de coach
- Dans quelles situations récentes avez-vous eu l’impression de subir l’influence sociale ?
- Qu’est-ce qui vous a empêché de vous exprimer en individu dans ces situations ?
- Cela vous pose-t-il un problème ?
- Qu’aimeriez-vous faire différemment la prochaine fois ?
(1) Bédard, L., Déziel, J. et Lamarche, L., Introduction à la psychologie sociale. Vivre, penser et agir avec les autres, Éditions du Renouveau Pédagogique Inc, 2006, p. 180.
12 Commentaires
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Bjr le conformisme est il différents de l’influence sociale ??
Bonjour Albéric,
disons que le conformisme est une réaction à l’influence sociale à laquelle est sensible celui qui se conforme ? Mais il est difficile de faire la part entre le conformisme qui vient de la personne et celui qui lui est réellement demandé par son environnement social / professionnel.
les entreprises, l’ecole et meme la société c’est 100% de formattage et de docilité, pour servir les dominants, les politiciens francais de m* etant au sommet (qui sont juste plus menteurs que les autres et des parasites qui vivent au crochet de la societe car ils n’ont souvent jamais travaillé)
en considerant que la plupart des gens ont besoin d’un travail pour survivre, et bossent au min 35h/sem , je voudrais savoir ou est l’individuastion ??
c’est encore plus vrai actuellement car changer d’employeur (le pouvoir de l’employe) est plus limité que jamais.
ces articles c’est tres beau sur le papier mais DECONNECTE de la realite. on donnant aux gens l’impression d’un pouvoir qu’il n’ont pas, on fait de la propagande a 2 balles = > le coach est fondamentalement un collabo, il ne denonce pas les realites sociales sous-jacents
le apprendre a desobeir, monsieur le coach pouvez me dire comment on fait a l’armee et autres institutions du style. merci d’avance
Bonjour Luc,
Je comprends votre agacement si vous avez lu dans mon article un air de « yakafokon ».
Il est évident que ce propos ne s’adresse pas aux personnes dont le contexte exige, par nature, une obéissance stricte (comme l’armée que vous citez).
L’article fait référence aux situations où il est possible (et peut-être souhaitable) d’échapper à l’influence sociale, au conformisme et aux biais cognitifs liés à ces facteurs.
Il y a cependant des cas où la désobéissance a, ou aurait pu, être salutaire et ceci dans un contexte à forte hiérarchie. Je pense à des infirmières qui ont sauvé des patients en ne respectant pas la prescription d’un chef médecin, ou à ce co-pilote d’un avion Korean Air en 1997 qui n’a pas osé s’affirmer face à son supérieur, alors que son avis aurait pu éviter le crash (il était moins question ici de désobéir que d’être un peu moins respectueux de son chef.)
Beaucoup d’entrepises, surtout les grandes fonctionnent comme a l’armée : respect de la hierarchie, conformisme (meme vestimentaire pour des futilités parfois, on pourrait y voir une analogie avec l’uniforme), fayotage, ne pas se faire remarquer (quel plus bel exemple sic) etc (lire « rules of work » c’est edifiant)
Sachant que le salariat est la norme, les grandes entreprises fournissant la majorité de l’emploi (les TPE et petites PMEs sortent un peu de ce cadre)
Je ne sais pas si j’ai besoin de vous expliciter tout cela
donc votre article ca reste tres theorique et l’utilité en est reduite
Les seuls endroits ou reste encore le libre arbitre est celui des relations interpersonnelles, ou les enjeux sont relativement faibles.
Merci, les faits décrits sont en ce qui me concerne très bien expliqués. Merci encore!
Excellent article.j’attend le nouveau!!!!
Excellent article.
Merci à vous !
Hate de lire la suite ;)
Excellent article ! vraiment !
Il serait intéressant dans un autre article de reprendre le sujet en y comparant les grandes entreprises Vs les PME et l’influence de la politique sur le conformisme.
Merci beaucoup !
Effectivement la taille de l’entreprise joue dans ces mécanismes, par le jeu du « corporatisme » notamment, de la culture d’entreprise, de l’emprise de la Marque et bien d’autres facteurs.
Sujet à creuser ;)
A bientôt