Un leader naturel sait être vulnérable

Statue de guerrierDans la foulée de Cheval, leadership naturel et vulnérabilité je vous propose de nous pencher sur les manifestations de cette vulnérabilité en entreprise. Avoir des émotions, ne pas tout savoir, révéler sa personnalité ou ses imperfections : voilà ce que beaucoup tentent d’éviter à tout prix pour ne jamais perdre la face. Etre vulnérable c’est, étymologiquement, pouvoir être atteint ou blessé ; c’est donc prendre un risque.
Nous verrons en quoi fuir sa propre vulnérabilité c’est perdre en leadership.

Etre vulnérable, une sensibilité qui nous expose

Etre vulnérable, c’est étymologique « pouvoir être blessé ». Nous sommes vulnérables quand nous nous sentons fragilisé physiquement ou psychologiquement, et qu’une attaque extérieure serait alors dangereuse pour nous. Mais qu’est-ce qui nous expose ainsi ? En partie, notre sensibilité à l’attaque, par exemple à la critique ou au rejet. Nous sommes plus vulnérables dans des périodes où nous avons pris des coups (licenciement brutal, conflit…) mais aussi dans les périodes de transition, quand nous sommes en mue : nous quittons une ancienne protection et n’avons pas encore construit la nouvelle.

Ce qui se passe alors : nous sommes moins en confiance dans nos interactions avec les autres, surtout si nous tenons à paraître forts, solides, sûrs de nous, inébranlables. La dissonance crée alors une tension intérieure : je me sens fragilisé mais je fais comme si j’étais fort. La peur d’être démasqué, de montrer ses failles, génère du stress et peut donner de nous l’image que nous manquons d’assurance… alors que c’est exactement ce que nous cherchons à éviter !

Que faire alors ?

Le lien entre vulnérabilité et leadership

C’est tout le sujet de cette vidéo TED qui propose une étude très intéressante. Si vous souhaitez la regarder, à tout de suite ! Sinon je reprends les principales idées plus bas, pour ensuite passer à la pratique chez les dirigeants et managers.


Résumé de la conférence
: Brene Brown, « scientifique narratrice » comme elle se définit avec humour, a fait de nombreuses recherches sur l’humain (sciences sociales) et elle a découvert que ce qui était au centre de notre constitution neurologique, c’était le fait de faire des liens avec les autres, de se connecter mutuellement. Cette perfectionniste plutôt éprise de mesure et de contrôle a trouvé là l’occasion d’évoluer elle-même dans une prise de conscience… douloureuse. Elle a découvert que la honte était liée à la peur d’être déconnecté des autres – peur du rejet, fondamentalement. D’après elle, pour qu’il y ait un lien avec l’autre il faut que je me révèle à l’autre, que je le laisse me voir tel que je suis, et c’est cela qui est difficile. Brene Brown a voulu déconstruire la honte et trouver son antidote, au lieu de cela…
En 6 ans de recherche, elle a collecté des centaines d’histoires, fait des focus groups, pour finalement découvrir que les personnes qui avaient le sentiment de leur propre valeur créaient des liens avec les autres, en se montrant tels qu’ils étaient, authentiques. Leur courage (étymologiquement « coeur ») de se révéler aux autres s’appuyait sur cette estime de soi, un sentiment de mériter d’être aimé et accepté, qui leur permettait d’être authentique tout en se sachant imparfait ; ils étaient également bienveillants envers les autres comme envers eux-mêmes. Ceux-là se liaient facilement grâce à leur authenticité, en acceptant la vulnérabilité comme prix à payer. A l’inverse ceux qui avaient un sentiment mitigé sur leur propre valeur, luttaient contre la vulnérabilité et avaient des difficultés à être aimés et se sentir faire partie d’un groupe.
Pour Brene Brown le remède à cette lutte stérile contre la vulnérabilité, c’est de parvenir à se dire « je suis assez bien comme je suis ».

Histoires de vulnérabilités

1 – Solène, une présidente de fer

Solène est PDG d’une PME de 200 personnes qu’elle dirige, dit-on, d’une main de fer. Elle se montre assez peu, reçoit dans son bureau uniquement, elle a créé une distance qui impose le respect, un respect craintif. Surtout que Solène est connue pour ses colères : quand un manager la déçoit, quand un collaborateur trahit la confiance de l’entreprise, sa « soufflante » s’entend d’un bout à l’autre du bâtiment. Seuls les très proches l’ont déjà vue baisser la garde et confier des états-d’âme. Car pour Solène un dirigeant doit se montrer toujours fort, si on le voit flancher c’est qu’il n’a pas les épaules assez solides pour sa fonction. Peut-être qu’être une femme la pousse à lisser encore les murs de sa forteresse, comme si le sexe féminin était plus facilement suspecté de faiblesses ; elle redouble de fermeté face à des investisseurs, il ne faudrait pas qu’ils doutent un instant qu’elle tiendra le coup quoi qu’il arrive. Pour Solène, être faible c’est ne pas maîtriser ses émotions ; seule la colère sied à un(e) dirigeant(e) car pour elle, elle est l’expression de la force et de la détermination. Alors chaque fois qu’elle doute, qu’elle est déçue, triste ou qu’elle a peur, Solène tape du poing sur la table.

Voilà une présidente qui déploie beaucoup d’énergie pour ne jamais se sentir vulnérable devant le reste de l’entreprise. Quelle solitude elle doit connaître, derrière sa muraille ! J’ai la conviction qu’en fuyant la vulnérabilité, Solène affaiblit son leadership, ce qui est évidemment tout le contraire de ce qu’elle cherche.  Elle se rend la tâche de gouverner plus lourde, puisqu’elle porte seule ses doutes, ses déceptions etc. Elle bride aussi son leadership collaboratif et ses compétences relationnelles. En étant essentiellement directive, elle se protège certes, mais elle se limite aussi.
Le pire c’est qu’un cercle vicieux s’installe : comment sortir de ce rôle bien installé, sans générer incompréhension voire inquiétude ? Solène a placé la barre très haut et se sent condamnée à tenir ce niveau.

2 – Loïc, le manager transparent

Loïc est le manager d’une fine équipe de 15 personnes. Sa grande caractéristique, c’est qu’il est centré à 100% sur son équipe et dès qu’il est question de lui-même, très habile pour détourner l’attention vers les autres. Il déteste parler de lui, et que l’on parle de lui ; quand cela arrive, il répond par des fanfaronnades. Ses collègues managers le trouvent un peu fuyant. En entretien annuel avec ses collaborateurs, il ne suit pas les directives et leur donne les formulaires d’auto-évaluation mais pas ceux d’évaluation du manager (lui-même). Il dit que cela ne sert à rien, en réalité il a des sueurs froides en imaginant lire ce que ses équipiers ont écrit à son sujet. C’est comme passer devant un jury ! Un cauchemar, il se sentirait tellement… exposé, vulnérable  ! Sans parler du fait que ces évaluations seraient ensuite transmises à la direction, brrr ! Loïc est très apprécié, il suscite la sympathie, en revanche les liens qu’il tisse dans l’entreprise sont très superficiels et il n’est pas profondément respecté. Finalement, ce Loïc, on ne sait pas bien qui il est, ce qui compte à ses yeux, ce à quoi il dit oui ou à quoi il dit non, ce qui lui plait etc. Il manque de personnalité, de contours !

Pour éviter d’être vulnérable Loïc a choisi d’être transparent. Dans cette stratégie il gagne peut-être la tranquillité, mais il perd en leadership inspirant, en relationnel avec son équipe, et son estime de lui-même stagne – puisqu’il la garde au chaud dans un placard dans jamais en miser le moindre denier (l’estime de soi grandit quand on réussit un challenge qui représentait un risque). Finalement, est-ce la bonne stratégie pour atteindre son objectif d’être un manager respecté ?

3 – Renaud, Manager « Je-Sais-Tout »

Ce profil, vous l’avez sûrement connu dès l’école primaire. C’est celui qui sait tout, mais tout sur tout à tel point qu’il peut vous faire passer, vous l’expert, pour un ignare. En version manager, cela nous donne Renaud dont la réplique préférée est « oui, je sais, je suis déjà au courant ». Renaud n’a jamais été pris en flagrant délit d’étonnement ;  quel que soit le sujet, il est au courant. Comme bien sûr certaines fois il ne pouvait pas l’être (comme quand Céline sa responsable qualité lui a annoncé qu’elle était enceinte), on en vient à admirer son art de composer un non verbal tout à fait impassible« ça ne m’étonne pas que tu sois enceinte, je me doutais que ça allait arriver » répond-il immédiatement sans sourciller. Admirer sa composition, et surtout hausser les épaules car Renaud manque d’authenticité et cela finit par lasser. Pis encore, Renaud fait de la rétention d’informations pour asseoir son pouvoir ; il est dans le secret des dieux (entendre, de la direction), et il se place en grand seigneur quand il partage des nouvelles stratégiques avec ses collaborateurs. Il sait tout avant tout le monde, donc il est hors de portée (invulnérable).

Pour Renaud, ne pas avoir une information c’est devenir vulnérable. Il lui est insupportable de révéler qu’il n’a pas une information, et en mettant en place cette stratégie de défense il se rend inaccessible à son équipe. Comment en effet créer du lien avec quelqu’un qui n’a rien à apprendre de vous ni de personne ? Quelqu’un qui vous refuse son étonnement, sa curiosité, son doute ou ses erreurs  ?

Un leader naturel accepte d’être vulnérable

Il y a beaucoup d’autres exemples de lutte contre la vulnérabilité, dans l’entreprise.

Quand nous évitons de prendre la parole en public lors d’une présentation ou d’un pot de départ, de quoi avons-nous peur ? D’être vu, révélé ? D’être imparfait ? (Voici quelques pistes pour se libérer de la peur de prendre la parole en public)

Quand nous coupons court à un compliment qui nous est fait et changeons de sujet, que voulons-nous fuir sinon le moment de notre propre réaction à ce compliment, cette réaction qui parle de nous à l’autre ?

Quand nous avons invité un collègue à déjeuner et qu’il n’a pas répondu, que ressentons-nous sinon un sentiment de vulnérabilité, avec la peur d’être rejeté?

Tel un insecte qui se cache le temps de sa mue, le temps qu’une autre carapace repousse, il nous arrive de masquer l’essentiel de nous-même afin de protéger notre intériorité palpitante. L’entreprise se prête bien à ce jeu puisque les émotions y sont plutôt indésirables, et le rôle de chacun, impersonnel.

Pourtant, cette stratégie s’avère contre-productive, elle nous fait perdre en leadership.

Regardons les leaders naturels, ceux qui portent en eux cet art de guider les autres : ils reconnaissent leurs erreurs, acceptent de ne pas être parfaits, se soumettent à la critique, se montrent parfois surpris, montrent leurs émotions, expriment ce qu’ils sont profondément en partageant leurs valeurs, leurs limites, et leurs peurs.

Ils prennent un risque, celui de se sentir vulnérable.
Et dans ce courage-là, on reconnaît je le crois, les grands leaders.

Pour prolonger, découvre tous mes articles autour du perfectionnisme.

A vous ! Questions de coach :

  • Acceptez-vous de vous sentir vulnérable parfois en entreprise ?
  • Comment le vivez-vous ?
  • Si vous évitez à tout prix ces situations, quelles conséquences pour vous ?
  • Après la lecture de cet article, avez-vous envie d’essayer une autre stratégie ?

2 Commentaires

    • sophie legast sur 22 mars 2012 à 13 h 51 min
    • Répondre

    Bonjour,
    je trouve vos articles fort intéressants, et celui-ci en particulier. Cependant il me manque ici un exemple positif d’un leader qui se montre vulnérable, et l’effet ressenti par ses collaborateurs. Je trouve aussi que les émotions, l’authenticité n’ont pas beaucoup droit de cité au sein des organisations et entreprises, et c’est bien dommage pour le bien-être du personnel et des managers. Pour ma part je ne ne suis pas chef d’équipe, mais conseillère interne au sein d’un service prévention, et je suis amenée à conseiller les chefs d’équipes de mon organisation. Je m’inspire de vos articles pour leur donner des conseils et les amener à réfléchir. Merci beaucoup.

    Sophie Legast
    conseillère psychosociale interne à Fedasil (organisme public belge)

      • Karine Aubry sur 28 mars 2012 à 12 h 46 min
      • Répondre

      Bonjour Sophie

      Merci beaucoup pour votre commentaire et ce retour encourageant. Il est important pour moi de savoir que mon travail de coach comme mes articles sur ce blog ont une utilité pour celles et ceux que je coache ou qui me lisent.

      Pour l’exemple qui vous manque, j’en appelle aux lecteurs qui tomberaient sur ces lignes :

      Avez-vous déjà vu un leader dans un moment de vulnérabilité assumée ? Qu’avez-vous ressenti en tant que collaborateur, ou qu’avez-vous observé chez ses collaborateurs ?

      Ceci me fait également penser à notre rapport aux parents : vous savez, ce cap où l’on devient plus adulte en comprenant que nos parents ne sont pas les héros que l’on croyait, mais des êtres avec leur fragilité, leurs failles. Pour accepter qu’un leader soit vulnérable, peut-être faut-il avoir soi-même franchi ce cap de la sécurité intérieure.

      Sur quel type de prévention travaillez-vous ? S’agit-il des risques psychosociaux ?

      Chaleureusement,
      Karine

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