Théorie de l’extensio et management (2)

Après une première conversation sur une branche, nous nous sommes aperçus avec Eugène Michel qu’il y avait encore beaucoup à dire sur l’extensio.  Nous revoici donc, cette fois pour approfondir la théorie de l’extensio. Comment l’extensio se réalise-t-il, quelle sont ses étapes et ses outils, comment savoir à quelle étape se situe une organisation…

– K : Eugène Michel, dans notre première conversation nous avons étudié le rôle du manager comme garant de la dynamique habitus / inventus pour générer l’extensio. Cependant, la question qui se pose c’est : comment l’extensio se réalise-t-il ?

– EM : L’extensio se fait par étapes. Pour l’Occident, ma théorie propose quatre étapes : maternelle, familiale, collective, et individuelle. Les cercles s’élargissent aussi bien pour l’individu que pour la collectivité.

– K : C’est-à-dire que nous étendons progressivement notre champ relationnel ; ça fait sens. Une entreprise suit les mêmes étapes ?

– EM : Oui. Les étapes donnent d’ailleurs trois types de management : paternaliste pour l’étape familiale, hiérarchique pour l’étape collective, et je dirai opportuniste pour l’étape individuelle. Je laisse tomber la première étape « maternelle » car je ne vois pas trop d’entreprises à ce stade fusionnel.

– K : Pour moi, le management passe d’une étape hiérarchique, hier, à une étape à la fois collective et individuelle, aujourd’hui et demain. L’évolution est dans l’horizontal et le transversal, où les relations s’étendent dans un champ plus vaste : de la relation manager-managé on passe à des relations multiples à 360°.

– EM : Les étapes sont en gigogne. A chaque nouvelle étape, on garde les acquis essentiels des étapes précédentes.

– K : D’accord, on voit l’émergence de l’étape individuelle quand le salarié devient « intrapreneur », qu’il œuvre pour lui-même et son évolution, c’est bien ça ? Alors que dans l’étape collective / hiérarchique, il est un maillon de la chaîne au service d’un ensemble.

– EM : L’individu aujourd’hui n’accepte plus d’être le moteur de l’extensio de l’entreprise qu’à travers une priorité à son propre extensio. Hors de question de se sacrifier pour l’entreprise !

– K : Une fois qu’une entreprise a atteint l’étape la plus aboutie avec un cercle de dimension mondiale, quelle peut être l’étape suivante de son extensio ?

-EM : Le premier moment de la mondialisation commerciale a été le colonialisme. Il était basé sur la force de l’étape collective, l’armée. Cela s’est en partie effondré. Maintenant, la mondialisation est fondée sur les individus. C’est d’ailleurs pourquoi nous ne sommes pas très forts en France, on n’aime pas trop passer son temps dans les avions, encore moins s’expatrier, on pratique mal les autres langues, et enfin nous sommes imbus de notre culture !

– K : Pour vous, l’entreprise accède peu à peu à l’étape individuelle, donc la 4e étape de l’extensio selon votre théorie.

– EM : Oui. L’entreprise étant issue de l’étape collective, on peut prévoir que la grande majorité se trouve encore dans l’étape collective. D’où les résistances contre les 35 heures. C’est d’ailleurs un test : moins une entreprise accepte les 35 h, plus elle est dans l’étape collective. Dans ma théorie, les 35 h sont une conquête de l’étape individuelle. Il y a aussi la question de la mixité. On constate encore des résistances avec les femmes moins bien payées que les hommes et le plafond de verre. L’évolution se fait lentement. Les étapes sont en poupées russes.

– K : En poupées russes ? J’aime cette idée, on la retrouve dans d’autres modèles. Est-il possible qu’une personne ou une entreprise ait développé davantage la 3e ou 4e poupée russe que la 1ère par exemple ?

– EM : C’est la règle. Individu ou groupe, on est toujours plus dans une étape que dans une autre. Quand les écarts sont trop importants, cela fait souffrir. Si vous voulez bien communiquer avec quelqu’un, vous repérez dans quelle étape principale se trouve la personne et vous ne lui parlez que de ce domaine ! Cette personne sera stupéfaite de votre degré d’écoute.

– K : Intéressant. A quoi reconnaît-on, dans sa communication, un manager qui est fortement ancré dans l’étape individuelle ?

– EM : Pour répondre à votre question, nous devons avancer encore un peu dans la théorie de l’extensio. Qu’est-ce qui détermine le passage d’une étape à la suivante ? Autrement dit, qu’est-ce qui permet cette extension du champ relationnel ? Réponse : les outils. Grâce au développement neuronal et éducatif, nous accédons successivement – et encore une fois en gigogne – à quatre outils : les sens, les gestes, la parole et l’écrit, que nous améliorons sans cesse.

– K : Mais pourquoi ce développement se produit-il ? D’où vient–il ?

– EM : De l’évolution naturelle. L’extension lente et progressive du champ relationnel favorise les espèces qui garantissent mieux les apports dont elles ont besoin. Les outils nouveaux augmentent la relation au monde, l’aptitude à obtenir les apports. C’est une course sans fin car plus l’extensio avance, plus les besoins se complexifient.

– K : Les outils sont donc déterminants. Je vous propose que nous y consacrions notre troisième conversation.

– EM : Avec plaisir. Quand j’étais enfant, mon père me répétait : « A bon ouvrier, bon outil !»

– K : Nous sommes des ouvriers.

– EM : Oui. En latin operarius. Nous œuvrons.

* * *

Pour approfondir :

–  An advance in the description of life development: the theory of Extensio – article d’Eugène Michel
–  Theory of Extensio and unity of life – article d’Eugène Michel
– Théorie de l’extensio, dernier ouvrage d’Eugène Michel qui vient de paraître chez Edilivre (septembre 2012)
– et son site d’auteur

 

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