Résistance au changement : plus on insiste, plus ça résiste

le village gaulois sur la première page des albums d'AsterixNous observons tous des formes de résistance au changement, qui nous laissent parfois dans l’incompréhension. “Pourquoi elle ne m’entend pas ?” “Pourquoi continue-t-il à agir ainsi ?” Constater cette résistance chez l’autre ou les autres, est source de frustration et de tensions. Alors nous avons tendance à insister dans nos efforts pour que l’autre bouge. A la façon de ces cavaliers exaspérés, nous donnons des jambes ou tirons sur le licol. “Avance, bourrique !” Ou bien nous sommes le prof, sur le côté du manège, qui s’égosille à l’adresse de ce cavalier : “mais je t’ai dit cent fois d’arrêter de le harceler, ce cheval !” Que faire alors : insister ? Affirmer plus fort ? Contraindre ? L’approche systémique et stratégique apporte un éclairage précieux sur ces petites et grandes résistances au changement.

Cet article reprend en partie ma conférence “Mais tu vas changer, oui !”, donnée dans le cadre du Meetup “Dansez vos transformations” organisé par Alexis Lieblich, le 5 novembre 2020.

L’approche systémique et stratégique (Ecole de Palo Alto) propose de regarder la résistance comme un feedback, c’est-à-dire une information de retour, qui nous permet de nous ajuster. Ce serait donc un phénomène utile, et naturel.

1 – La résistance est naturelle

Tout système vivant cherche à rétablir son équilibre quand il s’en trouve écarté (principe d’homéostasie), or le changement, c’est un écart avec cet équilibre. Voilà qui n’est pas facile à comprendre quand on observe, de l’extérieur, une situation qui nous semble difficile ou douloureuse. Mais enfin cette femme qui s’épuise à tout porter au travail, elle serait bien mieux si elle déléguait, non ? Et cette équipe qui fait le dos rond et s’est mise en résistance passive, elle gagnerait vraiment à exprimer ce qui la contrarie et à ouvrir une discussion avec le manager ! Et puis, on devrait vraiment travailler en mode Agile / développer le télétravail / arrêter les emails à tout va… etc etc.

Quand, malgré des incitations ou conseils, ces personnes (dont nous faisons tous partie un jour ou l’autre) persistent à ne pas vouloir changer, demandons-nous si elle ne seraient pas dans une forme d’équilibre “pas si mal faute de mieux”. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas mieux, mais qu’elles ne l’envisagent pas pour le moment. Pour bouger, il faudrait en quelque sorte, qu’elles y voient plus d’avantages que d’inconvénients. Or la “charge de la preuve” est du côté du changement : le statu quo lui sera souvent préféré.

Tiens, et à propos, avons-nous pensé aux inconvénients qu’aurait la personne à changer ? Peut-être aurait-elle des choses à y perdre, de son point de vue.

Quelques exemples de changements avec inconvénients

  • en saisissant tout le détail des actions vers les clients dans le CRM, ou le détail de mes rendez-vous dans l’agenda partagé, certes je suis mieux organisé, mais cela risque de me prendre du temps, sans compter le risque d’être jugé ou fliqué par mon manager qui aime avoir l’oeil sur tout
  • déléguer une grande partie de ses dossiers, cela peut présenter des inconvénients comme :
    – devenir moins indispensable
    – risquer le vide, l’ennui
    – perdre des relations de proximité avec certains clients ou partenaires
    – renoncer à voir aboutir certains projets
    etc.
  • on impose à des commerciaux de suivre une méthodologie commerciale à l’initiative de leur manager qui vient d’un grand groupe. Jusque là, chaque commercial faisait “à sa sauce”. Si ces commerciaux ont besoin d’améliorer leurs résultats, ils seront peut-être preneurs d’outils ou méthodes qui les aident à vendre. Mais si tout marchait pour eux jusque là, ils peuvent le voir comme une contrainte inutile ou contre-productive.

Le propos ici n’est pas de renoncer à impulser de changements (« Ok, alors on ne fait plus rien ! ») mais de se méfier du biais qui consiste à considérer que ce changement-ci n’a que du positif, et que tout le monde ne peut que le vouloir. Pour cela, une première question à se poser quand on pousse pour un changement : qui veut quoi ? C’est-à-dire : qui sera favorable, qui sera prêt à se mobiliser pour changer ou faire advenir le changement. Ici une cartographie des alliés* peut aider, même pour les changements à petite échelle.
*voir les travaux de Jean-Christian FAUVET sur la sociodynamique.

2 – Plus on insiste, plus ça résiste

Imaginons que nous ayons, très exceptionnellement, manqué le premier point (se rappeler que le changement est une perte d’équilibre, vérifier si celui que nous voulons voir changer, adhère au moins un peu à ce changement).

Nous risquons alors d’insister face à ce que nous percevons comme une résistance : « il faut qu’il adhère », ou « il faut qu’il se rende compte / qu’il prenne conscience / qu’elle ait le déclic ». Et voilà que nous entrons dans une boucle interactionnelle qui s’amplifie. Plus j’insiste, plus l’autre résiste. Revenons à nos cavaliers : “il faut être deux pour tirer”, disent les moniteurs d’équitation après avoir observé le “manège” des rênes trop tendues et des chevaux qui s’appuient sur leur mors.

Plus nous insistons, plus nous renforçons la résistance chez l’autre et pour cela, nul besoin d’arguments explicites : une fois passé le premier message de changement, notre posture et notre relation avec l’autre suffisent à répéter ce message implicite “Change ! Change, euuuuh ! Mais tu vas changer, bourrique ?”

Un exemple “Sois plus directif avec ton équipe !”

Un directeur trouve son nouveau N-1, manager de 8 personnes, bien trop consensuel à son goût. Il donne la parole à chacun, ne tranche jamais vraiment, un vrai démocrate ! Le directeur s’inquiète des résultats opérationnels que donnera ce type de management. Alors il passe un premier message à son N-1 : “Il faut que tu sois plus directif ! Ils sont habitués, ils ont toujours été managés comme ça.”
Mais dans les semaines qui suivent, le manager ne change pas son mode de relation avec son équipe. Le directeur revient à la charge avec plus de précision : “l’outil de reporting doit être mieux renseigné, impose-toi !” ; “dans ta réunion d’équipe, tu dois leur donner des directives, pas leur demander leur avis”. En réponse, le manager explique qu’il est encore en phase d’observation, qu’il a le sentiment que l’équipe a besoin d’être écoutée (et peut-être a-t-il bien senti qu’il risque de déclencher une résistance en s’imposant par l’autorité !)

Voici ce qu’il se dit :

  • il va pas m’apprendre comment manager, je vais lui montrer que je réussis à ma manière
  • le directif, ce n’est pas mon style, d’ailleurs est-ce que je saurais faire ? Pas sûr.
  • l’équipe a besoin de liant, d’écoute, je ne vais pas casser la bonne dymanique que j’ai commencé à créer
  • etc.

Ainsi, plus le N+1 insiste et argumente, et plus ce jeune manager réfléchit et (se) trouve des raisons de continuer à faire à sa manière.

A ce stade, chaque remarque, regard, réponse ou même silence du directeur risque d’être interprété par notre jeune manager, comme une réplique de l’injonction “Sois plus directif !” C’est un message implicite qui circule maintenant entre ces deux hommes. Si le jeune manager n’y a pas encore obéi, quelle chance y a-t-il vraiment qu’il arrive un matin en ayant vu la Lumière : “ça y est chef j’ai compris ! Vous avez raison” ?

A moins, bien sûr, d’une modification de sa relation avec l’équipe, qui change sa perception : par exemple s’il se rend compte que son équipe est désorganisée, sort trop du cadre etc.

Mais pour le moment, ce jeune manager fonctionne bien avec son équipe, et moins bien avec son N+1… qu’il trouve justement bien directif et pas assez dans l’écoute ! De quoi renforcer sa propre vision du monde de ce qui fait un “bon manager”.

Voilà la seconde question à se poser quand on constate une résistance : tiens, cette résistance, et si elle venait en partie de ce que je mets dans l’échange ?

2e point, donc : la résistance est alimentée par celui qui pousse pour le changement

3 – Tenir compte du feedback

Quand notre démarche pour demander un changement n’obtient pas la réponse souhaitée, c’est que nos actions sont des “tentatives de solutions”, le concept-clé de l’Ecole de Palo Alto : plus de quelque chose qui ne marche pas, a tendance à maintenir voire aggraver le problème.

La proposition de cette approche est donc d’écouter vraiment le feedback pour s’y ajuster… en laissant de côté ses propres convictions, principes, et les théories auxquelles on croit dur comme fer. J’aime cette approche parce qu’elle est pragmatique et réaliste. On veut impulser un changement, quelle réponse obtient-on ? Quand je fais ça, qu’est-ce que cela génère comme réponse ?

Cependant, il y a un inconvénient de taille : cela suppose de sortir de son idée fixe du changement souhaité et d’observer ce qui se passe. Pas simple, quand on aime tenir ses objectifs ou arriver à ses fins. Pourtant, “Patience et longueur de temps font plus que force ni que rage” (La Fontaine, le Lion et le Rat, XVIIe s.)

.Quand on rencontre une résistance, il s’agit donc de lâcher prise pour changer de posture ou d’approche. Comment ? C’est ce que nous aborderons dans le prochain article.

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