Changer de position pour modifier l’équilibre : 1 – au rappel

L'équilibre au rappel - (C) Thomas Purves - Flickr https://www.flickr.com/photos/thomaspurves/1150385666Dans une situation qui ne nous convient pas, et qui implique d’autres personnes, nous pouvons fournir des efforts contre-productifs, sans le savoir. Il en est ainsi chaque fois que nous croyons pertinent de continuer à dépenser de l’énergie pour sortir d’une situation inconfortable. Et qu’en réalité, l’énergie que nous y mettons la maintient. Comment alors changer l’équilibre en changeant notre position dans l’interaction ?

Quand changer sa position permet de changer l’équilibre de la situation… de nouvelles possibilités s’ouvrent.

Au rappel : quand on compense (et que ça arrange l’autre)

Le “rappel” sur un bateau, c’est l’action de “porter le corps à l’extérieur d’un voilier afin de contrebalancer la gîte due à l’action du vent sur les voiles” (Larousse). Vous avez sans doute déjà vu des images de rappel, particulièrement acrobatique sur les petits catamarans qui restent ainsi en équilibre. Vous arrive-t-il d’avoir la sensation de faire ainsi contrepoids, compensant une force opposée ?

Si ce rappel est une position choisie, une tactique maîtrisée, tout va bien. Mais nous nous retrouvons parfois à compenser sans le vouloir, maintenant l’équilibre d’une situation que nous voudrions changer.

Ainsi,

  • le manager qui critique mais corrige les travaux de son collaborateur avant qu’ils ne soient envoyés. Il permet à ce collaborateur de ne rien changer à sa manière de faire. En effet, ses erreurs sont compensées par le manager.
  • la mère qui râle une fois de plus après ses enfants pour qu’ils fassent leur lit… Et finit par le faire elle-même. Ce qui maintient une situation assez confortable pour sa progéniture. Car à part les vagues reproches auxquels ils sont habitués, quelles conséquences pour eux?
  • le collaborateur qui participe à un groupe de travail et se retrouve toujours à faire le secrétaire, à tout organiser. Tandis que certains dans le groupe ne font jamais leur part. Tant qu’il est assez gentil pour le faire…

Tant que nous compensons les manquements, lacunes ou abus d’un autre, celui-ci n’a aucune raison de changer ! Il se laisse porter, il profite d’un confort. Il a donc de bonnes raisons de ne rien vouloir changer à cet équilibre. A sa place, ne feriez-vous pas de même ?

Celui qui compense, en revanche – qui n’a pas toujours conscience de son rôle dans le deséquilibre – peut ressentir un inconfort et une injustice croissants.

Qu’est-ce qui peut le pousser, alors, à continuer de faire ce qu’il fait ?

Dans l’approche systémique et stratégique, nous repérons ces “moteurs” qui maintiennent le problème, notamment :
– le fait de ne pas avoir conscience de sa position
– la vision du monde du « compensateur » (sens des responsabilités, volontarisme, goût pour le contrôle etc.)
– les émotions : la peur des conséquences si on cesse de compenser, le plaisir (des bénéfices à compenser)

Et nous questionnons les émotions et sentiments, souvent en sourdine, qui permettraient de faire autrement :

  • sentiment d’injustice (du fait de faire plus que l’autre),
  • colère (de voir l’autre en profiter),
  • émotions qui pourraient amener le “compensateur” à abandonner sa position “au rappel”…
  • pour s’alléger la tâche et responsabiliser ceux qui profitaient de la situation.

Comme en aviron, ne faire que sa part de l’effort invite les autres à ramer un peu plus.

C’est le cas de Lucille, qui manage une équipe de 10 personnes et se sent très seule.

Lucille la Débrouille

Lucille vit une prise de poste où elle transpire beaucoup. Son chef le grand manitou Yakafaucon ne répond pas à ses questions et ne fait aucun point avec elle (sauf les brefs échanges qu’elle sollicite).Chaque fois qu’elle ne sait pas comment procéder (quel process suivre, quel interlocuteur en interne pour tel sujet, quel est l’historique sur tel projet.) Lucille lui demande timidement de l’aide, Yakafaucon ne répond pas, il a autre chose à faire, il a justement une réunion. Alors elle cherche par elle-même la solution, faute de mieux.“Oh ce n’est pas grave, commente-t-elle, de toute façon j’y arrive toujours.” On la sent agacée, malgré tout, mais ce qui prime, c’est le désir d’être professionnelle, de bien faire son travail.

Ainsi, chaque fois que son manager ne répond pas à ses questions, qu’il lui refuse son aide, Lucille reprend bravement son bâton de pèlerin “je vais me débrouiller”. Moins son chef l’aide, plus elle se dit qu’elle doit trouver les réponses par elle-même, moins elle lui pose de questions. Faire autrement ? Cela lui semble difficile. Elle a peur de paraître incompétente si elle demande avec trop d’insistance une aide qui lui semble de moins en moins légitime…

Titouan est dans une situation très différentes, pourtant il contribue lui aussi involontairement à maintenir un équilibre qui ne lui convient pas.

Titouan l’Amortisseur

Dans un contexte de restructuration où les équipes sont inquiètes pour l’avenir, Titouan, qui aime positiver, fait le maximum. Il fait tout pour donner à son équipe un semblant de perspective et du baume au cœur. Alors qu’il ne reçoit que des mauvaises nouvelles de sa hiérarchie (suppression de postes à venir, perte de périmètre pour son équipe etc.)

Titouan veut garder son équipe au travail, on peut le comprendre. Seulement, il joue l’amortisseur. Et tant qu’il le fait, l’hiérarchie ne ressent pas les à-coups de l’équipe (qui pourraient, qui sait, l’amener à changer sa façon de faire.) Et lui dépense beaucoup d’énergie à rassurer alors qu’il s’inquiète pour la suite. L’on pourrait dire que tant que quelque chose, ou quelqu’un, se place entre le marteau et l’enclume, ni le marteau ni l’enclume ne ressentent de choc, dont ils sont protégés. Ils n’ont donc aucune raison de changer.

Avez-vous parfois l’impression de tout porter ? De tout faire ou de faire plus que votre part ?

Regardez cet extrait de His musical career, film de Charlie Chaplin qui date de 1914.

Un peu de suradaptation, non ?

Comme dans les exemples de Lucille, Titouan et Charlot livreur de piano, nous offrons notre force à l’autre. Sans que cela soit toujours choisi ou conscient. Attendons-nous que l’autre nous soulage en faisant sa part ? Et si cela n’arrivait pas ? Souvent, voir la situation sous cet angle nous amène à cesser de compenser. Ce qui crée immédiatement un changement dans le système !

A vous :
Y a-t-il une situation où vous vous demandez si votre propre position ne contribue pas à maintenir un équilibre inconfortable pour vous ?
Posez-vous alors ces questions, en 3 étapes :

  1. comprendre l’équilibre de la situation : qu’est-ce que je fais ou pas, qui permet à l’autre de continuer à faire ce qu’il fait ?
  2. envisager un changement de position, vers une position plus confortable pour moi : que se passerait-il si je ramais moins par exemple ?
  3. choisir comment opérer la transition, après avoir évalué les risques.

Dans la seconde partie de cet article, nous verrons ce qui se passe quand nous nous retrouvons à lutter contre une force opposée, dans différentes formes de bras de fer.

2 Commentaires

    • Marie-Christine sur 31 août 2016 à 13 h 00 min
    • Répondre

    Superbe image que celle de la position de « rappel » ou de contrepoids.
    On visualise très bien toute l’énergie qu’il faut dépenser pour y parvenir… Et quel épuisement survient lorsqu’il faut la tenir dans le temps !
    La métaphore est excellente, en relation à toutes les situations auxquelles il nous faut faire face, tant dans la vie familiale que dans la vie professionnelle.
    Reste à apprendre à jouer au mieux avec le vent ;o)

    • Gérard sur 30 août 2016 à 10 h 49 min
    • Répondre

    Bonjour,

    Je me reconnais bien dans vos exemples. J’ai vécu le rôle d’Amortisseur, de La Débrouille, mais aussi de Yakafaucon. Dans chacun de ces rôles, je me suis senti mal à l’aise… Malheureusement la structure et l’organisation de l’entreprise qui m’employait ne nous permettaient pas de jouer d’autres rôles que ceux que l’on jouait. Las de ces situations, et après moultes essais pour changer les choses, j’ai baissé les bras et ai décidé de changer de vie. En effet, ces situations étaient tellement génératrices de stress, que j’ai eu peur pour ma santé. Je voudrais simplement conseiller à vos lecteurs de ne pas attendre une telle extrémité, et de ne pas s’engager dans le rôle d’Amortisseur, ou de La Débrouille, si ils ne le sentent pas.
    Au plaisir de lire vos prochaines publications.
    Gérard

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