Les émotions au coeur de notre cerveau

Masque de lionVous commencez à connaître Philippe Horin, après deux conversations orientées neurosciences, l’une sur l’habitude et l’autre sur notre attention.  Aujourd’hui nous le retrouvons pour parler d’émotions et toujours de cerveau. Les émotions, c’est notre système limbique, distinct de notre cortex oui… mais qui fonctionne avec lui la plupart du temps. Parfois aussi, notre système émotionnel fait un coup d’Etat !

Karine : – Bonjour Philippe, je suis contente de cette nouvelle conversation avec toi. C’est une émotion agréable de la famille de la joie, et justement nous allons parler des émotions aujourd’hui. Tu peux nous parler de notre cerveau limbique ?

Philippe HorinPhilippe : – Bien volontiers et je vous emmène faire un tour dans notre Histoire, l’histoire très lointaine de notre espèce. Et l’histoire – tout de même plus récente – de notre naissance.
L’ Homo Sapiens que nous sommes se situe sur une branche du très touffu buisson de l’évolution des espèces. Depuis la première cellule vivante originelle, nos ancètres ont été entre autres poissons, puis reptiles puis mammifères puis primates, et ont ainsi évolué, essentiellement par symbiose et par sélection naturelle vers un être très complexe, en particulier par son cerveau. Et ce dernier garde – comme le reste de notre corps –  les traces de cette évolution.

Karine :  Comme différentes strates alors, différents stades de l’évolution qui coexistent ? Nous serions un mélange d’archaïque et de moderne ?

Philippe : En quelque sorte. En première approche, nous pouvons considérer que le premier stade dont nous conservons les vestiges au fond de notre cerveau est le système qui assure les fonctions vitales comme la respiration, la faim, ou le sommeil.

Karine : Celui-ci fonctionne en mode automatique, c’est ça ?

Philippe : – Exactement. Puis est apparu au-dessus, avec les oiseaux et les mammifères, le système limbique, principalement le siège des émotions et de la mémoire. Ensuite est venu recouvrir ces deux premières « couches », le cortex (l’écorce), énorme chez l’homme puisqu’il représente plus de 80% du total. C’est principalement dans la partie avant du cortex que se situe ce qui nous distingue des autres animaux : les capacités de raisonnement et de jugement.

Karine : C’est le cortex préfrontal, n’est-ce pas ?

Philippe : – Tout à fait. Cette vision est certes très simplifiée notamment parce que des migrations de fonctions ont eu lieu entre ces 3 cerveaux au fil des millénaires. Mais elle est essentielle pour comprendre son fonctionnement de base. Car ce cortex, dont nous sommes si fiers, compose en permanence à notre insu avec « l’archaïque » système limbique. Et nos décisions, que nous le voulions ou non, sont le fruit d’un échange nourri entre le cortex rationnel et le limbique émotionnel. En d’autres termes, même les décisions que nous pensons prendre en toute rationalité en tant que manager « éclairé » sont empreintes de nos émotions. Comme l’a montré il y a à peine plus d’une décennie Antonio Damasio, avec notamment « l’erreur de Descartes » qui a bouleversé ce domaine des neurosciences, les personnes privées de la zone émotionnelle du système limbique ne peuvent plus prendre de bonnes décisions. Ainsi un homme marié, jouissant d’une excellente situation, va finir quelques mois après son opération, divorcé, licencié et ruiné, alors que son QI est resté parfaitement intact !

>> Lire à ce sujet l’article sur la prise de décision en lien avec les émotions

Karine : Pour toi, divorcer, perdre son travail et être ruiné est le signe de mauvaises décisions ? Hm, ceci fera l’objet d’une autre conversation ! Dis-moi, en gros les émotions feraient partie intégrante du fonctionnement de ce cerveau que nous considérons comme « supérieur » ?

Philippe : – Non, elles font bien partie du système « archaïque » mais elles interagissent en permanence avec le cortex de l’étage du dessus. Cette interaction s’effectue – en simplifiant à peine – de deux manières : le coup d’Etat ou la démocratie. Le coup d’Etat a lieu lorsque l’émotion est très puissante : une très grande frayeur face à un danger par exemple. Le système d’urgence est enclenché, et pour la survie ce qui fut la stratégie gagnante de nos ancêtres était de courir vite plutôt que de réfléchir à ce moment-là.

Karine : Joseph Ledoux en parle très bien, du coup d’Etat de la peur, notamment dans son ouvrage Synaptic Self (2002).

Philippe : – Notre cerveau est le même aujourd’hui même si le monde autour a changé. C’est ce qu’ont montré par exemple les universités de Zurich et Brisbane sur les deux plus grandes catastrophes maritimes du début du XXème siècle : le Titanic qui a mis 2h40 à couler et le Lusitania qui a sombré en 18 minutes seulement. Pour ce dernier naufrage, les hommes ont été bien plus nombreux parmi les survivants que les femmes et les enfants. Alors que ce fut le contraire avec le Titanic pour un taux de survie comparable (32% env.) Explication : la différence vient de ce qu’en 18 minutes, c’est le système limbique qui prend le pouvoir ; il fait son coup d’état sur l’ensemble du cerveau et l’adrénaline le domine alors totalement. Ainsi, les plus forts et puissants, en l’occurrence les hommes, se sauvent par « réflexe ». S’ils disposent de plus de temps comme pour le Titanic, les règles sociales et le cortex reprennent le dessus : « les femmes et les enfants d’abord », la règle sociale mise en place par les cortex ayant forgé la culture en la matière peut enfin s’appliquer alors qu’elle ne pesait pas bien lourd face à la poussée d’adrénaline massive dans le Lusitania.

Karine : – Voilà pour le coup d’Etat ! Nous passons à l’action sans l’intervention du cortex préfrontal.

Philippe : – Et concrètement, cela se voit au scanner : le cortex préfrontal s’allume de manière anormalement faible sous le coup d’une vive émotion alors que le système limbique est en feu. Il se passe exactement la même chose lorsque l’on tombe amoureux : le fameux « mais qu’est-ce que tu lui trouves ? » de l’ami(e) traduit le désarroi d’un cortex qui raisonne objectivement face à un cerveau amoureux sous contrôle exclusif du système limbique.

Karine : – Et quand il n’y a pas de coup d’Etat du cerveau limbique ?

Philippe : – La seconde manière d’agir des émotions, notre fonctionnement courant, c’est la démocratie : un véritable dialogue entre cortex et système limbique va conduire à une décision qui paraîtra 100 % rationnelle mais sera en réalité le résultat d’un mix inconscient entre raison et émotion. Certains sujets, bien en contact avec leurs émotions, traduiront cela par exemple par un : « je ne sais pas pourquoi mais je ne le sens pas ». Dans ce cas, la concertation cortex-limbique aboutit à une décision apparemment peu rationnelle et la personne s’en rend compte. Mais elle ne peut généralement pas accèder consciemment au dialogue interne.

La prochaine question c’est : comment tirer parti de ces découvertes ?

Karine: – Je sens que tu as encore beaucoup à dire sur ce sujet. Nous y reviendrons dans une prochaine conversation, car c’est l’heure de quitter cette branche. Merci Philippe ! A bientôt.

Que puis-je pour vous ?

Vous avez des difficultés à prendre des décisions,
ou vous aimeriez mieux utiliser vos émotions dans vos prises de décisions ?
Je peux vous aider ! Contactez-moi pour un premier échange, nous verrons comment le coaching peut répondre à votre besoin.

6 Commentaires

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    • Caroline Quaden sur 19 juillet 2017 à 15 h 30 min
    • Répondre

    peut on dire que le cortex analyse la situation et que ‘émotion vient « vérifier » (avec des indicateurs parfois erronés, comme ils le sont parfois, avec les automatismes de pensée, et presque toujours en cas de stress post traumatique) que celle-ci convient à ce que nous savons (intuitivement?) que nous sommes?

    • Blandine sur 3 juin 2016 à 11 h 00 min
    • Répondre

    Le cortex représente 80% du volume du cerveau chez l’homme?
    Voilà un chiffre qui pourrait nous piéger en nous faisant négliger le rôle essentiel des 20% restant , notamment celui du système limbique dans notre vie de tous les jours…
    C’est peut-être la raison pour laquelle on a mis si longtemps à s’y intéresser.

    • Sébastien Dathané sur 4 juin 2012 à 12 h 02 min
    • Répondre

    Très bon sujet, j’ai apprécié en particulier la métaphore sur la démocratie et le coup d’état.
    Malheureusement notre société reste encore très fortement influencé par l’œuvre de Descartes et il faudra du temps pour réhabiliter l’importance des émotions et son rôle régulateur.
    Cordialement.
    Sébastien

    1. Merci Sébastien pour votre commentaire. L’évolution sociale est certes lente mais elle est bien là, je trouve qu’on le voit dans les entreprises, dans les demandes de formation, dans le langage. Peut-être que ce qui aide le plus ce mouvement, ce sont les articles scientifiques sur le rôle des émotions : les bons cartésiens entendent ce que la science leur dit, mieux que leur propre expérience avec les émotions. Amusant, non, de passer par le rationnel pour accepter les émotions ?

        • Sébastien Dathané sur 7 juin 2012 à 10 h 28 min
        • Répondre

        Votre dernière phrase me fait toujours penser à Coluche, lorsque, justement il paraphrase Descartes  » « l’intelligence, c’est la chose la mieux répartie chez les hommes parce que, quoiqu’il en soit pourvu, il a toujours l’impression d’en avoir assez, vu que c’est avec ça qu’il juge.  »

        Il en va de même avec nos émotions, nous ne pouvons pas y accéder directement donc nous devons faire appel à notre raison pour les comprendre… Pas facile !
        Et effectivement, les articles scientifiques parviennent à faire le lien entre les deux et permettent à beaucoup de personnes aujourd’hui d’accepter l’idée que nous ne pouvons pas tout contrôler…

        • olivier Best sur 7 décembre 2016 à 13 h 05 min
        • Répondre

        bonjour Karine. tout a fait comme Sébastien , j’aime ta dernière phrase lorsque tu écris » Amusant , non; de passer par le relationnel pour accepter les émotions? »

        en effet je trouve cette conclusion très instructive et satisfaisante pour contrôler ses émotions dites négatives ( la peur de l’échec, la jalousie excessive , la colère , l’envie démesurée etc..) qui nuit à notre bien être relationnel, et notre santé , notre réussite efficace etc… –même il est reporté que Pythagore en dépit de sa nature sage de philosophe travaillait constamment sur la maîtrise de sa colère–

        le relationnel pour accepter les émotions peut s’avérer aussi utile bien pour contrôler la porté des émotions positives ( l’exces de joie , l’excès de rire etc…) a force de trop rire on finit par avoir des maux de tetes ;) . et dans lexcès de joie on peut commettre de la folie..

        sur ces point de contrôle des émotions je rejoins tout simplement la conclusion d’Aristote qui parle d’appliquer avec conscience le « juste milieu dans toute chose ».

    • coaching harmonique sur 2 juillet 2012 à 20 h 15 min

    […] Les émotions au cœur de notre cerveau , un excellent article de Karine Aubry citant notamment l’étude d’Antonio Damasio sur les conséquences de l’absence d’émotions. […]

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