Il arrive parfois à des managers de devoir faire le “sale boulot”, en ayant à intervenir tardivement sur une situation que d’autres ont laissé pourrir depuis longtemps. Par exemple, annoncer à un collaborateur qu’il ne fait pas l’affaire… alors qu’il a été confirmé et reconfirmé dans son poste. Se faire sa place auprès d’une équipe qui a toujours réussi à couper la tête de ses managers. Courage managérial dites-vous ? Tant qu’il ne s’agit pas d’une mission suicide, tout va bien.
Tu t’en occupes ?
Plusieurs managers que j’ai accompagnés se sont retrouvés dans l’une des situations qui suivent. Au point que j’ai fini par me demander si c’étaient des “classiques”…
Dans les deux cas, il est demandé à ces managers de réguler ce qui ne l’a pas été (ou mal) précédemment. Parfois, la situation perdure depuis longtemps. Ce qu’ils ont à faire revient à une régulation massive, nécessaire quand toutes les petites régulations n’ont pas été faites. Et que le dysfonctionnement s’est bien installé.
C’est un peu comme devoir trouver une solution à l’intrication de cette glycine (photo) et du grillage, qu’elle commence à tordre sous sa force. Il aurait été plus simple de la guider aux différentes étapes de sa croissance. De la tailler, de manière à ce que ses rameaux tendres prennent appui sur les barreaux mais que le bois du tronc se forme, lui, à l’extérieur de ces barreaux. Maintenant, il faut tailler dans le vif… ou perdre des barreaux.
Cas n°1 : Cassandre ou comment annoncer une mauvaise nouvelle (faire tomber quelqu’un de haut)
La situation est aussi simple que délicate. Vous venez de prendre la tête d’une équipe plutôt efficace, dans laquelle un collaborateur semble avoir du mal à suivre. Ou du moins, il fournit une charge de travail de qualité nettement inférieure à celle du reste de l’équipe. Or, votre équipe est en sous-effectif et vous avez besoin que tout le monde soit à 100%.
Pas de problème, vous allez voir avec ce collaborateur s’il vit une baisse de motivation, ou s’il a besoin d’une formation supplémentaire. Sauf que, renseignements pris, cette personne est au même poste depuis 8 ans. Qu’elle a toujours eu les meilleures notes possibles dans ses évaluations annuelles. Et voilà qu’elle vous annonce dans le premier entretien de prise de contact, qu’elle aimerait plus de responsabilités et être augmentée. Bien, voilà une équation sympathique pour un manager en prise de poste. Ce n’est pas pour rien qu’on entend parler de “courage managérial”.
Le risque d’être le messager… sur lequel on tire
Le problème, c’est que cette personne peut tomber de haut, quand vous allez lui annoncer qu’elle ne fait pas l’affaire. C’est ce qui est arrivé à un manager, quand il a tenté de partager avec son collaborateur le constat qu’il ne démontrait pas les compétences requises pour son poste. Pas préparé, son collaborateur a été sous le choc, déçu, puis s’est fâché. Il ne s’attendait pas du tout à un tel message : pour lui tout allait bien, il avait toujours eu de bonnes relations avec ses managers à ce poste. Et surtout, il n’avait jamais eu de retour négatif sur son travail (pas de nouvelles, bonne nouvelle).
Bilan de la crise : manager et managés ont passé un sale moment, puis quelques jours difficiles, avant de réussir à travailler ensemble pour améliorer la situation. Le collaborateur a bénéficié d’un accompagnement avec une formation et un suivi de son manager. Quant au manager, il a pu respirer à nouveau.
Quand le manager va tout seul au « front »
Une autre chef d’équipe, elle, a rencontré immédiatement un mur infranchissable quand elle a essayé de partager avec une collaboratrice le constat de son désengagement. La collaboratrice s’est débattue avec force, a argumenté en s’appuyant sur ses excellentes évaluations annuelles. Pire, devant l’insistance de sa chef, elle a fini par aller se plaindre à son N+2 des “méthodes” de cette nouvelle manager (quasiment une… comment dit-on déjà ? “Pervers narcissique”, c’est bien ça ?). Faute du soutien de son N+2, la manager a choisi de faire machine arrière, et de composer avec cette collaboratrice à qui personne, depuis 8 ans, n’avait osé dire qu’elle devait faire un peu plus et un peu mieux son travail. Et qui avait donc légitimement toutes raisons de continuer à faire ce qu’elle faisait…
Comment faire autrement ?
Peut-être en posant l’équation, en regardant le tableau actuel avec du recul.
Ce qui est demandé à ces managers c’est de prendre un risque que personne n’a pris, et parfois le risque est devenu élevé. D’autant plus qu’il s’agit de rompre un équilibre, une stabilité.
Que me demande l’entreprise (ma hiérarchie, etc.) ? Obtenir de mon équipe la meilleure performance, l’engagement maximal et l’atteinte des objectif ambitieux fixés.
Qu’ai-je besoin de faire pour cela ? Demander un changement brusque à quelqu’un qui n’y est pas préparé du tout et n’a aucune raison de vouloir changer… C’est-à-dire aller à contre-courant de ce que l’organisation a mis en place depuis des mois avec cette personne.
L’alternative est la suivante :
- soit ne rien dire à cette personne et la laisser continuer ainsi. Mais avec l’inconvénient d’avoir un frein à la performance collective (continuer à faire ce qu’ont fait les prédécesseurs, finalement)
- soit dire à cette personne la vérité. Et risquer une réaction classée “risques psycho-sociaux-juridiques” (pour la collaboratrice et/ou pour le manager lui-même)
Point de miracle… comme avec la glycine intriquée ou un robinet grippé depuis longtemps, dès qu’il s’agit de mettre en place une grande régulation pour pallier l’absence de toutes les petites.
Cas n°2 : Le démineur – ou comment pacifier une équipe aux multiples trophées de chasse
Un manager prend la charge d’une équipe dont il a vaguement entendu la réputation par son réseau : fortes têtes, du fil à retordre etc. Mais lors de son embauche, son N+1 et les RH ont surtout insisté sur les excellents résultats de l’équipe, son potentiel sur les nouveaux métiers du groupe etc. En gros : on vous confie une équipe qui gagne, ne la cassez pas. Faites seulement (!) en sorte que l’ambiance soit bonne, qu’il n’y ait pas de conflit.
Rapidement après sa prise de poste, le manager se casse les dents sur plusieurs sujets : ses collaborateurs demandent son aide mais dès qu’il la propose, ils n’en ont plus besoin. Certains l’appellent pour recadrer d’autres membres de l’équipe sur leur comportement. Mais quand il essaye d’intervenir, finalement le problème n’en est plus un ou s’est déplacé à une autre personne. Un binôme en particulier, travaillant ensemble sur un projet important, se chamaille continuellement. Ce qui pollue tout le plateau où est rassemblée l’équipe.
Un manager face à son équipe soudée
Ce manager a le sentiment qu’on le fait “tourner en bourrique”. Il insiste dans sa démarche, propose aide et soutien à chacun. Il pose un cadre plus ferme en refusant d’intervenir dans les conflits inter-personnels (“soyez responsables, réglez ça entre vous”.) Et BANG ! il prend une première attaque groupée de quelques membres de 3 de ses collaborateurs auprès des syndicats. Reproche : “ce manager nous empêche de faire notre travail, il nous harcèle.”
Etonné, ce manager se renseigne autour de lui et apprend, un peu fâché, que c’est le “fonctionnement normal” de l’équipe. Qu’elle a “toujours fait comme ça avec ses managers”. D’ailleurs, elle “en change souvent, de manager !” lui dit en riant un collègue qui semble trouver ça presque amusant.
Bilan : retour à la case départ, ce manager n’étant pas formé au déminage, il a laissé les mines en place. Plus concrètement, il a renoncé à faire changer les comportements. Il a fait le tri dans son équipe pour cibler les personnes avec lesquelles il devait adopter un comportement “pare-balles”. Comme cette stratégie fonctionnait mais avec un coût certain en matière d’énergie personnelle, il a rapidement demandé et trouvé un autre poste dans l’entreprise.
L’alternative qui s’est présentée ici au manager peut être formulée comme suit :
- Soit le manager prend des mesures qui n’ont jamais été prises, avec le risque d’être accusé de harcèlement par son équipe (avec les conséquences pour lui si sa hiérarchie accorde du crédit à cette plainte)
- Soit il laisse l’équipe fonctionner comme elle le veut bien, et l’ambiance est mauvaise, donc il risque d’être considéré incompétent par les RH et sa hiérarchie (et sans doute aussi par l’équipe)
Traduction : soit il est perdant, soit il est perdant. C’est une forme de double contrainte du système sur le manager ! Selon le cas, il choisira l’une ou l’autre de ces deux options pour y laisser le moins de plumes possibles, et/ou en fonction des valeurs qui guident ses choix. Le piège est parfait pour les profils de “Sauveur” qui aiment intervenir dans les situations désespérées avec une certaine dose d’abnégation.
Conclusion
Quand il nous est demandé de réguler chez d’autres (équipe, collaborateur) un dysfonctionnement qui n’a pas été régulé pendant des mois voire des années, nous faisons face à un risque parfois élevé. Avons-nous envie, ou besoin, de le prendre ? Est-il juste pour nous de le prendre et d’en assumer toutes les conséquences ?
Et puis, même si nous faisions cet effort coûteux, en prenant ce risque, qu’est-ce qui nous garantit que le système dans son ensemble ne va pas continuer à fonctionner comme avant ? Ruinant nos récents efforts comme la marée les châteaux de sable ?
Une option possible pour sortir de l’alternative “ne rien faire / risquer gros”, c’est d’exprimer cette alternative aux personnes (hiérarchie, RH,… voire nous-même, aussi !) qui nous demandent de mettre en place ce changement tardif.
En disant grosso modo : “Vous me demandez de …. or, cela n’a jamais été fait auparavant… et donc voilà la conséquence que cela aura pour X, Y, et pour moi. Est-ce bien ce que vous voulez ? Moi je veux bien / je ne veux pas prendre ce risque…Et de plus, qu’est-ce qui me garantit que j’aurai un soutien dans cette démarche, puisque rien n’a été fait avant moi ?”
Lire : > Comment métacommuniquer pour améliorer un échange, une relation
A vous : avez-vous connu ce type de situation ? Qu’avez-vous fait ?
4 Commentaires
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Merci ,Karine pour ce partage. Ouahab étudiant en psychologie,licence( 3eme année)Alors bonne continuation.
Bonjour Karine
« Il arrive parfois à des managers de devoir faire une forme de “sale boulot”, en ayant à intervenir tardivement sur une situation qu’on a laissé pourrir depuis longtemps. » très vrai, mais cerise sur le gateau, on leur demande souvent pour cela d’utiliser les méthodes qui ont contribué à maintenir le problème.
J’ai en tête le cas d’un manager grognon, qui fait de l’intimidation et des menaces dès qu’il n’a pas ce qu’il veut, et que le DRH me demande de bichonner pour le rendre gentil, de faire ce qu’il demande pour ne pas l’agiter, et de l’inviter à déjeuner quand il pique une crise. Pour moi il flirte un peu trop avec la ligne de la sanction, mais ce n’est pas politiquement correct de mettre un avertissement à un cadre qui déclare devant son équipe qu’il souhaite que la boite ferme au plus vite …
Après, pour la partie “risques psycho-sociaux-juridiques”, les tentatives d’instrumentalisations existent parfois malheureusement. La meilleure solution à mon avis reste d’anticiper et de signaler au RH ou correspondant RPS qu’il y a un sujet en cours avec un potentiel risque de friction. ça n’enlève pas le risque, mais ça permet de valider une ligne d’action pour la suite.
Bonjour Carine,
Exact ! Cet exemple du manager grognon que l’on ménage pour qu’il ne grogne pas trop fort, c’est typique de l’évitement que l’on prend parfois pour la seule solution possible (et qui aggrave le problème, comme tu le dis).
Une question c’est « Que se passerait-il si l’on n’accordait pas de crédit à ses menaces ? »
Quand on n’accorde pas de crédit à ses menaces, il fait du scandale (il sait faire), et puis ça passe, mais ça laisse un fond de rancoeur. ça revient selon moi à maintenir le système dans son équilibre dysfonctionnel (mais un équilibre quand même…)
Pour sortir de la situation, il faudrait accepter les conséquences « insurrectionelles » d’une sanction, en allant jusqu’aux conséquences des conséquences, donc le licenciement. Je ne dis pas qu’il faut le licencier, mais que le fait de ne pas en accepter la possibilité à terme réduit la marge de manoeuvre à des variantes de l’évitement. Problème: impossible de tenir cette position sans soutien du DRH, et là je n’ai pas réussi à le convaincre. J’arrive à éviter les promotions comme manière d’acheter la paix sociale, mais pas mieux…