S’adapter au changement de contexte

Femme avec parapluie dans une barque sur l'eauDans nos existences, nous rencontrons régulièrement un changement de contexte : prise de poste, évolution de notre situation familiale, changements dans notre environnement plus large (vague terroriste, dérèglement climatique, pandémie…) Face à ces changements, comment nous adaptons-nous ? Comment intégrons-nous ce nouveau contexte dans notre lecture des situations et dans nos décisions ? Les systémiciens nous apportent des clés de lecture éclairantes sur ce sujet.

Le contexte, c’est l’ensemble des conditions extérieures et des circonstances, qui influencent les réactions, les décisions et les choix. Quelques exemples :

  • Pendant un plan social dans une entreprise, les relations humaines sont impactées, les rapports changent. Ce n’est pas « comme d’habitude ».
  • Dans une phase de levée de fonds, la direction d’une PME va modifier ses priorités et ses critères. Soucieuse de bien « habiller la mariée » pour séduire les investisseurs, elle va par exemple renommer certains postes, mettre en avant certaines parties de l’activité, créer un pôle Recherche et développement…
  • Le dérèglement climatique est un contexte global dans lequel les sociétés humaines sont amenées à revoir leur mode de vie : gestion des déchets, utilisation de l’eau et des espaces naturels, révision des modes de production… Certains aussi, résistent et ne changent pas leur mode de vie, c’est leur façon à eux de s’adapter.

L’Ecole de Palo Alto et l’importance du contexte

L’approche systémique et stratégique ou « Ecole de Palo Alto » est connue pour son pragmatisme. En particulier, elle propose de :
1. S’adapter au contexte : tenir compte du contexte où l’on se trouve pour ajuster ses choix et son action
2. Tenir compte du feedback : intégrer le retour d’information sur ses actions

La pandémie de Covid-19 est l’occasion de vérifier la force de ces idées tandis que l’ensemble d’une nation fait face à un phénomène complexe, avec de multiples inconnues : dangerosité et contagiosité du virus, taux de propagation, disponibilité d’un traitement à venir, réactions de la population aux mesures de confinement, effets de l’ensemble sur l’économie…

En particulier, cette période nous invite à nous pencher sur les effets d’un changement de contexte : comment s’y adapte-t-on ? Et quelles résistances se manifestent ?

Un simple exemple prouve la puissance de ce changement de contexte : le même gouvernement qui veillait il y a quelques semaines encore à ne pas aggraver la dette de la France, se retrouve à engager des dépenses de centaines de milliards d’euros pour gérer la crise sanitaire et préserver l’économie « quoi qu’il en coûte » (comme l’a indiqué notre Président)… creusant ainsi la dette du pays d’une manière inédite. Mais là aussi le contexte plus global a changé : d’autres pays font de même, choisissant la peste (l’endettement) plutôt que le choléra (la catastrophe sanitaire et économique.)

Le directeur du CHU de Bordeaux témoigne :

«A l’hôpital public, en temps normal, on doit faire attention à ce que les recettes soient équivalentes aux dépenses. Aujourd’hui, tout est bouleversé, et on ne le fait plus du tout. On dépense tout ce qui est nécessaire contre le Covid, sans compter, sans regarder à la dépense, depuis le premier jour de la crise. » (1)

C’est ce que les systémiciens de l’Ecole de Palo Alto appellent un « changement de type II ».

Changement de type I, changement de type II

L’équipe pluri-disciplinaire de l’Ecole de Palo Alto a mis en évidence deux niveaux de changement (2).

Le changement de type 1 est un simple ajustement, comme quand vous appuyez sur la pédale d’accélérateur ou sur le frein pour réguler votre vitesse. Ce changement s’opère à l’intérieur d’un système, sans en changer les règles.

Par exemple, l’Etat décide que l’hôpital public doit faire un peu plus d’économies cette année, par rapport à l’année dernière où des efforts étaient déjà demandés.

Le changement de type 2 touche aux règles de fonctionnement du système : il implique un changement de norme mais aussi un autre regard sur la situation. C’est ce qui se passe quand vous changez de vitesse, dans une côte : l’accélération ne fonctionne plus, il faut changer de régime.

Pour reprendre notre exemple, l’Etat déclare que pour les semaines à venir, il n’est plus question pour l’hôpital de faire des économies, au contraire il peut dépenser sans compter. C’est un changement de modèle économique. Cette décision de l’Etat, qui prend sens dans un contexte de lutte contre la pandémie, engendre elle-même un nouveau contexte pour les équipes des hôpitaux publics, qui changent leur mode de gestion.

S’adapter ou résister à un changement de contexte

Prendre en compte le changement de contexte, c’est intégrer les contraintes, les règles du jeu, les « différences qui font une différence » comme le disait Gregory Bateson(3), avec mon contexte habituel. C’est adapter mes choix et ma conduite pour bien fonctionner dans ce nouveau contexte. Quitte à faire dans certains cas un changement de type 2, qui modifie mon équilibre (homéostasie) et m’oblige à changer ma vision des choses. Et ça, ça peut nous demander de négocier avec nos principes ou nos valeurs !

Une manière de vérifier que je prends bien en compte le contexte d’une manière qui fonctionne, c’est le retour que j’obtiens (feedback) : est-ce que le résultat me rapproche de ce que je veux ? Est-ce que c’est suffisamment confortable ? Ou est-ce que je suis dans un équilibre acceptable ?

Vérifier le résultat de mon adaptation

Deux exemples pour illustrer cette logique concrète « est-ce que ça marche pour moi ici et maintenant » :

Une personne très à cheval sur l’honnêteté (« il faut toujours dire la vérité et être transparent ») peut se trouver en difficulté lors d’un contentieux, quand son avocat l’amène à faire quelques arrangements avec la « vérité » pour la rendre à son avantage. Si cette personne reste fidèle à ses valeurs et à sa conduite habituelle, elle pourra tenir un discours parfaitement honnête, mais peu stratégique… dans un contexte où la règle du jeu implicite est « présenter une sélection de faits qui m’arrangent, sous l’angle qui soutient le mieux mon dossier. »
Un manager qui vient d’une entreprise étrangère très disciplinée, s’étonne que la société française où il vient de prendre un poste, soit aussi « laxiste » avec les employés : très peu de recadrages, jamais de sanction ni de licenciement. Ce manager met quelques mois à mettre à jour son propre logiciel pour intégrer ce nouveau contexte : ici il ne peut faire preuve d’autorité comme il en a l’habitude (il rencontre aussitôt une forte résistance de l’équipe), il devra user de ses capacités relationnelles et de sa communication à la place.

Une friction entre notre vision du monde et les événements

Quand mon adaptation au contexte ne fonctionne pas, quelques signes peuvent m’alerter :

  • Je continue à vouloir autre chose que ce qui est (et je déplore les circonstances)
  • Je lutte pour changer ce qui m’arrive, changer les autres…
  • Je dépense beaucoup d’énergie avec peu de résultat, je n’obtiens pas ce que je veux
  • Je suis frustré.e, en colère, ou j’ai peur…
  • Je rencontre des résistances, des oppositions

Ces signes nous révèlent la friction entre ce qui est et ce qui selon nous, « devrait être » (selon notre vision du monde). Ils nous indiquent que notre manière de réguler ne fonctionne pas. Pensons à la réaction du patron du Medef pendant le confinement. Il a déclaré que les Français devraient travailler plus par la suite pour « relancer la machine » et rattraper le retard de production quitte à renoncer à des congés ou jours fériés. Poursuivait-il son « but conscient » comme l’appelait Gregory Bateson, une volonté farouche de réaliser ses objectifs quels que soient le contexte et le feedback rencontrés ? Pour l’anecdote, il a dû revenir sur ses propos qui avaient déclenché un tollé. Ce qui est une réaction d’une autre partie système, cherchant à préserver son propre équilibre ;)

Cette friction, cette frustration que nous ressentons quand ça ne se passe pas comme souhaité, ce sont des invitations à prendre du recul et revoir nos plans. A accepter peut-être que « c’est comme ça que ça marche ici et maintenant », plutôt que de lutter parce que « c’est comme ça que ça devrait marcher » ou « d’habitude ça fonctionne ». A renoncer au « monde idéal », conforme à nos désirs et à nos valeurs. Finalement, à faire preuve de pragmatisme.

Quand les entreprise s’adaptent avec pragmatisme

Voici quelques exemples d’adaptations au contexte dans les entreprises :

  • Travailler en mode dégradé s’impose parfois quand les moyens ne permettent pas mieux (équipe réduite, surcharge…) Ce n’est pas toujours satisfaisant, mais c’est sans doute le mieux que l’on puisse faire dans le contexte.
  • Femme enfilant un basL’obsolescence programmée s’est développée comme une solution nouvelle dans le contexte où les ménages étaient de mieux en mieux équipés en matériel (voitures, électro-ménager etc.) Elle a amené des ingénieurs à changer radicalement leur approche en conception de produit. Un exemple connu, et qui montre une prise en compte du feedback : la société Dupont de Nemours était parvenue, dans les années 40, à fabriquer des bas en nylon qui ne filaient jamais. Mais les ventes se sont mises à stagner, les femmes n’ayant plus besoin de racheter des bas. Ce qui était pertinent dans un contexte (fabriquer des bas très solides pour faire connaître la marque) est devenu un problème dans le contexte où toutes les femmes étaient équipées. L’industriel a alors fait travailler ses ingénieurs à rendre les bas à nouveau filables. Une solution qui a demandé aux ingénieurs de s’adapter à cette nouvelle philosophie.
  • Dans le contexte de la pandémie de Covid-19, on voit apparaître des formes d’adaptation créatives : des fabricants de vêtements dont les chaînes de production sont à l’arrêt car leur activité est classée « non essentielle », se reconvertissent temporairement en fabricants de masques. Des constructeurs automobiles fabriquent des respirateurs pour les hôpitaux.

Ces exemples donnent l’impression qu’il suffirait de comprendre le contexte pour bien s’y adapter. Or ce n’est pas toujours simple.

Préserver son équilibre

Dans un contexte chaotique comme celui de l’épidémie de Covid-19, l’urgence est sanitaire et voilà tous nos repères bouleversés. Alors que la population est confinée, qu’une grande partie de l’économie est à l’arrêt, et qu’une partie de la population (soignants, métiers indispensables…) est au contraire sur le pont, chacun peut se demander comment s’adapter au mieux pour préserver son équilibre. Et trouver sa manière singulière de s’adapter au contexte si particulier, fait de fortes contraintes et de grandes incertitudes. L’équilibre de chacun se trouve bouleversé.

Des parents se transforment, avec plus ou moins de bonheur, en professeur à la maison pour leurs enfants, remplaçant les enseignants pendant le confinement.
Des entrepreneurs repensent leur offre, voire l’orientation de leur métier.
Certains acceptent la pause forcée, en profitent pour simplement prendre le temps.
D’autres ont besoin de garder actives leurs démarches professionnelles, avec quelques ajustements.

La continuité : résister au changement ?

Et enfin, certains en appellent à la continuité : continuer de vivre comme avant. Une réaction bien naturelle, tout système défend farouchement son équilibre durement acquis. Voici quelques en-têtes de messages promotionnels reçus pendant le confinement :
« Restez motivé, même à ma maison »
« Crise et télétravail : motiver et rester motivé grâce aux neurosciences »
« Covid : ne lâchez rien sur le business !»
« Pendant le Covid rien ne change : vos formations passent en ligne »

On pourrait y voir une forme de résistance au changement. Mais résister au changement de contexte n’est pas un problème en soi ! Dans l’Histoire, de nombreuses personnes ont œuvré pour changer les choses autour d’eux et parfois avec un certain succès : Résistants pendant la seconde guerre mondiale, militantes pour les droits des femmes,…

Tout est question de feedback, du résultat obtenu, et de coût de notre résistance. Tout le monde n’aspire pas à devenir Jeanne d’Arc. Mais de là à se laisser flotter au gré des vagues… Et pourquoi pas après tout, se laisser flotter un peu ? Car il s’arrive qu’une partie de l’adaptation à un changement de contexte, soit d’attendre pour pouvoir mieux agir ensuite.

Quand s’adapter au contexte, c’est attendre

Parfois, s’adapter au contexte c’est lâcher le contrôle et attendre, exactement comme quand, sur votre ordinateur, un processus de mise à jour s’est enclenché et que vous n’avez plus la main sur rien. Plus de curseur, plus de clic possible, quelque chose se déroule sous vos yeux et malgré vous, vous ne pouvez qu’attendre la fin de ce processus. Ce qui n’empêche pas de réfléchir à la suite, à l’après (surtout quand on a la certitude qu’il y aura « un avant et un après » ). Ou de se recentrer sur ce qui est à notre main, ici et maintenant.

Ou pour choisir une autre métaphore, je disais récemment à un collègue : « Cette pandémie, c’est un cyclone qui nous passe dessus. Tel que je le ressens, il n’a pas fini son ouvrage. Nous ne voyons pas encore les conséquences, tout est brouillé. Les météorologues ne savent pas prédire la durée de son passage et l’ampleur des dégâts. Alors construire la maison de l’après, c’est trop tôt pour moi. J’attends la fin de l’épisode, et j’aviserai. »

Bien sûr, ce n’est pas tout ou rien : nous avons encore la main sur certains aspects de nos vies, nous alimenter, nous mettre en sécurité, nous protéger du virus… Mais pour les grands travaux, c’est plus compliqué.

Un souvenir me vient, pour finir.

Comme un voilier sans un souffle de vent

Une navigation avec mes proches en Bretagne, il y a quelques années. Nous étions là pour le week-end, nous voulions rallier……. avec notre voilier. Nous déroulions le plan avec ardeur. Mais le vent tomba. La mer s’aplanit : elle devient miroir. Les voiles, bien sûr, flottaient mollement, sans la moindre trace de tension. La température gagna quelques degrés. Incrédule, je demandai au skipper : « mais là on ne peut plus avancer ? » « Ah non, c’est pétole. » me répondit-il avant de charger sur son téléphone le fichier des vents du jour. Qui lui révéla que pétole allait remplacer Eole pour un moment.
Que peut-on faire sur un voilier sans vent ? Souffler dans les voiles ? Ramer ? Battre des jambes, accrochés à la jupe arrière ? Démarrer le moteur et avancer poussivement dans des relents de gasoil ?
Nous décidâmes plutôt… d’installer une ligne de pêche pour prendre quelques maquereaux. De lire, faire la sieste. D’attendre, en somme, qu’Eole revienne d’elle-même.
Clin-d’œil de la nature à notre patience : quelques dauphins pointèrent leur nez autour du bateau !

Leçon de la systémique : quand on cesse de s’obstiner à atteindre son but, la vie produit d’autres choses…

(1) https://www.lemonde.fr/journal-blouses-blanches/article/2020/04/15/journal-de-crise-des-blouses-blanches-a-l-hopital-on-depense-sans-compter-depuis-la-crise-du-covid_6036701_6033712.html

(2) Changements, Paradoxes et Psychothérapie, de P. Watzlawick, J. Weakland , R. Fisch – 1974, Seuil 1975

(3) Gregory Bateson dont les travaux sur la communication notamment, font référence, avait identifié le rôle du contexte dans la communication…

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