Comment faire changer de point de vue ?

Route sinueuse vue du cielComme ce serait pratique de pouvoir amener une personne à changer de point de vue dès qu’on en a besoin ! Si vous aviez ce pouvoir, qu’en feriez-vous ? Au travail, à la maison, dans votre vie citoyenne, dans votre cercle d’amis ? Malheureusement, point de recette miracle dans cet article, qui se contentera de donner quelques pistes pour améliorer ses facultés de persuasion… et éviter de gripper le dialogue voire de renforcer le point de vue qu’on voulait faire évoluer (ce qui est courant !)

A notre époque où les opinions s’entrechoquent sur les réseaux, parfois avec vigueur, qu’est-ce qui aide à faire évoluer le point de vue d’une personne ? La question n’est pas nouvelle : les philosophes de l’Antiquité grecque ont largement travaillé le sujet et les Sophistes ont fourni des clés pertinentes qui nous servent encore aujourd’hui, avec l’art oratoire. Couplés à une fine observation des réactions de notre interlocuteur (recherche du feedback, en systémique), les outils rhétoriques sont un vrai “plus” dans nos interactions, et permettent de jouer de son influence… voire de manipuler, ce qui est moins éthique.

Voyons quelques pistes utiles pour les coachs, les managers, et tous ceux qui ont besoin de faire évoluer le point de vue de leurs interlocuteurs. Mais avant tout, à quoi ça sert ?

Dans quel but faire changer le point de vue d’autrui ?

Selon le contexte, cette démarche s’avère nécessaire pour faciliter le changement, rallier à une cause que l’on défend : convaincre un collaborateur d’accepter un poste auquel il nous serait très utile mais qu’il a décliné pour le moment ; convaincre un employeur de nous embaucher malgré notre CV “atypique” ; persuader son N+1 de donner une 2e chance à ce stagiaire qui le laisse sceptique ; amener ses collègues à adopter le “vélotaf” (trajet en vélo jusqu’à son bureau) à la place de leur voiture alors qu’ils ont de nombreuses objections ; amener son conjoint à arrêter la cigarette etc.

On le sent dans ces exemples, la finalité derrière la démarche relève parfois de l’intérêt personnel : quand persuader l’autre de nous suivre dans une vision permet de faire advenir un changement qui nous arrange. Pour le coach, il s’agit surtout (en principe !) de permettre l’ouverture du champ des possibles pour la/les personne(s) qu’il accompagne. « Agis toujours de manière à augmenter le nombre de choix possibles » disait Heinz von Foerster* En effet, plus notre vision est large et notre angle de vue flexible, plus nombreuses seront les solutions à notre portée pour résoudre une problématique.

*Scientifique austro-américain qui a beaucoup contribué à la cybernétique de deuxième ordre et au constructivisme radical

Permettre de faire émerger plus d’options

Un manager s’engage dans un coaching afin de préparer son évolution à un poste de directeur. Parmi les objectifs définis en réunion tripartite, le manager souhaite travailler sa capacité à prendre de la hauteur sur les sujets (vision macro), et à déléguer à son équipe. Sa hiérarchie lui suggère aussi de mieux travailler sa “marque personnelle” dans l’entreprise, en vue de faciliter sa future promotion. Or, rien que le terme rebute le cadre, qui a horreur de se mettre en avant. Ce n’est donc pas un bon objectif de coaching, et je propose de le regarder autrement en questionnant le N+1 et le manager lui-même :
C : – Qu’entendez-vous par “travailler sa marque personnelle” ?
N+1 : – Eh bien, se mettre en avant, faire connaître ses réussites et celles de son équipe en allant rencontrer les différents membres du Comex, il faut qu’il crée ces occasions et n’hésite pas à raconter ses réussites [Ici le manager coaché grimace imperceptiblement]
C au manager : – Qu’en pensez-vous ?
Manager coaché : – Erf, je sais que je dois me faire mieux identifier par le Comex, mais le côté “autopromo” j’ai du mal.
C : – Ok. [Au N+1] Si on regarde plus largement, que rendrait possible cette démarche de raconter ses réussites aux membres du Comex ? Quel serait sa finalité ?
N+1 : – Qu’il soit identifié par les décideurs au moment des nominations aux postes-clés. C’est ça le but !
C (s’adressant au coaché) : – Selon vous, y aurait-il d’autres voies pour vous assurer d’être identifié par les décideurs, des alternatives à la démarche proposée par X [son N+1] ?
Manager coaché (réfléchit) : – Hm, il faut que j’y réfléchisse mais je suis preneur de travailler sur cette alternative car l’autopromo je ne sais pas faire.

Ici il s’agissait de proposer une vision plus large de l’objectif proposé par le N+1, afin d’identifier d’autres voies permettant d’attendre le “but de l’objectif”. Dans la suite de l’accompagnement bien d’autres questions sont possibles pour explorer les représentations du coaché et permettre d’élargir ses possibilités :
interroger son rapport à l’autopromo, parler de soi, se mettre en avant, questionner ce qui se passe pour lui quand il parle de lui-même ;
l’amener à observer comment s’y prennent ceux qui ont été promus et ont pourtant un profil proche du sien, travailleur, discret, modeste : comment ont-ils fait ? ;
etc.

Finalement, nous cherchons à faire évoluer le point de vue de l’autre pour réussir notre mission (coach, mais aussi lobbyiste, militant, commercial, …) ou pour préserver notre équilibre personnel (ex : dissuader son collègue de démissionner parce qu’on redoute de continuer ce job sans lui).

Dans cette démarche, qu’est-ce qui aide à persuader ou à convaincre ? En premier lieu, il est souvent judicieux de ne pas y aller tout droit et de faire un détour que certains trouveront coûteux.

Imposer son point de vue pour remplacer celui de l’autre? L’impasse

Faites-vous partie de ces personnes qui manquent parfois souvent de patience dans leurs interactions ? Cela m’arrive régulièrement. Quand un point de vue me dérange ou que je le trouve erroné, indigne ou encore illogique, je fonce (naturellement ce trait de caractère disparaît dans l’exercice de mon métier de coach, ce qui est très reposant !) Dans le privé en tout cas, cela donne parfois des “tu ne peux pas dire ça”, “c’est une vision très incomplète”, “pas du tout !” etc. Une manière de réagir qui – ce n’est pas un scoop – ne fonctionne pas. Tenir ainsi une position forte et l’imposer présente l’avantage de sentir sa propre colonne vertébrale, d’affirmer ce qui nous structure, nos valeurs ou convictions. Mais nous nous éloignons de l’objectif de faire évoluer le point de vue de l’autre : celui-ci s’arc-boute à son tour en nous renvoyant sa vision tout aussi bien forgée.
Exemple :
“ A : – Vraiment, aujourd’hui c’est irresponsable de prendre encore l’avion !
B : – Pff c’est moins de x% des émissions de GES dans le monde, et si tu ne le prends pas, il décolle quand même, y en a même qui volent à vide !
A : – Peut-être mais embarquer c’est cautionner, encourager ce système. Si nous sommes suffisamment à le faire, ça changera.
B : – Je n’y crois pas du tout. Les compagnies annoncent une forte croissance des vols. Et de toute façon il y a bien pire que moi, alors je n’ai pas l’intention de culpabiliser.
A : – Ok continue à te voiler la face.
B : – Et toi la tienne… Tu te prives pour rien, personne ne te donnera de médaille tu sais…
Etc.”

« Tout droit », voilà ce que ça donne. Il y a bien sûr des exceptions, sur des points de vue moins solides, quand votre interlocuteur vous répond tout de suite “Ah ? Ok je ne savais pas, je n’avais pas cette information” ou encore “Oui c’est vrai on peut voir comme ça”.

Mais sur les questions importantes, le système de représentations de chacun résiste au changement qu’on lui impose. C’est toute notre cohérence interne qui est en jeu, la manière dont nous voyons le monde est structurante (d’ailleurs, si elle vole en éclat, cela donne un trauma, comme après des attentats quand on se croyait en sécurité). Si nous insistons pour “forcer la serrure”, nous rencontrons une résistance et parfois, cela mène à la rupture de l’échange.

Par conséquent, il va falloir faire preuve d’un peu de patience. Et au lieu de chercher à remplacer le point de vue de l’autre par le sien, chercher à comprendre vraiment comment l’autre voit les choses puis ajouter son propre point de vue comme une proposition.

Le détour qui change tout pour faire évoluer le point de vue d’une personne

Pour faire évoluer le point de vue de nos interlocuteurs, nous avons deux chemins assez différents, convaincre ou persuader :

  • Convaincre (cum-vincere en latin) c’est vaincre avec des arguments, en touchant la raison, par des arguments rationnels qui s’imposent à l’interlocuteur. Exemple : “tu m’as convaincue, je vais m’en acheter un”. Une personne convaincue de quelque chose donne l’impression d’avoir fait sien ce point de vue, pour de bon.
  • Persuader, c’est étymologiquement “faire venir à soi”, en s’adressant aussi aux émotions. “Aie confiaaannnce, crois en moi” susurre le serpent Kaa à Mowgli dans le livre de la jungle.

Comme nous ne disposons pas toujours d’argument massue pour convaincre et que notre capacité de persuasion ne fonctionne pas toujours du premier coup, il existe une autre approche, que je qualifie ici de détour car il s’agit de commencer par rejoindre le point de vue de l’autre. Quelle drôle d’idée ! Pourtant c’est exactement ce que font les vendeurs les plus habiles, ils questionnent les objections de leurs clients potentiels, font preuve de curiosité, et reconnaissent que ces objections sont légitimes. Peut-être ont-il lu les Pensées de Pascal, mathématicien, philosophe et moraliste français du XVIIe s ?

« Quand on veut reprendre avec utilité et montrer à un autre qu’il se trompe, il faut observer par quel côté il envisage la chose, car elle est vraie ordinairement de ce côté-là, et lui avouer cette vérité, mais lui démontrer le côté par où elle est fausse. Il se satisfait de cela, car il voit qu’il ne se trompait pas et qu’il manquait seulement à voir tous les côtés. Or on ne se fâche pas de ne pas tout voir. » Blaise Pascal, Pensées (n°579)

Il y a une clé essentielle dans cette citation : comprendre et rejoindre le point de vue de notre interlocuteur permet de le rendre plus disponible à écouter le nôtre. Question de sécurité psychologique peut-être ? Car dans ce cas l’interlocuteur n’a pas à renoncer à ses certitudes et il peut conserver ses repères, tout en ajoutant d’autres éléments à sa vision du monde. Pour nous en souvenir, nous pouvons garder en tête cette réplique (punchline, dirait-on aujourd’hui) de Paul Watzlawick lors d’une conférence dans les années 90, face à l’un de ses contradicteurs : “Vous avez parfaitement raison… de votre point de vue.” (source : l’anecdote est relatée ici)

Il s’agit en somme de préserver le point de vue de l’autre avant d’y juxtaposer le nôtre. Non pas d’acquiescer à ce qu’il dit mais d’accueillir sa vision comme légitime. Un grand maître de cet art se nomme Milton Erickson, psychiatre et psychothérapeute américain, connu pour avoir développé l’hypnose conversationnelle, entre autres. Erickson recommandait à ses étudiants de commencer par aller sur le terrain du patient afin de le comprendre vraiment, de s’intéresser à sa manière de voir les choses avant de vouloir lui proposer de faire un pas de côté. Dans le métier de coach, nous appelons cela “rejoindre le client dans sa position” avant de “recadrer son point de vue”.

Concrètement, comment fait-on ?

Chacun ira sur ce chemin avec son style. Voici un exemple avec ce fameux “détour” par la vision du monde de l’interlocuteur, en nous souvenant de la citation de Blaise Pascal reprise plus haut.

Contexte : Marco manage 8 personnes et s’écharpe régulièrement avec son N+1 sur la manière de conduire l’équipe. Ce dernier lui propose un coaching pour “asseoir son autorité”, gagner en leadership et poser un cadre rassurant à l’équipe, choses qui manquent selon sa hiérarchie. Marco est contre et maintient que sa manière de manager est la bonne.

Dans cet échange avec lui, la RRH prend le temps de le comprendre avant de lui apporter un autre regard :

“La RRH, Catherine : – Je crois que vous êtes en désaccord avec Stéphane sur ton mode de management. Stéphane te demande surtout d’être plus cadrant, de poser des règles de fonctionnement à ton équipe, et j’ai l’impression que c’est à ça que tu dis non. Tu peux m’en dire plus ?
Marco : Oui c’est là que ça bugue, moi je manage à la confiance, je ne crois pas du tout à l’autorité avec cette équipe, ça va les braquer. Ils ont un bon niveau d’autonomie, ils sont engagés.
La RRH : – Je comprends. C’est vrai que c’est une équipe engagée. En même temps je pense qu’il y a des aspects qui gênent Stéphane. Tu as une idée de ce qui l’amène autant à insister pour que tu sois plus cadrant ?
Marco (soupire) : – Oui, oui, je sais, tout n’est pas parfait. Certains dérapent un peu sur l’horaire d’arrivée, ils ne remplissent pas toujours bien leur compte-rendu d’activité, mais je trouve que c’est largement compensé par le boulot qu’ils abattent. Ils bossent bien !
La RRH : – Tu te dis que le compte y est, finalement.
Marco : – Ben oui ! Puis je n’aime pas jouer les flics.
La RRH : – Et d’un autre côté, peut-on vraiment se satisfaire de ces retards le matin, et des compte-rendus d’activité auquels on ne peut pas se fier ?
Marco : – C’est sûr, ça peut poser problème à terme.
La RRH : – Oui, c’est exactement ça. Sans tomber dans un excès d’autorité qui ne te ressemble pas, qu’est-ce que tu pourrais recadrer gentiment pour t’assurer que ton équipe respecte nos règles du jeu collectives ?”

Ici la RRH a pris le temps d’accueillir la vision des choses de Marco, elle lui reconnaît le droit de voir les choses ainsi, tout en l’amenant à considérer des aspects qu’il avait sous-estimés.
C’est parce qu’il se sent entendu que Marco se met à l’écoute de ce que la RRH a à lui dire.

Pour conclure

Ecouter, considérer, accueillir voire reformuler avec respect le point de vue d’autrui ne garantit en rien qu’il évoluera ensuite dans son point de vue. Mais c’est une manière de rester en dialogue, de rester avec plutôt que d’aller contre. Cela demande de l’écoute et de la patience, et d’accepter peut-être que notre propre point de vue se laisse influencer par le discours de notre interlocuteur. Serait-ce cela que nous voulons éviter en imposant parfois farouchement notre point de vue ?

Lectures sur ce thème :
Paul Watzlawick, Une logique de la communication, 1967, Points, 2014
Giorgio Nardone, L’art noble de la persuasion, Enrick B Editions

Photo de Jack Anstey sur Unsplash

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