Vous et moi avons un ami commun. C’est un singe. Si si, un singe… dans la tête de chacun de nous. Vous ne le reconnaissez pas ? Turbulent, agile, sautant de branche en branche, d’idée en idée, de passé en futur il est partout à la fois, partout sauf au centre… là où vous aimeriez justement garder de votre attention. Ainsi les bouddhistes et taoïstes nomment-ils notre Mental : le singe de l’esprit. Mieux le connaître pour l’apprivoiser, c’est ce que je vous propose aujourd’hui. Concentration…
Le singe de l’esprit, de l’Inde à la Chine
Le singe de l’esprit est une expression du chinois xinyuan et du sino-japonis shin’en 心猿.
On la trouve déjà il y a deux mille ans en Inde et en Chine. Lorsque le bouddhisme a été introduit en Chine, les missionnaires ont importé la métaphore de « Singe de L’Esprit », ainsi que leur tradition indienne autour du singe (avec le demi-dieu Hanuman, notamment) ; cependant les Taoïstes chinois pratiquaient déjà une forme de yoga appelée « Singe Sautant » et « Singe Saluant ». (1)
Le terme bouddhiste « Singe de l’esprit » est synonyme d’instable, agité, capricieux, fantasque, fantaisiste, inconstant, confus, indécis, incontrôlable.
Rien que ça ! Je ne sais pas vous, mais je reconnais là mon Singe intérieur qui parfois :
– m’empêche d’être pleinement présente en réunion, dans une conversation parce qu’il m’agite des drapeaux de toutes les couleurs : que manger ce soir, quand expire la réservation de ce billet de train, ai-je répondu au message de ce client, etc.
– me tient éveillée malgré moi, avec mille idées virevoltantes dans le noir
– me distrait d’un bon spectacle, d’une musique, en agitant son grelot idiot pour commenter ce que je ressens
– etc.
Et vous, comment vivez-vous avec votre Singe ?
Vous laisse-t-il lire cet article jusqu’au bout ? Pour une fois qu’il est question de lui.
Restez avec nous !
Les bouddhistes et taoïstes ont compris la puissance de ce singe, et la nécessité de l’apprivoiser pour avoir une vie équilibrée et centrée sur des objectifs définis par notre volonté consciente.
Ils ont donc inventé des exercices destinés à accroître la maîtrise de soi, à commencer par la maîtrise du Singe de l’esprit.
Or, nous voilà en ce début de XXIème siècle avec un deuxième singe, extérieur celui-là ! Un singe multimedia, social, temps réel… un animal de compagnie bien envahissant. On pourrait l’appeler Zappy le Singe, et il donne une parfaite réplique à notre Singe intérieur ; il nous fait ouvrir 10 fenêtres de navigateur web, répondre au téléphone en même temps que nous lisons un email, et tolérer que des fenêtres fasse Pop! Ding! Bzzz! sur nos écrans, au royaume de la Notification .
Comment se concentrer quand tout autour de nous zappe, frétille, tweete, clignote ?
Certes le Singe de l’Esprit a du bon, et Zappy son compagnon de jeu qui lui donne la réplique, le rend peut-être encore plus agile.
Vivacité, rapidité, c’est très bien.
Mais voilà, la fébrilité du Singe a beaucoup d’inconvénients :
- agitation
- sur-stimulation, saturation
- stress
- éparpillement et troubles de l’attention
- inefficacité
- difficulté à se concentrer pour les tâches qui ne nécessitent
- fatigue voire épuisement
- et pour vous ?
Une enquête du Monde intitulée « Concentrez-vous ! » a même dressé un état des lieux de cette “pollution attentionnelle”.
Alors comment se centrer et se concentrer à notre époque ? Comment apprivoiser son Singe de l’Esprit et l’envoyer avec Zappy le Singe faire une sieste bien méritée?
4 pistes pour se centrer
Premier principe : ne pas lutter contre le singe
On ne peut pas faire taire le Singe en s’opposant à lui.
Cela ne fonctionne pas. C’est le principe de l’injonction paradoxale : le fait de se dire « n’aie pas ces pensées perturbatrices » met le focus sur les pensées. Un exemple connu : si je vous dis « ne pensez pas à un éléphant rose! »… à quoi pensez-vous, là ?
Conclusion : il faut au contraire se concentrer sur autre chose, faire diversion à la diversion, remplacer la compulsion par autre chose.
Second principe : s’entraîner à l’attention
Muscler son attention avant toute chose.
Pas de magie, mais de l’entraînement ! Si nous avons perdu l’habitude de nous concentrer, c’est comme un muscle qu’il faut faire (re)travailler. Et comme tout muscle, il a besoin de phases de travail limitées, entrecoupées de pauses (pendant lesquelles nous pouvons donner libre court à notre dispersion mentale, façon récréation) ; ces respirations sont essentielles pour une concentration de qualité. Certaines études disent que nous ne pouvons nous concentrer efficacement que pendant 25 à 45 minutes ; une durée probablement variable selon les personnes, la tâché à effectuer, leur entraînement, etc.
4 pistes pour se centrer :
1. Du Mental au Ressenti
Le Singe étant exclusivement mental, il s’agit de changer de mode, en passant de la pensée au ressenti. Vous rappelez-vous l’index de conscience ? Changer de mode nous aide à nous déconnecter d’une boucle de fonctionnement. Par exemple, en vous centrant sur votre ressenti face à une situation, vous mettez de côté le mental.
Note : une vraie respiration s’avère une alliée de poids pour se connecter dans le ressenti. Notre Singe de l’esprit parfois, nous entraîne à respirer superficiellement, uniquement par la région des clavicules et non profondément, par l’ensemble abdomen + thorax dans une respiration complète.
Comment vous connectez-vous à votre ressenti ?
2. Du Bruit au Silence
Le Singe de l’esprit est parfois aussi bruyant qu’un magasin de jouets avant Noël ! Pour avoir les idées claires, il est nécessaire de laisser retomber cette agitation sonore dans notre tête. Le silence offre comme un lac immobile, sans une ride, sur lequel la pensée devient limpide.
Comment faites-vous le silence en vous ?
3. Du Stress à la Détente
Le Singe est agitation et sur-stimulation, d’où un stress. Le contre-pied, c’est la détente : la décider comme une priorité plutôt que d’espérer l’atteindre en calmant le Singe (voir Premier principe ci-dessus !)
Ici encore la respiration profonde nous aide.
Que faites-vous pour vous détendre ? Qu’est-ce qui vous détend ?
4. De l’Eparpillement au Centrage
Dernière étape, le centrage actif remédie à l’éparpillement. Les moines zen pratiquent cela sur plusieurs jours de méditation zazen intensive sous le nom de sesshin littéralement « rassembler l’esprit ». Il s’agit de maîtriser sa conscience, la diriger où on le souhaite, en avoir le contrôle. Corollaire : votre conscience est pleinement présente là où vous l’avez décidé. Vous pouvez être dans l’ici et maintenant, sans être dérangé(e) par les ronflements de votre Singe de l’esprit enfin endormi.
Savez-vous vous centrer sur une seule idée ? Comment faites-vous pour revenir à l’ici et maintenant ?
Pas facile, n’est-ce pas ? Sur son blog, Chris Peiffer donne quelques techniques : Se centrer pour exceller
Pour conclure : se centrer relève de l’art de vivre, dans une recherche quotidienne. Se concentrer procède d’une démarche ponctuelle, dans un temps limité qui favorise la qualité de la concentration. Car notre attention nous permet d’échapper à quelques pièges comme celui de courir toujours plus.
Bonne concentration et à bientôt !
sources : « Mind-Monkey » Metaphors in Chinese and Japanese Dictionaries Michael Carr, Center for Language Studies, Otaru University of Commerce
(1) Miura Kunio. 1989. « The Revival of Qi: Qigong in Contemporary China. » In Taoist Meditation and Longevity Techniques, Livia Kohn, ed. Ann Arbor: Michigan Monographs in Chinese Studies 61. p 354
3 Commentaires
Bonjour Karine,
oui, c’est un peu comme lorsque l’on pratique un « hobby » ou que l’on tombe amoureux, la passion nous dévore tellement que cette activité nous monopolise au point que tout le reste n’existe plus.
Le singe est complètement séduit et il se calme, mais cela ne dure pas forcément.
Afficher une volonté et s’y tenir peut aussi conduire à une concentration déterminée.
Nous avons ainsi plusieurs choix pour améliorer nos ressentis quotidiens en s’entraînant à ces pratiques.
Heu, j’aime bien vos articles.
Bonjour Patrick,
merci de ce commentaire.
Ce n’est pas toujours facile de « ne plus penser qu’à ce qu’on fait »,
Je trouve que c’est en fait un procédé involontaire, créé par l’activité elle-même : c’est l’activité qui nous absorbe malgré nous, et nous réalisons ensuite que nous étions bien concentré.
Reste à se connaître et savoir quelles activités nous font cet effet, et quels sont les moments propices aussi.
Qu’en pensez-vous ?
Oui, mon singe intérieur gesticule bien souvent.
D’accord, quand je m’investit sur quelque chose de concret je ne pense plus qu’à ce que je fais, que ce soit du sport, du bricolage ou une activation précise de mon esprit : ouf, que c’est bon ça.
Il suffit juste d’avoir des envies, ou alors de prendre volontairement parti pour soi.
Bonne journée, Patrick