Résistances au changement : changer d’approche

deux femmes discutent devant un plan d'eauDans l’article précédent sur la résistance au changement, je vous parlais du caractère naturel de la résistance (le changement est un dérangement), et de la manière dont nous alimentons cette résistance en insistant sans tenir compte du feedback d’opposition. Regardons de plus près comment changer d’approche quand “ça résiste”. Comprendre le point de vue de l’autre, le rejoindre avant de lui en proposer un autre, et accueillir les émotions, tout un programme.

De bonnes raisons de ne pas changer

ombre carrée ou ronde selon la perspective d'éclairage du cylindreConvaincu que le changement que nous prônons est utile et bénéfique, nous oublions un détail : notre interlocuteur, qui n’a pas forcément le même point de vue, a autant de raisons de résister que nous en avons d’insister. Lui aussi, il tient à sa vision des choses ! C’est pour ça qu’il “défend son bifteck” (ses intérêts).

Par exemple, allez dire à une personne qu’elle est bien trop directe dans sa communication et qu’elle ferait mieux d’être plus diplomate. Que ce serait plus stratégique pour sa carrière, dans cette entreprise où on dit les choses avec rondeur. Avez-vous déjà entendu une personne à qui vous dites ça, vous répondre :

« Ah mais oui tu as raison ! Je suis bien trop direct ! Je ne sais vraiment pas pourquoi j’ai toujours fait comme ça, c’est idiot. A partir de maintenant je mettrai toujours les formes… Merci !» ?

Non, n’est-ce pas, car même si cette personne peut reconnaître un excès dans sa communication très directe, elle a au fond d’elle toutes les raisons de communiquer ainsi. Par exemple :

  • elle en a fait sa marque de fabrique, “je suis cash, c’est une qualité”
  • et elle associe ce comportement à des valeurs importantes pour elle : honnêteté, transparence, dynamisme
  • elle est convaincue que c’est plus efficace de procéder comme elle le fait : “on ne fait pas changer les gens en leur racontant la messe”, “il faut se dire les choses si on veut avancer”, etc.
    les modèles qu’on lui propose en matière de diplomatie, la rebutent, elle les trouve faux, hypocrites
  • ou encore, elle pense qu’elle ne changera pas, qu’elle ne saura pas faire autrement

La première clé consiste à se rappeler ceci : les gens ont de bonnes raisons de ne pas changer leur comportement, raisons qu’on ne soupçonne pas toujours. C’est l’un des aspects qui me passionne le plus dans le coaching : comprendre ce qui fait qu’une personne fonctionne ainsi, quelle est sa vision des choses, ce qui est important pour elle etc.

Respecter la vision du monde et les émotions

Jeune femme qui argumente à table au restaurant

Au fond, nos réactions émotionnelles et comportementales découlent directement de nos perceptions et de notre vision du monde. Ainsi quand nous voulons changer quelqu’un et que nous nous écrions « Il faut qu’il se rende compte, qu’il prenne conscience, qu’il ait le déclic !», c’est comme si nous affirmions que notre perception est plus juste que la sienne.

Or, la question n’est pas tant “qui détient la Vérité” (si tant est qu’elle existe…) que “comment permettre à cette personne de voir les choses sous un autre angle”. Il s’agit de proposer une vision des choses qui permette la mise en mouvement, sans la forcer pour autant. Et pour cela, paradoxalement, il est souvent plus efficace de partir… du point de vue de l’autre !

Ecouter et reconnaître la position de l’autre, puis proposer un autre angle

Blaise Pascal l’écrivait avec justesse :

Blaise Pascal“Quand on veut reprendre avec utilité et montrer à un autre qu’il se trompe, il faut observer par quel côté il envisage la chose, car elle est vraie ordinairement de ce côté‑là, et lui avouer cette vérité, mais lui découvrir le côté par où elle est fausse. Il se contente de cela, car il voit qu’il ne se trompait pas et qu’il manquait seulement à voir tous les côtés. Or on ne se fâche pas de ne pas tout voir, mais on ne veut pas être trompé. Et peut-être que cela vient de ce que naturellement l’homme ne peut tout voir, et de ce que naturellement il ne se peut tromper dans le côté qu’il envisage, comme les appréhensions des sens sont toujours vraies.”
Blaise Pascal, Pensées VI, 26, éd. HAVET.  (XVIIe siècle)

Par exemple, au sujet des vaccins contre le Covid-19, certains jettent à la tête des réfractaires, des qualificatifs comme “idiots / complotistes / irresponsables”, ce qui risque de renforcer leur position de réfractaire. De même, certains Français ressentent, quand on les qualifie de Gaulois, une envie irrépressible de jouer, justement, au Gaulois. Et d’ajouter qu’ils en sont fiers !

Si nous appliquons ce que propose Pascal, cela pourrait donner, après avoir écouté le point de vue de celui qui refuse de se faire vacciner :

“Je comprends que tu aies des réticences, parce que c’est nouveau, qu’en plus il faut signer un consentement, et que le démarrage très lent des vaccinations en France incite à la prudence. De plus, il y a de nombreux débats autour de la vaccination en France etc. D’un autre côté, c’est peut-être notre seule chance de protéger une grande partie de la population contre le Covid-19, et de pouvoir retrouver demain une vie à peu près normale après un an de confinements et restrictions. C’est un choix important, à chacun d’y réfléchir en conscience.”

Quelle différence entre ces deux approches ? Peut-être, le respect de la vision du monde de l’autre, et une manière de communiquer qui traite implicitement l’autre comme un égal et lui laisse le choix. Tiens, c’est exactement le genre de démarche qui me manque quand je peste, depuis mon vélo, sur un énorme SUV qui prend toute la rue en plein centre-ville. Nous aimons avoir raison !

Aller chercher l’objection

Alors, quand notre interlocuteur nous oppose une résistance, au lieu d’insister, nous gagnons à écouter avec curiosité, pour entendre ses bonnes raisons de ne pas adhérer. On passe alors d’une posture “mais si, puisque je vous le dis !!”, à “tiens, qu’est-ce qui vous dérange dans ce que je dis ?”

Boucle convaincre écouter

Cette approche nous aide à sortir du piège de l’insistance et de l’escalade symétrique qu’elle génère souvent. Et elle nous apporte de nouvelles clés. Les bons commerciaux savent aller chercher les objections dans la réaction à ce qu’ils proposent, plutôt que pousser encore plus fort avec les arguments issus de leur vision du monde, qui leur paraissent des évidences mais qui n’en sont pas pour tous.

Il s’agit donc d’être curieux de l’autre et quand on voit qu’il a n’adhère pas, qu’il émet des réserves, se demander « qu’est-ce qu’il me dit quand il me dit ça ? » puis questionner / écouter. Voilà qui n’est pas si facile, quand on est branché sur son propre canal, son idée et sa volonté que ça avance !

On a alors le choix :
– insister avec le risque que notre interlocuteur ait l’impression de ne pas être entendu et résiste (nous nageons alors à contre-courant, ce qui consomme de l’énergie)
– lâcher pour un temps sa vision et son objectif, et chercher à comprendre vraiment l’autre

En écoutant les objections et en les reconnaissant comme légitimes, on ouvre à la discussion, et même, il arrive que notre interlocuteur évolue dans sa manière de voir ! C’est le mouvement de l’aikido relationnel, Frédéric Demarquet en parle ici.

A ce titre, on se souviendra de l’expérience menée par Kurt Lewin aux Etats-Unis pendant la seconde guerre mondiale. Le psychologue a été appelé à la rescousse par le ministère de la guerre, pour faire évoluer les pratiques alimentaires et, en particulier, faire consommer des abats pour contrer la pénurie de viande. L’expérience a montré que les ménagères qu’on a invitées à s’exprimer sur leur objections face aux abats, ont été dix fois plus nombreuses à consommer des abats par la suite, que celles à qui on a proposé une conférence avec arguments patriotiques et allégations santé…
(retrouvez la description de l’expérience des abats ici)

Tenir compte des émotions

Une autre clé pour apaiser la résistance, consiste à ne pas contrer les émotions. Colère, peur, culpabilité, honte : quand elles sont présentes rien ne sert d’insister dans un registre rationnel en avançant des raisons objectives. Si l’émotion bloque, nous ne sommes pas sur le bon canal !

Prenons un exemple :

Le consultant qui ne voulait plus évoluer
Un consultant senior refuse une belle promotion, pourtant il est compétent et a toujours dit qu’il voulait évoluer. De plus, c’est la norme dans ce cabinet de conseil. Alors qu’est-ce qui lui prend ? Son manager ne comprend pas et insiste. Le consultant botte en touche. La responsable RH prend le temps d’échanger davantage avec ce consultant, et finit par comprendre entre les lignes ce qui se passe : ce poste lui demandera de prendre souvent la parole en public et il n’est pas à l’aise avec l’exercice. Le consultant exprime ses doutes, c’est le point de départ d’une discussion constructive où des solutions apparaissent.

Si on insiste au contraire (comme le faisait son manager), si on n’accueille pas l’émotion ou qu’on ne laisse pas digérer, on déclenche une résistance. C’est le cas avec des peurs, réticences comme dans le cas précédent, mais aussi avec la colère ou le sentiment d’injustice comme dans l’exemple qui suit.

Le consultant qui ne voulait pas évoluer

Un autre exemple :

Une collaboratrice rebelle
Une jeune femme est nommée manager de ses anciens collègues. L’une de ses collègues réagit mal, elle le vit comme un manque de reconnaissance de son propre travail. Alors elle reste distante vis-à-vis de sa nouvelle manager, ne répond pas à ses demandes (l’obligeant à la relancer) et fait la tête en réunion. La jeune manager tente de se faire accepter et respecter de cette collaboratrice. Elle veut agir vite, régler le problème, partir sur des bonnes bases. Mais c’est là son erreur : plus elle veut forcer cette ex-collègue à l’accepter comme manager, plus la collaboratrice se tend.

Voilà une autre clé : ne pas pousser, mais laisser le temps au changement d’être intégré, digéré. Nous avons tous connu des situations où on avance une idée en réunion, qui déclenche un rejet… mais qui est reprise à son compte par un des participants à la réunion, une semaine plus tard. Prendre le temps c’est se laisser cette chance. Pour cette collaboratrice, ce qui a fonctionné, c’est de lui laisser le temps et le droit d’être mécontente, sans la forcer.

Collaboratrice rebelle

Conclusion : la patience

Au fond, face à une résistance, c’est la patience qui nous aide à écouter et accompagner. Le genre de patience dont nous avons besoin quand nous devons démêler la chaînette d’un bijou (ou le câble de nos écouteurs). Bien sûr, pas de magie ! La patience et la souplesse dont nous ferons preuve dans l’échange ne garantissent en rien que notre interlocuteur changera de point de vue, puis de comportement. En effet, la vision du monde de chacun comporte des éléments négociables et des non-négociables (« ça, jamais », « je ne changerai pas d’avis »).  Et pour ces derniers, c’est parfois par le vécu que la personne évoluera dans son point de vue : une rencontre, un événement, une expérience accompagnée d’émotions qui la feront cheminer.

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