Niveaux logiques de la conscience : de l’action au sens

Cairn de galetsConnaissez-vous les « niveaux logiques » ? C’est un modèle que j’utilise en coaching de dirigeant et de managers. Il me sert aussi de référentiel pour comprendre les situations en entreprise. Ce modèle popularisé par Robert Dilts, nous vient  des travaux de l’anthropologue Gregory Bateson sur les différents niveaux d’apprentissage, de changement et de communication.

Les niveaux logiques, késako ?

Il s’agit d’un modèle de représentation de notre conscience, qui comprend 6 niveaux superposés. Le concept des niveaux logiques, c’est que chaque niveau pilote et influence les niveaux inférieurs. Cette grille permet d’observer le fonctionnement d’un individu, d’un groupe ou d’une organisation, et de faire des hypothèses sur le niveau auquel se situe un problème (et donc, savoir à quel niveau supérieur intervenir).

Les 6 niveaux logiques de Robert Dilts :

Voici les six niveaux logiques tels que les a définis Robert Dilts.

Niveau Pour l’individu Pour l’entreprise Question
MISSION
(le + haut)
Ce à quoi il est relié
et qui le dépasse : entreprise, groupe, communauté…
(ce niveau se confond avec l’identité en entreprise) Pour quoi?
IDENTITE Son identité profonde, qui il est Mission, Vision, Stratégie, le Sens Qui?
VALEURS & CROYANCES Ses valeurs et croyances sur lui-même et le monde Culture d’entreprise, Valeurs Pourquoi?
CAPACITES Ce qu’il sait faire, ce qu’il a appris Savoirs-faire, Compétences Comment?
COMPORTEMENT Ce qu’il fait, ses actes, ses réactions Décisions, Actions, Process Quoi?
ENVIRONNEMENT Son entreprise, ses collègues, son manager Concurrence, Marché etc. Où?

Quelques exemples pour éclairer :

« Je suis un loup solitaire »
Jean se définit comme « un loup solitaire »
. Il aime travailler seul, si possible dans un bureau isolé. Son Identité de « loup solitaire » influence :
– ses Valeurs : individualisme, autonomie
– et Croyances : « je travaille plus vite seul », « dans l’entreprise on ne peut compter sur personne »
– de là, ses Capacités : il sait se débrouiller seul, a rarement besoin de demander de l’aide à ses collègues,
– et donc ses Comportements : il communique peu avec ses collègues, il ferme la porte de son bureau,
– doù, pour finir, son Environnement : un bureau isolé qu’il a demandé, où il a peu de sollicitations.
« Je n’ai pas de leadership »
Manal vient d’être nommée manager
d’une équipe de commerciaux, et elle appréhende sa prise de poste. Depuis toujours, elle pense qu’elle n’a pas de leadership, ni de charisme.
Ce sont ses Croyances, qui influencent les niveaux logiques inférieurs :
– elle n’a pas appris à donner des instructions, et ne sait pas comment s’y prendre pour encadrer le travail de son équipe (Capacités)
– elle est hésitante, parle d’une voix douce et patiente, attend que ses demandes soient exaucées (Comportement)
– son équipe comprend rapidement qu’elle ne sera pas aussi directive que leur précédent manager, et commence à lever le pied – ce qui n’est pas plus mal après un an de travail intensif (Environnement).

Vision & courroie de transmission

Vous comprenez à présent que quand Etienne notre leader Visionnaire transmet sa vision (l’agence deviendra leader dans le conseil en stratégie digitale), il se situe au niveau de l’identité de l’entreprise (sa mission). Si les managers l’ont compris et font leur travail de courroie de transmission, ils feront en sorte que cette vision soit transposée en :
– Valeurs (l’innovation, la créativité)
– en Capacités (inventer de nouveaux produits, de nouveaux usages),
– et en Comportements (organiser des brainstormings, des formations).
Cette grille met en évidence l’importance du sens et des valeurs pour nos comportements personnels et professionnels ! Elle nous invite aussi à considérer nos représentations et croyances comme des éléments qui augmentent ou réduisent nos capacités.

Voyons à présent comment traiter une problématique en entreprise, à l’aide des niveaux logiques.

Niveaux logiques et management

Le manager qui a en tête le modèle des niveaux logiques sera notamment attentif aux points suivants :

1. Recadrer les comportements sans toucher aux identités

Le manager constate des comportements, dont certains qu’il souhaite changer : arriver en retard, répondre à un client avec impatience, ne pas communiquer avec ses collègues, etc.

Souvent, pour demander le changement, il recadre le collaborateur concerné.

Le problème du recadrage, c’est quand il intervient trop tard. L’accumulation de faits amène le manager à généraliser (« il n’arrive jamais à l’heure », pense-t-il).
Ainsi, au lieu de parler de comportements isolés ou fréquents : « tu arrives souvent en retard »
il risque de généraliser en une définition du collaborateur : « tu es vraiment Monsieur Jamais A l’Heure ! »
Au passage, si le manager a atteint les limites de sa patience il ajoute à son propos un brin d’agacement (émotion de colère due à la limite qui a été dépassée) : « je t’achète une montre? »

Conséquence :
Résumer ainsi une personne c’est toucher à son identité. Les niveaux logiques nous montrent que le manager « tape » 3 niveaux plus haut que le niveau du comportement, c’est-à-dire dans une zone plus profonde de la personne.
C’est toute la différence entre « tu as fait une erreur » (comportement), et « tu es nul » (identité). Cela, on le sait déjà à propos de l’éducation – même si on l’oublie parfois !

Dans la pratique, le collaborateur touché dans son identité peut avoir différentes réactions :

  • défense : justification, plaidoyer pour défendre son identité
  • contre-attaque : agressivité
  • fuite : évitement, tentative de détourner l’attention
  • inertie, paralysie : pas de réponse, la réaction est intériorisée

Dans tous les cas il y a risque de blessure, et d’atteinte à la confiance en soi et dans le manager. Même si cette pratique peut avoir les effets escomptés (le collaborateur entend, et modifie son comportement en réponse), elle est délicate à manier.

Pistes d’amélioration du management pour un recadrage juste et efficace :

Rester au niveau des comportements, et des faits. Rester factuel et concret.
Exemples :

Dernièrement tu arrives souvent en retard, y a-t-il une explication ? Il est important que tu arrives à l’heure… etc.

Je ne suis pas satisfait du document que tu m’as envoyé, tu n’as pas tenu compte de mes dernières remarques, pourquoi ?

Je trouve que tu t’isoles, que tu communiques peu avec tes collègues. As-tu des soucis en ce moment ?

Ce sont les bases d’un feedback constructif, qui sera mieux entendu par le collaborateur.

2. Mieux comprendre le fonctionnement de son équipe

Simplement en observant et en écoutant, le manager peut comprendre comment fonctionne son équipe et plus précisément chaque individu.

Par exemple dans le cas du retard, envisager ce retard sous l’angle des valeurs.

Diane arrive tous les jours à 11h, alors que l’horaire tacite mais respecté de presque tout est 9h30.
Chaque fois qu’il a essayé de la recadrer, son manager a rencontré un mur. Il cherche alors la réponse dans les niveaux logiques supérieurs : capacités (il ne voit rien de flagrant, Diane est capable d’arriver à l’heure), valeurs et croyances… En y repensant, il réalise que c’est la même chose quand il lui impose une réunion, un format de document, ou une méthode de travail. Diane peut même se mettre très en colère si son manager insiste. S’il y a colère, c’est peut-être qu’une valeur est en cause.Alors ? En réalité pour Diane, la valeur liberté est fondamentale. Elle la place si haut que toute contrainte est difficile à accepter pour elle. Son manager n’est pas devin pour connaître la nature et la place de cette valeur. En revanche, il peut se douter que les réactions disproportionnées sont révélatrice d’une réaction sur un niveau logique plus haut que celui du simple comportement. Et de là, il peut comprendre qu’il va devoir manager en conséquence : dialoguer avec Diane en évoquant avec elle sa réaction vive dès qu’il lui demande de respecter une règle collective. Il peut aussi s’arranger pour responsabiliser Diane, en lui laissant une marge de manoeuvre plus importante en échange de son respect du cadre (pacte). Dans ces deux cas, la métacommunication est un outil utile pour le manager.

Une autre application des Niveaux logiques avec les Valeurs :

Eddy produit un travail rapide mais la qualité n’est pas au rendez-vous : il laisse de nombreuses fautes d’orthographes qui ne sont pas acceptables pour un travail remis à un client. Son manager pour qui le respect de l’orthographe est incontournable, finit par demander à Eddy si cela ne lui fait rien de livrer un travail bourré de fautes. Eddy lui répond que pour lui ce qui est important (Valeurs) c’est le fond du travail lui-même, la forme est accessoire, il n’y a d’ailleurs jamais fait attention ; son manager, lui, voit l’orthographe comme une marque de respect de son interlocuteur !

Et quand le problème se situe au niveau des capacités :

Christophe livre toutes ses maquettes après expiration du délai fixé. Son manager voudrait comprendre pourquoi, car il a l’impression qu’il le fait exprès et cela l’agace. Il cherche donc au niveau juste au-dessus du comportement – celui des capacités – et s’aperçoit que Christophe a une difficulté à ce niveau : il ne sait pas gérer son temps ni estimer ses délais.
Dès lors, le manager peut passer en mode solution, évoquer avec Christophe une formation ou une aide à la gestion de son temps.


Conclusion : si le manager a tout intérêt à rester dans le niveau du comportement quand il donne un feedback, en revanche il gagne à enquêter dans les niveaux supérieurs pour trouver des solutions à un problème de comportement.

Pour les curieux : l’histoire des niveaux logiques

A l’origine des niveaux logiques, le travail de Gregory Bateson sur le Jeu : dans son article « Une Théorie du Jeu et du Fantasme (1954), Bateson développe la théorie suivante : le « Jeu » suppose que celui qui joue distingue différents types logiques de comportements et des messages. Dans le jeu les humains comme les animaux simulent un combat ou une posture particulière (celle du chef, celle du bébé) en reproduisant les comportements associés (autorité, infantilité, agressivité…) comme s’ils étaient vrais. Et pourtant ils ne s’y trompent pas, ils savent reconnaître quand un comportement est simulé, c’est-à-dire qu’ils l’associent au bon type logique (en l’occurrence, le jeu). Comment ? Grâce à des « méta messages » -c’est-à-dire des messages à propos d’autres messages.
ex : Annie dit à sa collègue Françoise « tu as encore oublié de me rendre mon scotch, je vais me fâcher rouge ! », et elle mime une mégère colérique. Ce mime est un méta message qui donne un sens particulier à sa phrase : un sens de jeu. Un méta message situé à un niveau plus élevé que le message lui-même. Les émoticones sont des méta messages qui palient l’absence de communication paraverbales et non-verbales dans un écrit.

Citons Robert Dilts :

« Les personnes peuvent en réalité « méta-communiquer » verbalement en annonçant « Ceci n’est qu’un jeu », ou alors ils rient, donnent un petit coup de coude, ou font quelque chose de bizarre pour montrer leur intention. Bateson croyait que beaucoup de problèmes et de conflits résultaient de la confusion ou mauvaise interprétation de ces messages. Les difficultés d’interprétation que peuvent vivre des personnes de cultures différentes par rapport à la subtilité des communications verbales qu’ils se renvoient en sont un bon exemple. »
Robert Dilts, Etre Coach : De la recherche de la performance à l’éveil, 2008

Conclusion

Voilà un bref aperçu des niveaux logiques, un modèle riche et aux multiples applications en management. Robert Dilts fait d’ailleurs évoluer le modèle régulièrement.

8 Commentaires

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    • Kassim sur 5 août 2016 à 13 h 09 min
    • Répondre

    Bonjour Karine.
    Je dois avouer que j’ai enfin une idée tôt à fait claire sur ces fameux niveaux logiques dont tout le monde parle en PNL, et ceci grâce à votre façon d’expliciter à l’aide d’exemples scrupuleusement choisis. Merci ,merci,merci.

      • Karine sur 22 août 2016 à 16 h 03 min
      • Répondre

      Avec plaisir ! Merci de votre retour.

  1. Bonjour,

    Entendu hier de la bouche d’un coach « DILTS est vide et creux ». Depuis je m’interroge…
    Qui a crée les catégories de niveaux avec les termes environnement jusqu’à appartenance, Dilts ou Bateson ?
    pouvez-vous m’éclairer ?

    Les coachs peuvent-ils être aussi affirmatifs, « tranchés » dans leurs opinions ? Dans le coaching, je crois comprendre que des « écoles » existent mais sont-elles clivées à ce point ?

    J’attends votre réponse avec impatience,
    Merci d’avance, Cathy

  2. Merci à vous pour vos commentaires !

    • Priscilla sur 1 août 2014 à 14 h 27 min
    • Répondre

    Merci beaucoup Karine pour vos articles toujours justes, clairs et tellement intéressants !

    • Hassnaoui sur 4 février 2014 à 18 h 25 min
    • Répondre

    Bonjour
    Très intéressant ,je vais m’inspiree de la méthodologie pour élaborer mon plan d’action

    • Marie-Noëlle sur 3 février 2014 à 17 h 16 min
    • Répondre

    Très intéressant, merci
    Marie-Noëlle Nauleau

    • Stéphane sur 17 septembre 2013 à 14 h 43 min
    • Répondre

    Ce sujet passionnant est très bien traité ici. Merci pour la rigueur de cette page.

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