Indispensable ?

Indispensable Atlas - château de Linderhof, Bavière - wikicommonsNul n’est irremplaçable, dit-on pour relativiser le départ d’un collaborateur. Pourtant, dans son for intérieur, qui ne rêve pas d’être l’Indispensable après qui, le déluge… Etre l’indispensable ou encore mieux, l’irremplaçable, que nous procure cette position ? Est-elle réelle ou illusoire, et quelles sont les conséquences de s’y croire ?

“Je ne sais pas ce que je ferais sans toi.”

Un instant, répétez-vous cette phrase comme si quelqu’un vous la disait. Quel effet cela vous fait ?

Pour beaucoup d’entre nous c’est un sentiment agréable : nous sommes hautement utile aux autres, en tout cas nécessaire à quelqu’un, ce qui nous valorise.

Nous nous sentons indispensable : étymologiquement, “pour lequel on ne peut accorder de dispense”, autrement dit… obligatoire !

A l’extrême, notre présence est vitale, comme la mère pour le nouveau-né. Bonne mère ! Peut-on remplacer une maman ? Ou un amoureux ? C’est le mythe du dieu Atlas soutenant le monde (voir l’illustration) et que personne ne peut remplacer – sauf Héraclès le temps qu’il aille cueillir les pommes d’or au jardin des Hespérides.

Voyez jusqu’où va l’idée d’ « indispensabilité »… Bien sûr, nous ne la prenons pas tout à fait à la lettre, quand il s’agit de personnes (sauf le nouveau-né et l’amoureuse)… quoique. Si l’eau ou l’oxygène sont indispensables à la vie, personne n’est à ce point indispensable au fonctionnement d’une équipe, à la réussite d’une soirée, etc.

Alors pourquoi cette histoire d’être indispensable ?

C’est que cela présente des avantages. Ceci dit, je crois qu’il y a plus de bénéfices à se croire indispensable, qu’à l’être !

Se croire indispensable

Quelques bénéfices à se croire indispensable ou irremplaçable :

  • la valeur personnelle (soi/soi), l’estime de soi, la confiance en soi
  • un sentiment d’utilité, une mission, un sens de ce que l’on fait (fierté)
  • une place acquise et une légitimité, d’où une sécurité (sentiment rassurant) (soi/autres)
  • une pérennité de l’emploi, une employabilité (soi/travail, environnement)

Se sentir indispensable répond à deux besoins liés à l’estime de soi : se sentir compétent et se sentir aimé. C’est aussi rassurant pour les perfectionnistes qui doutent toujours de faire assez bien, car si on ne peut se passer de leur compétence c’est qu’elle est plus  qu’avérée.

Ces bénéfices sont liés à des croyances ressources (croyances qui nous aident à agir), dont voici quelques-unes :

Si je suis indispensable, … (croyances)

  • je suis aimé
  • je suis quelqu’un de valeur, précieux
  • je suis très compétent
  • j’ai fait mes preuves, je n’ai plus rien à prouver
  • je suis très utile, j’apporte de la valeur ajoutée
  • mon job est garanti
  • on va me donner une promotion, plus de responsabilités
  • etc.

Et vous, que croyez-vous quand vous vous sentez indispensable ?

Se sentir indispensable n’est pas la panacée car un indispensable peut être remplacé par un autre… indispensable. Aussi, ceux qui ont un immense (pour ne pas dire pathologique) besoin d’être valorisé peuvent pousser plus loin et chercher à se rendre irremplaçable.

Irremplaçable : unique, dont la perte serait grande et le deuil difficile. Ainsi, certains dirigeants créent les conditions pour qu’on le les oublie jamais et que rien ne soit aussi bien après leur départ (lire à ce sujet : Petits Deuils en Entreprise, de Jacques-Antoine Malarewicz).

Sans aller si loin, se sentir indispensable peut être lié à ce que l’on appelle en analyse transactionnelle une position de vie +/-, c’est-à-dire une représentation du monde dans laquelle je suis mieux que les autres (condescendance, dévalorisation, domination etc.)

Se sentir indispensable c’est une chose, mais être indispensable pour de bon ?

Etre indispensable

Si vous êtes à ce point indispensable, que faites-vous le septième jour ? Eh oui, vous devenez tout-puissant et cela se paye.

Exemple : je ne délègue pas beaucoup, je ne mets pas de répondeur sur ma messagerie quand je pars en vacances, car personne aussi bien que moi ne peut répondre aux sollicitations qui me sont adressées. Je suis au courant de tout mais je n’ai jamais de temps pour moi.

Etre réellement indispensable, quelle responsabilité ! Et quel poids, que l’on entend dans l’agacement du manager face à un collaborateur sans autonomie : “je ne suis pas ta mère”, ou celle du dirigeant qui ne parvient pas à donner les rênes à son management “je peux pas partir deux minutes !”

Une représentation

Que dit de nous cette représentation de l’indispensable ?

La notion d’indispensable est liée aux besoins (réels ou perçus), comme l’a bien compris la publicité. L’indispensable c’est ce dont vous ne pouvez vous passer, c’est ce qui change votre vie.

Le smartphone a su se rendre indispensable dans la vie des cadres, comme le collaborateur talentueux dans le quotidien de son entreprise.

La notion d’indispensable parle de celui qui essaye de l’être, mais aussi de celui qui voit en l’autre, l’indispensable. Par exemple quand un manager dit cela à un collaborateur : “Tu as su te rendre indispensable”? Cela revient à “tu es précieux pour nous, ne pars pas.”

Peut-être cela parle-t-il de la peur du changement, du besoin de stabilité ou de l’inconfort dans l’instabilité ? Ou bien est-ce une difficulté à donner sa confiance, d’où une difficulté à perdre des relations de confiance ?

Au final le besoin d’être indispensable ou celui de s’entourer de personnes indispensables, parle parfois de peurs liées au changement pour soi ou autour de soi. C’est un besoin de rassurance, de repères fixes, de garanties.

Lire à ce sujet : Faut-il chercher la sécurité ? chronique sur le Gymnase du Management,
ainsi que le Quart d’Heure « Employabilité vs Sécurité de l’emploi »

Et vous ? Que vous évoque l’idée d’être indispensable ?

6 Commentaires

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    • Joseph sur 27 janvier 2017 à 22 h 09 min
    • Répondre

    Dans une culture d’entreprise qui ne favorise pas du tout le héros, qui justement met l’accent sur l’intelligence collective, comment permettre aux personnes qui désirent se sentir indispensables de se valoriser? Y a-t-il de la place pour eux?

  1. Merci Karine, Carine et Christophe pour vos apports (ça fait plaisir de vous retrouver après ces vacances ;)

    Peut-être, Karine, que les perfectionnistes cherchent à se rendre indispensable, je crois que ceux qui sont mus par le driver « Fais plaisir » vont un peu dans le même sens.

    J’aime la sagesse de ta grand-mère Christophe ! Vu comme ça en effet…
    Ton triptyque est plus clair que ma dichotomie être/se croire – merci donc !
    Se rendre indispensable : une démarche qui procède elle aussi de croyances (si je deviens indispensable, alors…)
    Est-ce cependant toujours une affaire d’Ego fragilisé ? Je ne sais pas, cela peut être aussi un calcul dans un contexte (insécurité de l’emploi par exemple).

    Je te rejoins Carine sur le côté vache sacrée de certains experts, qui prennent ainsi une forme de pouvoir. C’est étonnant comme l’entreprise laisse parfois – souvent ? – des personnes se rendre indispensables sans penser aux conséquences. C’est intéressant ce type de matrice, déjà pour prendre conscience du fonctionnement du système avant même de trouver des solutions.

      • Carine sur 27 août 2013 à 19 h 36 min
      • Répondre

      L’exercice de la matrice est intéressant même si au départ c’est consommateur de temps. Une fois fait, c’est une bonne base pour les « plans de continuité de l’activité » que certains sont obligés de faire, pour les préparations de départ, et pour batir un plan de formation. On peut appeler ça une matrice de compétences, ou de polyvalence, même si le terme est plus souvent associé aux postes d’opérateurs.

      Concrètement, on liste les activités à réaliser lors de la tenue du poste, en indiquant aussi la fréquence à laquelle la réalisation est nécessaire (tous les jours, toutes les semaines, tous les mois, tous les trimestres). ça permet déjà de trier les activités qu’on fait tous les jours mais qui peuvent n’être faites qu’une fois par semaine, par exemple.
      De l’autre côté, on liste les personnes du service, et on cote pour chaque activité le niveau de compétence (expert=sait former, autonome, peut faire avec de l’aide, a des notions).

      Là on voit apparaitre une 1ère série de points de vulnérabilité avec 1 seule personne qui sait faire une activité donnée qui doit être faite fréquemment. A ce moment là, il est parfois possible de décomposer l’activité en sous-activité, comme par exemple séparer l’analyse de l’éxécution, et se rendre compte que la combinaison des compétences de plusieurs personnes permet de pallier à l’absence de l’expert. On liste aussi les personnes d’autres services qui savent faire l’activité mais dont ce n’est pas la mission, ainsi que les sous-traitances éventuelles si elles sont connues.
      Ce qui reste permet facilement de batir un plan de formation, ou de recherche de prestataire.

      Si l’expert en question n’est pas trop tordu, aborder le sujet sous l’angle de la vulnérabilité de l’entreprise lors de ses absences permet d’éviter un repli sur sa connaissance.

    • Carine sur 26 août 2013 à 19 h 11 min
    • Répondre

    Bonjour

    Quand j’entends « indispensable » je pense surtout à la 3ème interprétation de Christophe, la prise en otage d’un groupe par une personne maitrisant une technique avec comme stratégie: d’être le seul à maitriser la technique (pas de binome, pas de sous-traitance), et d’entretenir les problèmes que la personne en question est seule à pouvoir résoudre. Je ne parle pas ici de perfectionnistes, mais de personnes qui utilisent une compétence clé pour se transformer en vache sacrée au lieu d’apporter de la valeur ajoutée à l’entreprise. J’ai vu ce côté obscur chez des experts techniques.
    En version édulcorée, cela consiste à mettre en place des systèmes de contrôle prétendument nécessaires au fonctionnement de la société, que seul l’intéressé à le temps de remplir mais dont il ne ressort rien de concret.

    Je crois que tout le jeu du manager sur ce sujet est d’organiser un plan de remplacement « au cas où » pour ne jamais passer du cas 1 au cas 3, c’est à dire s’assurer que les actions qui doivent être faites tous les jours/semaine et qui ne peuvent pas être sous-traitées puissent être effectuées par au moins 2 personnes. C’est le genre de matrice qu’on nous faisait préparer quand on croyait encore à l’imminence de la grippe aviaire….

  2. Hello Karine,
    Quand j’entends le mot « indispensable », je repense à ce que ma grand-mère me disait : « Des indispensables, il y en a plein les cimetières » :-)

    Vu de ma fenêtre et à la suite de ton article, je pense que le côté « indispensable » peut prendre 3 formes : « être indispensable » , « se sentir indispensable » et « se rendre indispensable »

    La 1ère peut être une réalité liée à un contexte. Exemple : si dans une équipe projet, il n’y a qu’une seule personne garante d’un système informatique sur lequel tout le projet repose, elle sera indispensable dans la réalisation de ce projet. Je te rejoins quant à la pression et les conséquences éventuelles que cela génère.

    La 2ème est, je pense, une question de ce que j’appelle « l’oedème de l’Ego » :-) Bref un Ego qui enfle à vue d’œil.

    La 3ème, intiment liée à la précédente, entre en scène lorsque le fameux Ego possède quelques failles archaïques que la personne souhaite combler en mettant en place certaines stratégies de dépendance des autres vis à vis d’elle-même. C’est le côté obscur de la force chez certain(e)s de nos confrères et consœurs coachs (et accompagnants au sens plus large)

    Merci pour cette pause réflexion dans ma journée :-)
    A bientôt

    • karine sur 26 août 2013 à 9 h 53 min
    • Répondre

    …et ces gens qui veulent se rendre indispensables, ne seraient-ils pas un peu perfectionnistes … ? Pour bien faire , exceller, faire mieux que les autres et donc se rendre indispensable , unique ?

    Voilà ce qui m’est venu en tête en lisant ton article … d’autant plus que je viens de participer à  » La croisée des Blogs » dont le sujet du mois d’aout était  » L’éloge de l’imperfection »

    car se rendre indispensable
    être perfectionniste

    ça use !!

    Bonne journée
    Karine…une autre !

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