Parfois, nous sommes ric-rac. Nous montons le dernier dans l’avion et la porte se referme, nous terminons le mois au bord du découvert. Nous roulons pile à la vitesse autorisée ou nous passons un feu à l’orange bien mûr. Ouf, c’était juste ! Il était moins une… Pour certains, c’est un mode de vie : ils sont ric-rac avec une régularité qui frise l’habitude. Que gagne-t-on dans l’histoire ? Et à quel prix ?
Bien sûr, si vous faites de la régate, passer au ras de la bouée vous fait gagner de précieuses secondes (et risquer le Craaac). Vous partagez la préoccupation du pilote de Formule 1 qui décélère le moins possible dans les virages. Et celle du livreur de pizza qui frôle les voitures : gagner des secondes, ça paye, même si c’est risqué.
Mais que gagne par exemple un jeune cadre dynamique dans un bureau, à mettre en place des comportements qui passent ric-rac ? Pourquoi ce goût pour le « chausse-pied » ?
Est-ce pour :
1. L’adrénaline des films d’action ?
Arriver in extremis à un rendez-vous, c’est l’occasion de vivre un cocktail d’émotions :
- d’abord le stress qui nous tient en alerte pendant le trajet,
- l’appréhension nourrie au scénario catastrophe (le client sera furieux),
- l’énervement contre le métro qui traîne ou le nombre de feux rouges,
- puis le soulagement voire la jubilation en arrivant à destination 1 minute en avance.
Autre exemple : répondre à un appel d’offres et positionner son prix au maximum de ce que le client pourra accepter, en espérant que ça passe. Suspense et frisson au rendez-vous.
Si ça passe, notre comportement et les croyances associées en sortent renforcés : pourquoi prendre de la marge puisque je suis assez fort / chanceux pour réussir à chaque fois ?
Peut-être cherchons-nous simplement à injecter un peu d’intensité dans nos journées routinières ? A sortir de notre zone de confort?
Voire, à nous plonger dans l’action perpétuelle comme ces héros trépidant pendant 90′ sur grand écran. Une vie bien remplie et le plaisir de parvenir au but in extremis.
En prolongeant cette idée, ne sommes-nous pas là en quête d’exploit héroïque, ou de sentiment d’invincibilité ?
2. La tension qui crée l’attention ?
Qu’est-ce qui fait que même quand nous avons plusieurs semaines pour faire un travail, nous nous y attelons au tout dernier moment ? Goût du rush ? Impression de meilleure efficacité dans la tension? La tension crée-t-elle l’attention ?
Dans mes accompagnements j’entends souvent mes clients me dire : “j’avais de la marge, mais je l’ai laissée filer et j’ai terminé ric-rac”, “je travaille mieux dans l’urgence”.
Procrastination parfois, ou besoin de travailler dans le “rush”, d’obéir à une dictature de l’urgence qui apparaît comme le rythme juste : avoir trop de temps serait devenu suspect.
Ainsi, nous nous arrangeons pour perdre le temps d’avance. Ou nous truquons le délai accordé aux autres (équipes, fournisseurs) pour les placer en position de sprinters. Et vivre ainsi à l’unisson de l’injonction « dépêche-toi ».
3. Le goût de l’optimisation ?
3ème piste, optimiser.
On retrouve là le premier sens étymologique de ric-rac : avec exactitude ou précision. Arriver ric-rac à un rendez-vous, après tout, c’est arriver exactement à l’heure, et pour un perfectionniste ça a de la valeur.
“L’heure, c’est l’heure ! Avant l’heure c’est pas l’heure.”
Le flux tendu, c’est aussi une manière industrielle de mener son quotidien. Certains remplissent leur planning à ras bord sans prévoir aucune marge : la marge, c’est du temps perdu ! Obsession du rendement…
Quitte à se déplacer à La Défense pour un rendez-vous, je m’en ajoute un second dans la foulée, ce qui me laissera quand même bien le temps de rentrer au bureau pour terminer un dossier.
En théorie. Car le problème de ce fonctionnement, c’est que souvent il ne laisse pas de place aux petits imprévus : le premier rendez-vous se prolonge, la cliente du second n’est pas joignable, la route du retour est embouteillée etc.
A l’extrême, la sur-optimisation mène au surbooking, deux rendez-vous en même temps… et une belle matière pour un vaudeville en costume-cravate. Je connais un directeur du développement qui a souvent dans son agenda 2 ou 3 rendez-vous le même jour à le même heure.
En même temps, ceux qui parviennent à jongler ainsi sont devenus experts dans le repérage des limites (temporelles, sociales, personnelles…)
4. L’art d’être inabordable ?
Celui qui est toujours ric-rac ne laisse pas d’espace où la rencontre avec l’autre deviendrait possible.
Surbooké, nous sommes à l’abri de nous voir proposer d’autres missions, nous échappons à l’invitation à déjeuner, que ce soit dans la sphère professionnelle ou personnelle.
“Pas le temps”, “sous l’eau”, “charette”, “à fond” ou “au taquet” sont autant de messages que nous passons à ceux qui nous entourent : pas de place pour autre chose, je suis ric-rac, cintré à me couper le souffle dans mon quotidien.
Une forme de liberté paradoxale ?
5. L’angoisse du vide ?
Dans la même veine, que nous évite la stratégie du ric-rac ? Peut-être, d’être confronté au vide : à ces dix minutes d’attente dans la salle d’embarquement, à cette respiration dans le planning, à cet espace de liberté qui s’ouvre, plein de possibilités… et d’inconnu.
Pour certains, c’est une bouffée d’oxygène, pour d’autres, d’angoisse.
Le vide nous ramène à nous-même, en nous sortant de l’action. Place aux pensées et aux émotions… horreur ! Ce vide est le lieu des peurs, parfois existentielles, qui suis-je, quel sera mon avenir, quel est le sens de mon métier, de ma vie etc.
Conclusion : et l’écologie personnelle ?
Si vivre ric-rac comporte quelques avantages comme nous l’avons vu, cela nous coûte aussi. En stress, absence de respiration, sur-stimulation de notre organisme, manque de repos…
Notez qu’il est facile comme dans les exemples cités en début d’article, d’être pied au plancher dans un véhicule de course. A condition d’avoir une bonne équipe technique au stand, et un mulet performant pour remplacer la voiture.
Mais… utiliser son propre organisme comme Formule 1 toujours en surchauffe ?
Questions de coach :
- Quel(s) besoin(s) cherchez-vous à satisfaire quand vous êtes ric-rac ?
- Que vous coûte ce fonctionnement ?
- Comment pouvez-vous satisfaire différemment chaque besoin ?
Que puis-je pour vous ?
Vous êtes trop souvent ric-rac et cela vous interpelle ? Contactez-moi, je peux vous aider à mieux gérer ce fonctionnement et à faire des choix plus conscients dans votre gestion du temps.
Le coaching vous permet de tester des stratégies différentes de vos routines, dans un cadre sécurisé.
6 Commentaires
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Merci à tous pour vos chaleureux commentaires !
Exact Christelle cette loi de Parkinson contribue à nous rendre ric-rac… presque fatalement ?
Oui Carine et Christelle c’est aussi une drogue qui agit, comme toute drogue, dans l’instant, instant que l’on goûte sans penser à la suite (aux conséquences).
Carine tu dis qu’il manque du « rush et de la friction » (du danger alors ?) dans ton job actuel, je suis sûre que tu t’organises pour en créer spontanément, non ?
Merci Eric de diffuser mes articles. Comme toi je me retrouve dans certaines de ces stratégies Ric-Rac ! D’ailleurs le ric-rac a pris un nouveau sens depuis que je suis maman ;)
Voilà, Pierre, une belle dissertation sur la valeur des temps morts et des contre-temps. De quoi méditer sur nos automatismes d’horloges…
Passionnant! Bon vol retour à Kolibri. Je lis cet article justement en salle d’attente. Non pas que j’aie de l’avance. Mais est plutôt l’avion qui a du retard. Il est pourtant indiqué « on Time » littéralement « sur le temps ». Une dame s’inquiète: « Avons-nous déjà du retard? »
C’est donc ric-rac de tous les côtés. Bien souvent la sémantique du temps est celle du rythme, de la mécanique, du gong des heures. Dans nos temps modernes le rouage des heures ne laisse place a aucune incertitude, aucun contre temps. Aussi la prédiction du retard est-elle devenue une véritable science.
J’ai l’impression cher Kolibri que nous sommes affamés de valeur. Chaque « créneau » de temps doit créer de la valeur, économique bien sûr, ou sociale, environnementale, éthique. Ce qui n’est pas prévu c’est l’espace (de tir) entre les créneaux, c’est le temps de latence. Notons que la qualité d’un réseau ou d’un signal se mesure notamment par sa « latency ».
Restaurer le contre-temps passera donc forcément par la démonstration de sa juste valeur. Comme d’autres durent démontrer la musicalité de la syncope, ou Victor Hugo casser ce grand niais d’alexandrin pour faire rentrer la poésie dans une ère plus moderne. Le temps semble transitif, il est toujours le temps de quelque chose, on dit souvent « il est grand temps de … »
Ric-rac, tic-tac, reste à trouver ce quelque chose qui précède le temps, à préciser sa valeur dans la grande rythmique des célestes orbes ;-)
Avec l’aide du coach alors!
Hello Karine,
bon retour sur la toile, entre biberons et papouilles.
Excellent article. J’aurais aimé l’écrire moi même…. tant je me retrouve parfois dans ce ric-rac….
Un ami consultant international (je précise, car il est du coup en contact avec bon nombre de problématiques différentes et a l’esprit particulièrement affuté) a découvert ton blog par mon intermédiaire. Il ne tarit pas d’éloge sur tes écrits. Bravo!!!
Bises et à bientôt
bon retour Karine !
comme le dit Christelle, l’adrénaline rend accro. Il y a peut être un peu de rêve de super-héros derrière, mais sur l’instant c’est « juste » de la compulsion pour retrouver un moment « planant » (je n’ose pas mettre agréable…).
Un des défauts de mon job actuel (ce qu’il faudrait pour passer de 8/10 à 9/10) est à mes yeux le manque d’adrénaline. Pourtant il y a des challenges, des activités variées etc etc, mais il manque du rush et de de la friction, et je ressens plus un manque physique que celui de la satisfaction d’avoir joué à wonder-woman.
Hey Karine,
Good to see you back !!!
Hey! Welcome back joli kolibri
Merci pour cet article utile, et toujours aussi clair avec toi :-)
Effectivement je peux témoigner de ce qu’est l’addiction à l’adrénaline. Ça devient tout un art de se créer des sensations !
Ton article me rappelle aussi une loi du temps que j’ai découvert récemment : la loi de Parkinson (je ne sais pas s’il y a un lien avec tout éventuel tremblement :-) qui dit « une tâche s’étale de façon à occuper le temps disponible pour son achèvement ». J’ai bien remarqué que plus j’accorde de temps à quelquechose, plus ce quelquechose se dilate pour occuper l’espace accordé.
Et effectivement quand j’ai une deadline avec une bonne pression externe, souvent je bas des records d’efficacité et même de créativité!