Théorie de l’extensio et management (3)

Arbre avec des bourgeonsAprès deux conversations sur une branche avec Eugène Michel autour de sa théorie de l’extensio, nous avons souhaité approfondir la notion d’outils et évoquer la place du corps en entreprise. Notre échange aboutit à la question des styles de management et leur action sur les différentes  motivations des équipes. Comment concilier au mieux les forces de l’entreprise ?

Si vous avez manqué le début :
>Théorie de l’extensio et management (1)
>Théorie de l’extensio et management (2)

– K : Bonjour Eugène Michel. Nous revoilà sur la branche ! Dans notre 1ère conversation, vous nous avez expliqué que l’extensio résulte de la dynamique habitus / inventus. Dans la seconde, que l’extensio se déploie en plusieurs étapes rendues possibles par l’acquisition de quatre outils spécifiques : les sens, les gestes, la parole et l’écrit.

– EM : Oui, chaque outil découle du précédent.  Cette complexification depuis le sensoriel jusqu’à l’écrit est rendue possible par l’accroissement du nombre de neurones aussi bien dans l’évolution animale que chez l’enfant.

– K : D’accord, on part du corps, des cellules, du biologique. Imaginons le stade du nouveau-né, il est immergé dans le sensoriel, il n’a pas encore les gestes ni les outils suivants. Puis, enfant, il développe le geste, puis la parole, et enfin l’écriture. J’ai l’impression que d’outil en outil (d’étape en étape) le corps prend de moins en moins d’importance, non ?

– EM : Ni plus ni moins d’importance. Le corps est lui-même quel qu’il soit. Mais ce qui se passe, c’est qu’il élargit sa relation au monde. La parole et l’écrit sont bien une production du corps. L’activité neuronale est tout entière une activité physique.

– K : Cela me fait penser à Damasio, l’Erreur de Descartes, et à la chimie des émotions. Voir le corps comme partie prenante de toutes nos productions, cela nous ouvre des portes intéressantes, notamment en coaching !

– EM : C’est la clé ! Nous sommes à l’étape individuelle, dont la valeur fondamentale est le corps, avec quatre domaines principaux : la santé, l’esthétique, la sexualité et l’activité physique.

– K : Et alors, le manager, comment ces concepts peuvent-ils lui être utiles ?

– EM : Le manager doit améliorer les quatre outils pour lui-même et pour son entreprise. Quelques exemples : Les sens : comment les locaux sont-ils décorés, organisés ? Les gestes : qui bouge ou ne bouge pas, comment ? Quels sont les moments festifs ? La parole : peut-on s’exprimer dans les réunions, dans les instances, sur les réseaux sociaux ? L’écrit : l’écriture individuelle est-elle encouragée ? Y a-t-il une charte consensuelle de l’utilisation des mails et du web ?

– K : Le manager peut regarder ce qui se passe dans sa relation aux quatre outils, en revanche ce que vous citez là, c’est tout le fonctionnement et la culture d’entreprise. Prenons le seul cadre de son équipe, pour commencer : l’équipe, le manager, la relation entre eux, leur environnement commun. Sur les sens par exemple, qu’est-ce qui est à prendre en compte : l’organisation des locaux, dites-vous, y a-t-il aussi la lumière, le niveau sonore ? Est-ce que la place faite à l’émotionnel et à la sensibilité compte aussi dans les sens ?

-EM : Bien sûr, tout ce qui touche aux sens est primordial. L’entreprise n’en tient pas compte la plupart du temps, cette partie de nous est délaissée.

– K : Alors qu’elle est la poupée russe centrale de notre système ! Serions-nous à certains endroits robotisés par l’entreprise ? Il me semble que les gestes aussi sont parfois limités dans le cadre professionnel, avec toute la codification des usages. J’ai l’impression que lorsqu’ils sont plus libres, les interactions sont plus riches… la parole aussi.

– EM : C’est certain. Quand il y a une salle de gym dans l’entreprise, vous imaginez la différence ! Mais, pour relier concrètement l’extensio avec le management, je voudrais évoquer les motivations au travail.

– K : Je suis tout ouïe.

– EM : Sauf erreur, je dénombre trois motivations : l’affectif, l’argent et l’intellect. On retrouve les trois modes de management : le paternalisme passe par les sens et les gestes (on travaille pour les sentiments), le hiérarchique par la parole contrôlée et l’écrit descendant (on travaille pour gagner le mieux possible sa vie), l’intellectuel (qui inclut le ludique) par la parole et l’écrit individuels (on travaille pour être passionné par ce qu’on fait). Le meilleur des managers essaiera d’activer les trois motivations en chacun des employés.

– K : Si l’on considère ces 3 motivations professionnelles, je crois que vous avez tout dit ! Le manager paternaliste interagit plutôt sur le registre affectif, selon vous ? C’est vrai que le style paternaliste est centré sur la relation. Toutefois il me semble que ce qui caractérise le paternalisme, c’est surtout l’autorité sur l’autre, fondée sur l’idée que ce dernier n’est pas autonome, qu’il a besoin d’être guidé pour aller dans la bonne direction ; bon, cela peut être de l’affectif dans une relation adulte-« enfant ». Je suis en phase avec vous sur l’importance de travailler sur les trois motivations avec chaque employé, en tenant compte des spécificités de chacun ; cela requiert une souplesse dans le style de management, et une écoute.

– EM : Mais aussi une volonté ! Peut-être pouvons-nous conclure sur les deux volontés de notre 1ère conversation : volonté d’habitus et volonté d’inventus.

– K : Dans le fond, votre théorie suppose que le manager ait ces deux volontés, et surtout qu’il les transmette à tous les acteurs de l’entreprise.

– EM : Oui, oui, c’est cela. Les anciens dans l’entreprise portent l’habitus et les nouveaux l’inventus. Alors, le manager, en donnant lui-même l’exemple,  incite fortement les anciens à montrer une volonté d’inventus et les nouveaux à acquérir une volonté d’habitus.

– K : Je pensais que l’entreprise pouvait progresser grâce à de forces opposées incarnées par des personnes : certains jouent l’habitus, d’autre l’inventus. Dans un équilibre global et dynamique.

– EM : Je crois qu’il faut toujours à l’intérieur d’un ensemble travailler à atténuer les « forces opposées ». Celles-ci auront déjà suffisamment l’occasion de survenir ! Pour résumer, disons que l’entreprise n’a pas le choix : elle doit être à la fois – dans l’utilisation sans cesse améliorée des quatre outils – un attendu (une marque) et un inattendu (une surprise), et cela sans conflits, d’une façon souple. Cette souplesse génère un extensio « durable » – pour employer un mot à la mode ! Le manager insuffle cette souplesse énergique. Il y parvient par sa force de conviction, la clarté de son discours, son souci de chacun dans l’entreprise..

– K : Eh bien, ce sera le mot de la fin. Merci Eugène Michel.  Je demande aux lecteurs de ces entretiens de réagir, on pourra peut-être reprendre la discussion. Espérons que quelqu’un ne sera pas d’accord !

* * *

Pour approfondir :

–  An advance in the description of life development: the theory of Extensio – article d’Eugène Michel
–  Theory of Extensio and unity of life – article d’Eugène Michel
– Théorie de l’extensio, dernier ouvrage d’Eugène Michel qui vient de paraître chez Edilivre (septembre 2012)
– et son site d’auteur

 

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