Vous a-t-on parfois demandé de changer votre manière d’être, ou de communiquer ? Cette attente de notre entourage professionnel ou personnel s’exprime de manière directe via des injonctions, ou indirecte par des réactions ou une prise de distance (message implicite). Or de nombreuses personnes pensent que cela implique de “se” changer, c’est-à-dire évoluer en profondeur pour être acceptées. Pas toujours motivant… L’approche systémique travaille au contraire sur les petites « différences qui feront la différence », pour reprendre une expression de l’anthropologue Gregory Bateson. Aussi la question devient-elle : que puis-je modifier de manière rapide et qui respecte ma nature, pour décoller l’étiquette que d’autres me renvoient ? Quels sont les micro-comportements qui pourraient m’éviter d’être catalogué(e) sans trop me coûter et sans dévier de mes valeurs et de ma façon d’être naturelle ? Quelques pistes dans cet article !
Point de départ de ce texte : en tant que coach j’accompagne de nombreuses demandes de changement individuel, dont une grande partie provient des feedbacks des proches. “Aidez-moi à être plus ceci ou moins cela, pour mieux fonctionner avec mon équipe / mon chef etc.”
Après avoir exploré – c’est important ! – les enjeux autour de ce changement (à quoi sera-t-il réussi, qu’est-ce que cela changera plus largement, y a-t-il des inconvénients à changer en ce sens etc.), nous validons ensemble avec la personne, qu’elle désire bien travailler à ce changement. Puis nous cherchons ensemble le meilleur chemin pour l’accomplir.
Et c’est là que les choses deviennent particulièrement intéressantes. Dans ma pratique j’observe que, contrairement à ce que craignent certains au début du coaching, il est rarement nécessaire de changer beaucoup pour changer le message que l’on envoie. Et cela tombe bien, car au fond, qui peut changer radicalement, surtout en quelques séances ?
En réalité, autant la demande de départ touche au verbe “être” (“sois moins direct dans ta communication”, “je veux être un bon orateur”…) autant le changement efficace peut se contenter du verbe faire-différemment.
En particulier, quand le changement est prescrit par d’autres personnes que celle qui vient en coaching (coaching prescrit par le responsable hiérarchique ou les RH), il est déterminant d’identifier la/les petite(s) différence(s) qui feront la différence dans l’appréciation extérieure. Et permettront de décoller l’étiquette qui collait à cette personne : dur dans son management / peu synthétique / trop maternante / sèche / poil dans la main…
Voici quelques exemples :
Sortir de la case « trop discrète »
Ashley arrive en coaching avec une demande émanant de sa hiérarchie : elle est cataloguée “trop discrète” et doit travailler sa visibilité en interne. Il s’agit essentiellement de rassurer sa hiérarchie sur sa capacité à se mettre en avant et à être identifiée comme une personne-clé de son département. Aujourd’hui, Ashley travaille dans l’ombre et compte surtout sur ses bons résultats et sa fiabilité pour progresser. L’histoire bien connue du savoir-faire et du faire-savoir… Sachant qu’Ashley n’aucune envie d’imiter ses collègues les plus “promoteurs” qui ne manquent pas une occasion de mettre en avant leurs réussites, nous cherchons avec Ashley quels changements minimaux pourraient envoyer un message différent, qui contredise son attitude qualifiée de “trop discrète”. Rassurée sur le fait qu’elle n’aura pas à changer radicalement, Ashley trouve deux types d’actions concrètes qui lui semblent réalisables à court terme :
penser à annoncer ses avancées aux directeurs concernés, au lieu d’attendre qu’ils viennent vers elle et de compter sur la prochaine réunion de suivi pour s’exprimer (Ashley pensait que ces occasions étaient bien suffisantes et minimisait l’impact de son silence dans l’intervalle)
souligner ses succès dans ses emails de reporting. Ashley a appelé ça le “coup de stabilo” : mettre du relief sur un chiffre clé, un fait marquant pour faire passer le message qu’elle a obtenu un résultat significatif.
Ces deux types de changements ont eu un effet rapide et ont permis à Ashley d’aller un cran plus loin par la suite. Elle s’inscrivait typiquement dans le “syndrome du bon élève” : une professionnelle sérieuse, fiable, loyale, qui répond aux attentes sans penser à veiller à son intérêt (sa visibilité, sa future promotion etc.) En produisant quelques comportements précis qui contredisaient l’étiquette, elle a pu faire changer le regard sur elle, et développer une nouvelle manière d’être au travail.
Pour Ashley il s’agissait d’un coaching de développement où il ne manquait pas grand-chose. Son entourage au travail a rapidement nuancé son regard et reconnu qu’elle était humble ET savait aussi défendre son travail.
Comment ne plus passer pour « Madame Négative »
Celia aussi a démarré son coaching sur une invitation de sa hiérarchie. Il s’agissait de faire le point sur ses motivations dans son poste et de travailler son attitude en collectif. En effet, Celia faisait presque quotidiennement des remarques critiques sur l’organisation du service, sur les procédures utilisées pour traiter les dossiers, sur le temps passé en réunion etc.
Après avoir identifié quelques changements nécessaires dans son poste, pour lesquels son chef de service a donné son accord, il restait chez Celia une manière de communiquer qui la desservait. En effet lors d’une réunion à mi parcours de l’accompagnement, son n + 1 a dit regretter que ,malgré les aménagements de poste, Celia soit toujours aussi négative.
Nous avons alors travaillé avec Célia sur les boucles d’interaction qu’elle entretenait avec ses collègues et soins N+1. Il est apparu plusieurs points, notamment les deux suivants que nous avons travaillés ensemble :
- Elle relevait systématiquement tout ce qui n’allait pas à ses yeux et le verbalisait, sont jamais pensé à formuler ce qui était positif. En effet pour Celia on progresse par la critique et en améliorant ce qui doit l’être. Inutile donc de passer du temps sur ce qui fonctionne bien selon elle !
- Quand elle n’était pas entendue dans sa critique, elle avait tendance à insister, à argumenter et à rajouter du poids. Cela rendait son discours particulièrement négatif : grosso modo ce qui était reçu par ses interlocuteurs c’est « Il n’y a rien qui va ! »
Quand elle a perçu l’effet de cette communication, et son caractère contre-productif, Celia a identifié ce qu’elle pourrait faire de légèrement différent.
Tout d’abord penser à souligner de temps en temps un point positif. Même si cela lui semblait inutile pour faire progresser l’équipe elle y trouvait deux avantages : recueillir l’écoute et l’intérêt de ses interlocuteurs et gagner du crédit pour pouvoir plus tard exprimer un point critique.
Ensuite Celia a changé d’approche pour exprimer ses critiques. Elle a travaillé à les formuler de la manière la plus constructive possible, avec une proposition d’amélioration, et elle a veillé à ne pas insister davantage au-delà du point où elle pensait que, raisonnablement, la personne avait entendu ce qu’elle venait de dire. Nous avions pris ensemble l’image d’un remède qu’elle verserait dans le verre de son interlocuteur. Si celui-ci ne boit pas le remède il est inutile de continuer à remplir le verre jusqu’à ce qu’il déborde ! Avec le risque que l’interlocuteur quitte la table pour ne pas être aspergé.
Dans cet accompagnement, il était bien question de trouver des petites différences de communication car Celia n’allait pas se transformer en Madame Tout Est Beau. Elle gardait de vraies raisons d’être critique, mais elle a fait évoluer la manière de l’exprimer, et surtout, comme Ashley, elle a fait délibérement des petites choses qui rendaient caduque l’étiquette qu’on lui attribuait. Imaginez un manager jugé peu empathique, qui soutient une collaboratrice et l’emmène à l’infirmerie alors qu’elle montre des signes de malaise ; ou un cadre vu comme désengagé, qui s’assied le premier dans la salle lors du séminaire annuel. Une fois identifié ce qui alimente l’étiquette, reste à trouver les occasions de la faire mentir.
Pour Ashley et Celia, le changement a pu se mettre en place en quelques semaines dans les interactions avec l’entourage, dont le regard a évolué.
Mais parfois, l’étiquette est bien collée et les micro changements peuvent ne pas suffire.
Comment déloger une “étiquette” déjà bien collée
Maxime bénéficie d’un coaching pour améliorer son management. Son équipe se plaint de son encadrement très directif et quasi autoritaire. Frustré et dans l’incompréhension – car il fait de son mieux – il souhaite changer cet équilibre, mais ne voit pas comment faire. Il porte lui-même des objectifs ambitieux en termes de résultats commerciaux, et il a toujours fonctionné ainsi avec ses équipes. Jusqu’ici, avec succès.
Nous décodons ensemble des exemples récents de ses interactions avec son équipe, et il ressort que Maxime fait plusieurs choses qui confortent l’étiquette de manager directif :
- Il mène toutes ses réunions en parlant 95% du temps. Les membres de son équipe parlent peu, alors il meuble et anime la séance. Et plus il anime, moins ils s’animent… Au point que Maxime monologue avant de conclure “Pas de question ? J’imagine que non… Ok vous pouvez retourner travailler.”
- Quand un de ses collaborateurs lui soumet un problème, Maxime trouve la solution seul et lui explique comment s’y prendre. Pour aller vite !
- Dans sa communication par email, Maxime va à l’essentiel (pour gagner du temps, pense-t-il : le sien et celui de l’interlocuteur). On le trouve directif, on lui reproche de ne pas mettre les formes.
Ce qui ressort de ces exemples, c’est que Maxime impulse son rythme, et dépense beaucoup d’énergie pour mener son équipe vers les objectifs communs. Mais en agissant ainsi, il se voit reprocher un management directif qui laisse peu de place. Sans s’en rendre compte, il envoie à son équipe un message négatif du type “Vous n’êtes pas capables, je fais à votre place”.
Comment alors changer la donne et décoller l’étiquette ?
Maxime identifie trois changements qui pourront faire une différence (à mesurer après essai) :
- En réunion, il propose un nouveau fonctionnement : désormais il proposera quelques apports de sa part pour moins du tiers de la séance, avec un espace de questions réponses, puis un espace de partage des problématiques de la semaine pour ceux qui en ressentent le besoin. Quand les sujets seront épuisés, la séance sera levée.
- Quand un collaborateur vient le voir avec une problématique, Maxime s’astreint à l’écouter d’abord en le questionnant sur ce qui lui pose problème et sur les solutions qu’il a envisagées avant de venir le voir. Puis, si le collaborateur est à sec de solution, Maxime l’aide à la trouver. Ce n’est qu’en dernier recours qu’il lui donne la marche à suivre.
- Dans ses emails, il insère désormais de courtes formules “de convivialité” comme il les nomme. Bonjour, as-tu passé un bon week-end, … ainsi que des feedbacks positifs sur les actions menées : Super tes graphiques dans le compte-rendu, c’est très utile.
Ici les changements ne sont pas un détail : ils demandent à Maxime de changer sa manière d’animer ses réunions, de changer de posture avec son équipe et de retravailler les formes de sa communication. S’il avait voulu corriger le tir dès sa prise de poste (imaginons qu’il ait rejoint un pôle dirigé par un de ses anciens managers qui l’aurait mis immédiatement au parfum, avant même de rencontrer son équipe : “Maxime tu verras c’est une équipe autonome qui a besoin de ne pas être cadrée trop serrée. Fais-les s’exprimer les premières semaines, écoute-les beaucoup et tu verras mieux ensuite comment t’ajuster”), Maxime aurait eu un peu moins d’effort à produire.
Pour Maxime le changement s’est réalisé dans la durée : quand l’étiquette est bien collée, le regard de l’entourage ne peut évoluer en un jour, il a besoin de plus de preuves que l’autre a changé. Parfois il est même nécessaire de métacommuniquer pour annoncer le changement, avec une forme de mea culpa. Par exemple “Je me rends compte que par souci d’efficacité, j’ai été assez directifs avec vous depuis ma prise de poste, c’est un fonctionnement naturel chez moi mais je comprends qu’il n’est pas optimal avec une équipe comme la vôtre.”
Changer sans changer vraiment
En conclusion, ces exemples nous montrent qu’il ne s’agit pas de changer ce que l’on est, son système de valeurs et son attitude naturelle, mais bien d’infléchir certains de ses comportements les plus marqués, ceux qui alimentent le problème. En introduisant des différences qui apportent de la nuance et permettent d’échapper à la “case” dans laquelle on se trouve coincé(e).
D’autres stratégies peuvent fonctionner, comme jouer de ses travers ou les annoncer : “je vais encore t’embêter, tu sais que je suis un impatient, n’hésite pas à me dire quand je te mets trop la pression” ; “je suis bavard, surtout coupez-moi la parole sinon je peux ne pas m’arrêter”).
L’essentiel consiste à apporter de la souplesse à son jeu pour ne pas se laisser enfermer, prédire, qualifier, ou condamner. A moins que l’étiquette ou la case ne devienne votre marque de fabrique, choisie et assumée (“je suis comme ça”), ce qui est une autre possibilité ;)
1 Commentaire
8bscva