Cette attention qui nous façonne

Plante éclairée par le soleil dans une forêt sombreAprès une première conversation sur l’habitude, nous retrouvons Philippe Horin, directeur des études et de la recherche pédagogique de l’ENTE et auteur de neuroboost.fr. Cette fois nous parlons de l’attention, qui nous permet de trier l’information, et de mémoriser. Sans attention, pas de mémoire ! Comment faire alors quand elle est aussi sollicitée qu’aujourd’hui avec une information pléthorique ? Maîtriser son attention devient une clé pour une tête bien faite.

 Problème de mémoire… ou d’attention ?

Kolibri : – Bonjour Philippe ! La dernière fois nous avons parlé d’habitudes et de sentiers neuronaux. Si j’ai bien compris, nous sommes forgés par ce sur quoi nous portons notre attention (« sème un acte… ») D’un point de vue neurologique, est-ce exact ?

Philippe HorinPhilippe : – Oui essentiellement, et notamment parce que l’attention est incontournable pour mémoriser. Par exemple, si je te donne un n° de téléphone à retenir, et que je détourne ton attention en te posant tout de suite après une question sans aucun rapport, il te sera impossible de retenir ce numéro. Ce n’est pas un hasard si dans les consultations pour troubles de la mémoire, près de 90% des problèmes sont dus à des troubles de l’attention. Et non à des troubles de la mémoire !

Karine : – Est-ce à dire que le mode de fonctionnement de type « zapping » ou multi-tâche qui se développe depuis quelques années, est une cause majeure de troubles de la mémorisation ?

L’attention, une focalisation pour enregistrer

Philippe : – Effectivement. Car l’attention se comporte comme un phare ou encore, comme un regard. Elle permet de se focaliser sur un secteur seulement de l’ensemble des informations perçues par tous nos sens. Lorsque nous voyons une scène dans la rue, nous focalisons notre attention sur une seule partie de cette scène à la fois (un groupe de personnages, un bâtiment..) Car tout appréhender d’un coup n’est pas possible pour des cerveaux ‘normaux’.

Karine : – Contrairement à ces quelques personnes qui peuvent dessiner après coup un paysage dans les moindres détails.

Philippe : – Oui. Il s’agit de certains autistes dits ‘supérieurs’ qui enregistrent absolument tout ce qu’ils voient comme une caméra vidéo. Leur cerveau n’est pas câblé comme le nôtre et nous ne pourrons jamais atteindre ces performances. Plus modestement, mais c’est déjà beaucoup, pour mémoriser au mieux, le phare de notre attention doit nécessairement éclairer les éléments que nous voulons retenir.  Par exemple : vous déposez vos clés, vos lunettes ou un dossier sur votre bureau. Si vous n’y consacrez pas quelques dixièmes de seconde de votre attention, il sera impossible vous souvenir de ce geste ! A l’inverse, si vous prenez juste le temps de ‘filmer’ dans votre tête le mouvement que vous êtes en train d’accomplir (moins d’une seconde est nécessaire !) vous vous en souviendrez au moment voulu.

Karine : – C’est vrai ! Dans certains cas nous mémorisons tout de même, comme si c’était une attention inconsciente. Par exemple en refaisant le trajet dans notre tête, ou en cessant de chercher et en laissant l’inconscient nous donner la réponse sous la forme d’un « flash ». Qu’est-ce que c’est, ça, de l’attention inconsciente ?

Quand les neurones transmettent l’information

Philippe : – En simplifiant, il est possible de considérer que les neurones, qui reçoivent des impulsions électriques de nombreux autres neurones, ne transmettent l’information qu’à partir d’un certain seuil. Ils additionnent les impulsions (il en existe même des inhibitrices qui viennent en soustraction) en provenance de leurs collègues. Et lorsque la somme dépasse le seuil fatidique en-dessous duquel rien ne se passe, alors il transmettent une impulsion au neurone suivant. Et ainsi de suite. Le ‘flash’ auquel tu fais allusion peut être comparé au passage de ce seuil. C’est pour cela que paradoxalement, plus nous avons d’éléments à relier à ce que nous voulons mémoriser, plus nous aurons de facilité à récupérer l’élément en question. Les seuils seront plus facilement atteints.

Karine : – Tu peux donner un exemple ?

Philippe : – Eh bien, il est plus aisé de se rappeler d’un courrier avec une entête, un logo, une signature en couleur que d’une lettre standard en noir & blanc sans signes particuliers. Contrairement à ce qui se passe dans une mémoire d’ordinateur où plus on rentre d’éléments, plus il est difficile de les retrouver, dans un cerveau, plus on rentre d’informations, mieux on retrouvera l’élément central.
Et quand nous refaisons le même trajet – dans notre tête ou en réel, c’est équivalent à quelques neurones près – pour nous rappeler ce que nous avons oublié , c’est exactement le même phénomène. Se replonger dans le même contexte va permettre d’envoyer des impulsions supplémentaires qui faciliteront l’atteinte du seuil de transmission.

Un temps de visualisation minimal pour retenir

Karine : – ça me fait penser à un nuage de tags, de mots-clés autour d’un élément à mémoriser. Revenons à ce que tu disais sur le fait de ‘filmer’ ce que nous voulons mémoriser.

Philippe : – C’est ce que j’appelle appliquer la T.V.A. : Temps de Visualisation Attentionnelle. Appliquer la TVA permet d’éclairer la scène par le phare de votre attention pour pouvoir en pendre la photo. Testez, vous serez surpris de l’efficacité. Elle sera d’autant plus au rendez-vous que vous l’aurez photographiée en intensifiant l’éclairage ou appliqué des effets type Photoshop : que vous aurez par exemple visualisé la scène en couleurs intenses, ou encore zoomé sur la scène. D’autres préfèreront la voir en noir & blanc, d’autres avec le son, etc. En résumé, visualisez selon les modalités qui vous imprimez le mieux, car elles diffèrent selon les individus.

Karine :  – ça marche, très bien même. Sans y mettre autant d’intention – ce qui représente un effort – je trouve qu’être pleinement à ce qu’on fait, ici et maintenant, produit déjà cet effet de phare et donc de mémorisation.

Nous bâtissons notre mémoire par l’attention

Philippe : – Et c’est ainsi que l’attention nous permet, en tant qu’accompagnatrice indissociable de la mémoire, de nous construire jour après jour. Nous bâtissons par notre attention quotidienne les structures qui vont nous porter par la suite.

Kolibri : – Choisir ce sur quoi on porte son attention est donc essentiel pour se construire ! C’est le moment de quitter cette branche, nous y reviendrons bientôt pour parler d’un autre sujet qui nous passionne tous les deux : la puissance des croyances. Merci beaucoup Philippe d’avoir partagé ton « phare », et à bientôt !

Epilogue :
Le lendemain du jour où j’ai terminé la mise en forme de cette conversation, j’attendais un rendez-vous, attablée dans un café. Le serveur est arrivé, sa tête me disait quelque chose, normal : j’étais venue dans le même café quinze jours plus tôt.
Le serveur : – Vous attendez quelqu’un ?
Karine (pensant à une Vittel menthe, comme la dernière fois) : – Oui, mais je vais commander en l’attendant.
Le serveur : – Je vous apporte une Vittel menthe ?
Karine (interloquée, acquiesce) : – Comment, vous vous souvenez !?
Le serveur (hausse les épaules) : – Bien sûr.
En voilà un qui sait utiliser le phare de son attention !

Et dernière minute : je viens de tomber sur cette infographie sur la mémorisation.

Les Conversations sur une branche sont une série d’échanges avec des invités et amis pluri-disciplinaires.

 

1 Commentaire

    • Michael sur 1 avril 2012 à 15 h 25 min
    • Répondre

    Effectivement, concentration et mémorisation vont de paire! :)

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